Dieu le mâle et le Diable la femelle

Dieu et le Diable

Age et schizophrénie

Mehdi, un patient que j’ai vu en service fermé me restera particulièrement en mémoire. J’avais à l’époque un peu plus de vingt-cinq ans (mais tout de même moins de trente).

Et j’avais appris durant mes études que le pic de fréquence de déclenchement de la schizophrénie se situait entre dix-huit et vingt-cinq ans. Je me sentais sortie d’affaire. Même si je savais que la médecine et les statistiques qui en découlent ne sont pas des sciences exactes.

Mehdi avait trente ans et venait gâcher mon nid douillet de réassurance que je m’étais concoctée à coup de sirop d’articles scientifiques. Il avait trente ans et présentait depuis près d’un an une modification de sa personnalité, de son comportement et avait arrêté de travailler.

Les changements

C’était par ailleurs un gros consommateur de cannabis, dont l’usage s’était accéléré ces derniers mois. Il restait tour à tour cloîtré chez lui ou au contraire disparaissait de nombreux jours durant sans donner de nouvelles à son entourage. Celui-ci devenait de plus en plus inquiet à son égard.

Ses propos étaient délirants voire incompréhensibles à certains moments. Et surtout il avait une agressivité que personne ne lui connaissait jusque là. C’est dans ce contexte qu’il a été amené aux urgences. Ce avant d’être transféré dans notre unité fermée de secteur.

A l’hôpital

Mehdi nous mit rapidement dans le bain de ses nouvelles aptitudes. Il envoya au tapis deux aide-soignants en tentant de fuguer du service. Tout en vociférant des propos inquiétants. Après avoir déclenché l’alarme, du renfort vint des autres pavillons. Et nous pûmes non sans peine le maîtriser pour le conduire en chambre d’isolement.

Pour compléter, nous lui avons mis une contention physique. Afin d’éviter dans un premier temps de se prendre de nouvelles châtaignes. Il était particulièrement sportif. Et son physique athlétique lui conférait une dangerosité certaine en conditions de lutte.

Le délire

Son délire était particulièrement floride. Avec hallucinations acoustico-verbales. Il entendait les voix de trois hommes qu’il ne connaissait pas. Ils lui demandaient de faire du mal aux autres, l’incitant à la violence. Avec syndrome d’influence, ayant par moments l’impression d’être commandé par une force extérieure. Comme piloté par les petits aliens dans Men in Black.

Il présentait aussi un syndrome de référence. Avec interprétation que tout lui était personnellement dirigé, d’où que vienne l’information.

Il avait donc la chance de se faire draguer tous les jours par Louise Bourgoin. Elle faisait la météo de Canal +. Son show était entièrement dédié à Mehdi. Il comprenait aussi des messages cachés, codés pour qu’il les comprenne. Aussi bien à la télévision, la radio que les journaux.

Son attention était centrée sur ses perceptions déformées. Il en était arrivé à la conclusion qu’il était Dieu lui-même. Mehdi nous menaçait régulièrement de ses foudres divines tout en nous priant de le détacher.

Autant dire que nous avions une confiance aveugle…

Le traitement

Nous avons introduit des traitements antipsychotiques (neuroleptiques). Le but était de faire céder son délire. Et des traitements sédatifs pour l’apaiser. Mais il restait perché, toujours aussi véhément et délirant. Presque chaque tentative de le détacher se finissait mal. Il fallait inlassablement renouveler les prescriptions de contention physique et de chambre d’isolement.

C’est le patient que j’ai laissé le plus longtemps dans cette situation qu’on ne garde en général que quelques jours au plus. Il a fallu près d’un mois pour que son état mental puisse laisser envisager de le confronter aux autres patients sans qu’il ne risque de les envoyer aux urgences pour des fractures ou des plaies.

Lors d’un entretien

Un jour que je restais un peu plus longtemps à discuter avec lui. Pour essayer de percevoir une amélioration que nous attendions avec impatience, il me dit:

  • Vous savez docteure, les hommes ont tous une part de féminité en eux.
  • Ce n’est pas faux, lui répondis-je en me disant que s’il philosophait, c’est qu’il devait aller un peu mieux. Je commençais à réfléchir aux arguments biologiques qui pouvait sous-tendre ce genre de discours. Au livre humoristique mais néanmoins scientifique d’Alan et Barbara Pease “Pourquoi les hommes n’écoutent jamais rien et pourquoi les femmes ne savent pas lire les cartes routières ?” Il évoque un gradient de féminité quelque soit le sexe en fonction de l’imprégnation hormonale.
  • Oui, docteure, et moi, la femme qui est en moi, c’est le Diable!

Je n’ai pas su quoi répondre.

2 réflexions sur « Dieu le mâle et le Diable la femelle »

  1. Wo der Teufel nicht selber hingehen kann, schickt er eine Frau hin (je ne suis pas sûre que mon allemand soit tout à fait correct) : cette idée que la femme est le diable est universellement répandue dans le monde. Quelle était la vie passée de ce jeune homme ? L’environnement familial de son enfance ?
    Valérie Joubert
    http://psychologiepsychotherapie.com/

    1. Intéressante réflexion. Il avait vécu dans un environnement plutôt protecteur et inquiet vis-à-vis de lui avec une mère assez présente. Mais passait beaucoup de son temps accompagné par le cannabis depuis l’adolescence…

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