Vivre  dans une chambre de bonne avec un ex-taulard

chambre de bonne

La fidélité

J’ai suivi Denise en consultation pendant deux ans, sur les trente ans de fidélité qu’elle avait avec l’hôpital. Elle avait vu défiler plus de psychiatres que moi de nombre de services de psychiatrie différents.

Un diagnostic initial de “trouble anxiodépressif” justifiait ce suivi. Elle avait été « sauvée » d’une dépression sévère pour laquelle elle avait été hospitalisée dans le service. Denise n’avait plus depuis longtemps besoin d’être suivie que tous les trois mois.

Je renouvelais son traitement antidépresseur et anxiolytique au long cours et elle me donnait des nouvelles de sa situation. Pour les anxiolytiques, je n’étais pas fière mais faire un sevrage dans ces conditions semblait acrobatique. 

La chambre de bonne

Elle vivait dans une chambre de bonne sous les combles dans un vieil immeuble d’un quartier insalubre, bruyant et mal famé. Denise sortait peu de chez elle car gravir les six étages à pieds commençait à devenir un luxe.

Âgée de 78 ans, fatiguée, elle ne pouvait se permettre de faire elle-même ses courses. Elle hébergeait donc depuis cinq ou six ans Mohammed, un ancien taulard qui l’aidait en contrepartie aux tâches quotidiennes.

La routine des consultations antérieures

Elle oubliait régulièrement des consultations et j’étais obligée de la relancer par courrier car elle n’avait pas de téléphone chez elle, et encore moins de portable.

Chaque consultation se déroulait à peu près de la même manière. Boitant, aidée de sa canne, Denise faisait une pause tous les trois ou quatre pas pour respirer sur le trajet de la salle d’attente à mon bureau.

Arrivant dans mon bureau en suant, une odeur mêlée d’urine et de moisi, avec des vêtements sales, on pouvait penser qu’elle était clocharde. Le bruit de sa canne rythmait son pas court et sa voix chevrotante sortait d’une bouche édentée. Denise devait avoir une maladie de Parkinson sous-jacente non diagnostiquée.

Les tentatives  d’adressage à un neurologue s’étaient heurtées à des oublis répétitifs. Elle était seule, sans famille. Seul Mohammed l’aidait, mais disparaissait parfois plusieurs jours sans donner de nouvelles.

J’initiais la consultation pour tâter le terrain.

La dernière consultation
  • Comment allez-vous, Denise?
  • Ça va pas Docteur, ça fait trois jours que j’ai plus de médicaments, j’suis très angoissée, j’dors plus. Et pis j’en peux plus de cet appartement, de c’quartier. J’aimerai déménager, partir dans un endroit où y a moins de bruit, moins d’gens.

A chaque fois que je la voyais, c’était les mêmes paroles, les mêmes durées d’absence de prise de traitement…

J’avais parfois l’impression de revivre la même consultation.

  • Où en êtes-vous des démarches de demande de changement de logement auprès de l’office HLM?
  • Chai pas, ça fait longtemps que j’ai pas essayé d’y aller. En ce moment, j’arrive plus trop à sortir.
  • Et Mohammed il vous aide encore? Il travaille en ce moment?
  • Cui-là il a disparu de la circulation depuis quelques semaines, il m’a dit qu’il avait trouvé un travail et une p’tite copine.
LA solution?

En finissant mon contrat sur l’hôpital, je me suis dit qu’une chose serait plus efficace pour aider au mieux cette pauvre dame:

Rompre la fidélité qui l’avait amenée à consulter encore et toujours à l’hôpital général. On y soigne bien mais il y a mieux pour les intrications sociales.

Adressée sur son secteur, elle pourra bénéficier de visites à domicile et d’un suivi avec une assistante sociale. Celle-ci prendra  plus à bras le corps sa situation pour avoir un logement plus décent à un âge aussi avancé.

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