Charlemagne, l’internement et les électrochocs

Charlemagne

Un des patients les plus délirants que j’ai été amenée à voir avait un diagnostic de paraphrénie de posé. Il s’agit d’une maladie psychiatrique assez rare qui consiste à avoir un délire imaginatif. Très bien inséré dans la société jusque là, il était professeur de mathématiques, aimé de ses étudiants et apprécié de ses collègues initialement. Mais peu à peu, il avait commencé à délirer de façon de plus en plus étrange en étant de plus en plus convaincu de ce qu’il pouvait raconter.

Bien que d’origine africaine, il se savait du fait de son patronyme être un descendant direct de Charlemagne et devoir continuer son oeuvre de reconquête des territoires de son illustre ancêtre. La réunification de l’Europe en boutant les arabes de France et en partant en croisade contre l’invasion chinoise qui était à notre porte faisait partie de son plan guerrier et il aimait à parler de stratégie militaire. Les indiens d’Amérique du Sud complétaient le tableau géopolitique en ayant déclaré la guerre à la Chine, menaçant ainsi la vieille Europe. Il ne manquait plus que l’Océanie (Charlemagne étant d’origine africaine) pour représenter  l’intégralité du globe. A certains moments, je me disais qu’il s’était trompé de vocation, il aurait plus fait un tabac en cours d’histoire-géographie qu’en mathématiques…

Quelques temps avant son hospitalisation dans le service de psychiatrie de secteur où je l’ai rencontré pour la première fois en tant que toute jeune interne, il avait menacé de mort sa psychiatre avec une telle véhémence qu’elle avait légitimement pris peur pour sa vie et avait demandé à ce qu’il soit évalué plus amplement à l’hôpital. Une violence inouïe  ressortait de son discours mais il n’était jamais passé à l’acte et n’avait jamais agressé personne. Sachant qu’avant de passer à l’acte la majorité des personnes atteintes de troubles mentaux évoquent leurs projets, il valait mieux ne pas attendre de la voir décapitée devant la porte de son cabinet de consultation.

Son discours s’étoffant avec le temps, il devenait de plus en plus menaçant, malgré les traitements qui tentaient au mieux de maîtriser la violence qui montait en lui. Il en voulait encore plus à sa psychiatre, tenue pour responsable de son “internement” selon lui.

Je mets ici des guillemets au mot “internement” car en tant que psychiatre, il me choque assez souvent. Encore souvent utilisé par certains patients qui ont l’imaginaire d’une psychiatrie uniquement privative de liberté, je le trouve très réducteur et péjoratif et ai gardé l’habitude de corriger systématiquement les personnes qui l’utilisent en remplaçant par le mot “hospitalisation”. Même quand il s’agit d’un soin sous contrainte. Car il s’agit justement d’un soin. Et non d’une décision arbitraire.

C’est certes de la sémantique mais il m’arrive d’être pointilleuse quand cela a son importance en terme de représentation. L’”internement”  donne à la personne la sensation d’une extraction définitive de la société. Et cela ne correspond jamais à la réalité maintenant. Une hospitalisation a toujours un début et une fin: même si c’est long!

Pour revenir à Charlemagne, du fait de l’absence de réponse aux traitements qu’on lui dispensait, l’hospitalisation promettait d’être longue. Et un, et deux et trois et quatre traitements successifs médicamenteux sans avoir d’efficacité.

Du fait de la résistance pharmacologique et de la gravité des conséquences potentielles chez lui, une alternative nécessitant la “fée électricité” devenait indispensable. Nous lui avons ainsi proposé (certes de manière convaincante au vu du peu de résultats des médicaments) de faire des séances de sismothérapie aussi appelée électroconvulsivothérapie (ECT) et anciennement électrochocs. C’est juste le traitement le plus efficace dont on dispose en psychiatrie. Là où les meilleurs médicaments marchent autour d’une efficacité de 50%, l’ECT permet plus de 70% de rémission des épisodes psychiatriques pour laquelle on l’utilise. Avec même des indications d’utilisation en première intention. J’y reviendrai dans d’autres articles.

Après une dizaine de séances Charlemagne allait déjà beaucoup mieux et à la fin des vingt séances dont il a bénéficié, le délire était loin derrière lui. Il a ainsi pu reprendre son activité, en changeant évidemment de lycée pour que la réputation qu’il s’était faite avant son hospitalisation de le suive pas trop.

8 réflexions sur « Charlemagne, l’internement et les électrochocs »

  1. J’apprécie beaucoup vos écrits, Et venant d’une psychiatre , je suis encore plus ébahi par le style simple et percutant. J’écris aussi des histoires , mais vu par l’œil d’une psychiatrisée . Voir cette fibre littéraire …et humaine me remplie de joie .
    Un psychiatre voit et analyse au delà du DSM. Merveilleux!

    1. Merci beaucoup ! Et cela me fait donc d’autant plus plaisir d’avoir un retour de personnes ayant elles-mêmes vécu des expériences de l’intérieur de la psychiatrie.
      Vous avez aussi un blog?

      1. Merci à vous encore une fois. Cela donne un autre aperçu sur le psychiatre. Vraiment! Je n’ai pas de blogue même si mon médecin psychiatre me le dit et redit . Sans être une autre version  » charlemagne  » mais mon imagination est fertile, et encore plus en état de  » crise » , tout est imagée, fluide…
        Encore une fois, Je me délecte de vos écrits.

  2. Je l’ai fais ça les menaces de mort, suite à ça quelques heures de GAV, mais dans le rôle du psychiatre c’était le frère de ma mère, Il m’a sorti un « il est écrit tu honoreras ton père et ta mère » (faudrait déjà qu’on sache exactement ce qu’à mère ou ce qu’elle veut être: voyante extra lucide, psychologue, artiste peintre tout support, malade de la thyroïde ou atteinte de blocage/déblocage de cerveau*). Je lui ai passé je ne sais pas combien de coups de téléphone, cet espèce d’autiste ne répondait pas, je lui laissais des messages jusqu’à faire saturer sa boite vocale, il a utilisé ça pour porter plainte, j’ai échappé de peu au tribunal pour enfants (à 38-39 ans passés), avec un rappel à la loi un 1er avril, et l’impression de vivre dans un cirque, ou un zoo.

    Pour la généalogie, de notre côté c’est réglé, j’ai repris l’arbre jusqu’en 1628, pas de trace du général de gaulle, pas non plus de message codé de la résistance (Leuridan est un patronyme ordinaire pas un anagramme), ou peut être que je me suis allié avec les archives du Nord pour falsifier les registres, brouiller les pistes et faire disparaître les preuves. Un bon complot, pour nuire à ma mère, la faire mentir, encore 🙂

    *le déblocage de cerveau c’est quand on passe sa journée allongée sur un canapé en rotant et récitant « ça se débloque » et d’autres trucs . Ah! C’est la semaine du cerveau au fait.

  3. Merci pour cet article, synthétique, accessible et qui me conforte dans la possibilité d’adapter des méthodes alternatives à certains patients lorsque cela est adapté.
    Il me semble que nous partageons le même regard sur le terme « internement », pas vraiment approprié dans beaucoup de situations. Si vous avez l’occasion et l’envie allez lire mon article sur l’aide contrainte (https://www.thagae.com/publication/le-paradoxe-de-l-aide-contrainte/) et n’hésitez pas à commenter.

    1. Merci de votre commentaire. Effectivement il y souvent des méthodes alternatives, plus ou moins faciles à adopter en fonction des situations.
      Je ne manquerai de lire votre article!

  4. Juste quelques mots supplémentaires, à propos de généalogie, encore. J’ai commencé à m’intéresser à la mienne du côté paternel après avoir pris connaissance de celle mise en ligne par le frère de ma mère, côté maternel donc.

    La partie amusante maintenant. L’arbre du côté maternel était bien concentré dans un petit village des alpes maritimes, tellement que certaines épouses n’avaient pas besoin de changer de nom, ils se mariaient entre cousins apparemment, alors que c’est plus une coutume chez les gens du Nord dit on. J’ai utilisé la messagerie interne du site généalogie.com sur lequel se trouvait l’arbre pour transmettre un lien vers un article sur la consanguinité et la schizophrénie en Tunisie, c’est là qu’est née ma mère. L’arbre a complètement disparu du site dans les heures suivantes. Et sur geneanet ceux qui font des recherche sur cette famille sont avertis que les données fournies par cm8090 ne sont pas vérifiées. En tant que descendant du Seigneur de Belarbre je ne pouvais pas laisser un tel arbre exister, le mien est tout naturellement un bel arbre, pas énorme, une centaine d’individus pour un bonsaï généalogique, c’est de l’Art.

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