Fort Boyard et l’image de la psychiatrie en France

Fort Boyard

 

On pourra penser que cet article est opportuniste et profite de la bulle médiatique autour de cette problématique levée récemment à la suite d’énergies multiples. Probablement. Et ce n’est pas un problème pour autant. J’assume.

Si j’ai participé en tant que psychiatre, psychothérapeute et blogueuse sous mon pseudo “La Folie Ordinaire” en cosignant la tribune du Monde du 10 juillet 2017 intitulée “Fort Boyard: la maladie mentale n’est pas un jeu”, c’est que ce type de divertissement participe directement à la stigmatisation de la maladie mentale en la représentant de façon archaïque. De nombreux articles ont abordé le sujet dans la presse depuis sa première diffusion le 24 juin 2017. Vous trouverez une bonne partie de ceux-ci en bas de l’article.

l’Asile de Fort Boyard

En pratique, ce jeu consistant à mettre un participant en chambre d’isolement capitonnée et en camisole pour récupérer des balles avec sa bouche dans un environnement angoissant surfe sur la vague des peurs, comme à l’accoutumée dans Fort Boyard. En effet, il y a plusieurs types d’épreuves dans ce jeu: celles demandant des compétences sportives, une habileté dans un contexte stressant, une réflexion et celles pouvant mettre face aux peurs archaïques que chacun peut avoir.

Parmi celles-ci, il y a  les classique phobies des animaux qui sont régulièrement mises en oeuvre. Quoi de plus stressant de voir pour le spectateur la tête du participant avec des insectes grouillants, des araignées, des serpents, des rats ou autres bestioles qui ont une cote de popularité relativement pauvre…

La psychophobie

Sauf que cette année, les producteurs ont accepté des scénaristes de l’émission de surfer sur une nouvelle phobie: la psychophobie. La phobie de la maladie psychique, mentale. Bref, la peur du fou ou de le devenir et de se faire hospitaliser en psychiatrie. “Interner” comme je l’entend encore trop souvent, au point de faire saigner mes oreilles. Beaucoup de gens ont encore peur de se faire enfermer à vie comme cela avait pu être le cas à une époque révolue depuis longtemps. Les fantasmes de la Folie et de ses soins restent ancrés sur des représentations effrayantes qui ont eu un certain succès cinématographique.

Vol au dessus d’un nid de coucous

Et oui, beaucoup de personnes sont encore dans leur imaginaire à l’époque de Vol au dessus d’un nid de coucous  de Milos Forman qui avait consacré Jack Nicholson dans un rôle de fou qu’il jouera tout aussi bien dans un registre différent en 1980 dans Shining de Stanley Kubrick.  Dans Vol au dessus d’un nid de coucous, l’hôpital psychiatrique est représenté avec tous ses rituels, ses soins qui asservissent le patient à l’institution avec toutes les formes de traitement qui retirent la liberté d’agir. Les murs, les barreaux, les traitements neuroleptiques  qui zombifient, l’isolement, la contention physique avec les camisoles, les électrochocs fait à l’époque sans anesthésie générale, jusqu’à l’ultime lobotomie. Désolée de spoiler pour ceux qui ne l’avaient pas vu, mais le film reste génial à voir même si on en connaît le déroulé.

Il évoque juste une pratique révolue! Mais que continue à véhiculer ce genre d’épreuve de l’émission. Beaucoup de non usagers de la psychiatrie et de non soignants pensent encore qu’il s’agit du vrai visage de la psychiatrie d’aujourd’hui. Que le capiton et la camisole restent monnaie courante. Et du coup, lorsque les besoins de se soigner se font sentir, les gens n’osent pas recourir aux soins. En retardant l’accès aux soins, le pronostic de certaines maladies s’en voit aggravé. Pour les courageux , voici des articles de publications scientifiques sur le sujet (1-3).

Stigmatisation

Voir un(e) psychiatre est encore trop souvent considéré comme uniquement indiqué pour les fous. Toutes les expressions qui persistent dans le langage courant attestent encore de cette stigmatisation: “t’es fou”, “t’es malade”, “va te faire suivre” sont autant d’injonctions qui manquent de bienveillance. On se méfie du fou, de « l’anormal », de celui dont les réactions paraissent ne pas respecter les codes de la société. La crainte du passage à l’acte agressif est souvent sous-jacente, alors qu’il est bien connu dans le monde psychiatrique que les personnes atteintes d’une maladie mentale sont d’abord les victimes de violences avant d’en être les auteurs, de très loin. (4) Oui, mais dans le monde psychiatrique. Alors il faut diffuser cette information pour combattre les que les rares passages à l’acte médiatisés que retient le grand public.

Les soins psychiatriques

En psychiatrie en France, l’organisation des soins repose toujours en grande partie sur le secteur (cf cet article). Ce réseau est capital. Ceux qui le contestent parfois n’en comprennent généralement pas le rôle.

Pour revenir aux représentations des films, fort heureusement, à notre époque, il n’y a plus de lobotomie. Les électrochocs persistent parce que c’est le meilleur traitement existant sur le marché dans certaines indications précises (je ferai plus tard un billet sur le sujet). Mais en salle de réveil, sous anesthésie générale, en respectant un protocole strict qui permet l’absence de complications majeures outre des problèmes de mémoire. La camisole n’existe plus ou pratiquement plus bien que j’ai eu l’occasion de la voir une fois (cf cet article d’une expérience lorsque j’étais interne). Cependant la contention physique persiste sous d’autres formes (lire cet article). Elle peut être discutée dans un certain nombre de cas. Inutile dans d’autres. De même que les chambres d’isolement. Ces pratiques sont actuellement souvent encore nécessaire pour des raisons triviales que voici.

Elles sont utilisées majoritairement dans des situations de crise ou l’agitation d’un patient amènera à un besoin de canalisation. Cette canalisation peut être faite par la voie de la parole quand les soignants qui s’occupent de ces problématiques sont suffisamment nombreux et formés. Chose qui tend à être plus fragile avec une tendance à s’aggraver ces dernières années.

Les soignants en psychiatrie

La psychiatrie est souvent le parent pauvre de la médecine. Les budgets alloués sont souvent en deçà des besoins. Les équipes manquent de personnel. Le diplôme d’infirmier de secteur psychiatrique (ISP) a disparu en 1992 (5) et les jeunes générations d’infirmiers n’ont que la formation générale qui leur permet de passer de la psychiatrie à la réanimation ou la cardiologie de manière aisée.

L’importance du relationnel en psychiatrie, de l’empathie et de l’aptitude à déjouer les crises nécessite un sens inné ou une formation spécifique qui n’existe plus. Alors les soignants apprennent sur le tas. Ou pas. Je ne jette pas la pierre. Qui peut faire ce qu’on ne lui apprend pas. Il existe bien des formations a posteriori mais tout le monde n’y a pas forcément accès tout de suite et elles sont moins vastes que celles dispensées dans l’ancien diplôme d’ISP.

Changer les choses

Plutôt que de montrer la Folie sous cet angle, apportons donc un peu d’humanité, de soutien et participons à une meilleure connaissance des maladies psychiatriques qui permettront d’amoindrir les croyances qui laissent la peau dure à cette image négative de la psychiatrie et de la Folie.

Malgré le fait de raconter certaines histoires souvent tristes de mes patients, je suis plutôt une fille qui aime rire. Je peux même avoir une certaines tendance à aimer l’humour noir. Je relis par moments Pierre Desproges avec délectation. Mais là, cela n’a rien à voir avec de l’humour. C’est discriminant. Peut-être que c’est sans s’en rendre compte. Que vous ne voyez pas où est le problème. Mais c’est une réalité pour de nombreuses personnes. Alors s’il vous plaît France 2,  admettez-le et retirez cette épreuve de votre émission!

Merci aux nombreux Twittos avec qui j’ai pu échanger sur le sujet depuis dimanche et qui ont participé à la constitution de la Tribune du Monde. Je ne serai forcément pas exhaustive puisque nous étions plus de cinquante, alors pardonnez-moi, mais je cite @CdFous, @Babeth_AS, @Martinez_J_, @alexnlm, @Galatee, @DrPsydufutur, @LePsylab, @pedrosanchau, @Anne_A_P, @BeaulieuBap, @MartinWinckler, @Linternee, @Litthérapeute, @garsanis, @DelarueJC, @PhilippeBanyols, @odile31, @SolUsagersPsy, …

 

Voici les articles de la presse sur le sujet, classés chronologiquement:

 

le 27 juin:  

http://www.santementale.fr/actualites/asile-une-epreuve-de-folie-a-fort-boyard.html

 

le 28 juin:

https://informations.handicap.fr/art-ford-boyard-epreuve-psychiatrique-989-9992.php

 

le 29 juin:

http://www.huffingtonpost.fr/2017/06/29/lepreuve-lasile-de-fort-boyard-a-scandalise-des-parents-den_a_23007690/

 

le 3 juillet:

http://www.liberation.fr/france/2017/07/03/une-sequence-de-fort-boyard-emeut-les-associations-de-malades-mentaux_1581279

 

le 5 juillet:

http://www.sudouest.fr/2017/07/05/fort-boyard-l-epreuve-de-l-asile-fait-polemique-des-associations-portent-plainte-3591413-4693.php

 

http://www.rtl.fr/culture/medias-people/fort-boyard-une-sequence-scandalise-des-associations-de-sante-mentale-7789226485

 

http://www.lepoint.fr/societe/fort-boyard-pris-a-partie-par-des-malades-psychiatriques-05-07-2017-2140893_23.php

 

http://www.europe1.fr/medias-tele/polemique-a-fort-boyard-des-associations-de-malades-psychiatriques-vont-porter-plainte-3380795

 

http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/tv/polemique-a-fort-boyard-les-malades-psychatriques-portent-plainte-contre-l-asile-05-07-2017-7111455.php

 

le 8 juillet:

http://www.humanite.fr/fort-boyard-le-jeu-de-la-camisole-conforte-la-psychophobie-de-notre-societe-638588

 

le 10  juillet:

http://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/07/10/fort-boyard-la-maladie-mentale-n-est-pas-un-jeu_5158563_1650684.html

 

le 11 juillet:

http://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/epreuve-de-la-camisole-dans-fort-boyard-une-image-tres-choquante-et-effrayante-de-la-psychiatrie_2279383.html

 

le 12 juillet:

http://www.lesinrocks.com/2017/07/12/actualite/asile-capitonnee-humiliation-sexisme-fort-boyard-repousse-t-il-les-limites-de-la-tele-trash-11964978/

Et les quelques rares citations qui appuient le discours scientifique sous-jacent.

1/  https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3353607/

 

2/  https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3353608/

 

3/ https://www.mentalhealthcommission.ca/sites/default/files/2017-03/MI%20stigma%20in%20healthcare_barriers%20to%20access%20and%20evidence%20based%20solutions.pdf

4/ https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1525086/

5/ https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000527050&categorieLien=id

 

9 réflexions sur « Fort Boyard et l’image de la psychiatrie en France »

  1. j’ai été hospitalisé plusieurs fois en psychiatrie, j’ai connu l’HP une dizaine d’année avant 83, puis maintenant je connais la clinique psychiatrique, bien qu’on me refuse régulièrement le droit d’y aller, pas assez ou un peu trop, je suis borderline, c’est à dire que je vais tantôt bien, tantôt mal, la dernière fois que je suis allée en clinique, il y a 8 ans, phobie sociale, au bout de 8 jours, on m’envoyait dehors faire des courses, en plus déjà obése, j’ai demandé et obtenu qu’on ne me donne pas de médicaments qui me font grossir, alors oui on est loin des camisoles de force et de vols au dessus d’un nid de coucou, bon, je pense que si j’étais arrivée avec un diagnostic de déprimée suicidaire, le rapport avec les soignants auraient été différents, Le problème est que pour beaucoup la psychiatrie, ceux ne sont que les fous et les dépressifs, mais où est le danger dehors ou dedans, j’avoue que j’ai un jour désiré me faire hospitaliser en clinique, rien que pour avoir un bonjour bonne journée, certes, il y a des gros malades dans certains établissements, moi, cette clinique psy, c’est le seul endroit où je me sente en sécurité, la psychiatrie est peut être parfois l’endroit où l’on peut soigner sa solitude, même si on sait que ce n’est que provisoire,
    je voulais faire cet article afin de montrer qu’on est parfois très loin de Fort Boyard ou de vol au dessus d’un nid de coucou Malgré tout ma prudence m’invite à mettre un faux nom, chose que je ne ferais pas si j’étais en psychiatrie. Je crois que dans certains cas certains malades sont plus lucides que leur entourage, et que justement parfois les gens n’aiment pas qu’on va voir des psys où l’on doit parfois déballé des histoires de famille, pas toujours jolie

    1. Merci de ce commentaire ! Cela me semble important de pouvoir témoigner de ce vécu pour déstigmatiser ce qu’est la psychiatrie. N’hésitez pas à partager…

  2. Je suis schizophrène ! Et bien je travaille comme tout le monde ! J’ai un chéri et des projets ! C’est pas marqué sur ma tronche ! Et je ne suis pas folle, je suis juste malade ! A tout ceux qui stigmatise et qui passerai par la ! Vous êtes des gens négatif et fermé d’esprit ! Alors dites vous que le boulanger du coin de la rue est peut être bien schizo ou dissocié etc et qu’il n’est pas fou! La folie n’existe pas ! Ce n’est pas comme dans les films ! Très bon article ! Bonne continuation

    1. Merci de ce témoignage qui correspond bien à mon point de vue. Cela fait plaisir qu’il soit partagé par d’autres personnes, surtout aussi concernées par ce genre de problématiques.
      Des humains qui vivent leur vie. Émaillée de difficultés, d’épreuves et de belles choses, de partages.
      Cette ouverture à l’autre est primordiale. Et la différence une richesse.
      Si un maximum de gens est capable de majorer sa bienveillance envers les autres, l’humanité sera plus belle et la vie moins difficile…

    2. Si je commence à m’imaginer que le boulanger, le boucher, le buraliste, est peut être schizo, c’est assez mal barré … puis je vais me télécharger psychose, ça me changera de l’exorciste.

      1. Pourquoi donc serait-ce mal barré? Tous les patients n’ont pas un handicap au point de ne pas travailler. Tolérance et bienveillance ! Pour rappel dans l’article je dis que les sujets atteints de ce type de maladies sont plus souvent victimes d’agression que auteures. ..

        1. Ce serait mal barré parce que je n’ai pas envie de tomber dans le genre de travers où l’on est convaincu de savoir repérer, du premier coup d’œil, des signes de schizophrénie ou autre souffrance, chez chaque personne que l’on croise.

  3. N’oublions pas que c’est d’abord la psychiatrie elle-même qui stigmatise, qui isole et qui contentionne. Je salue bien évidemment cette initiative de condamnation mais tout cela ne servira pas à grand chose si les psychiatres et les soignants dans leur ensemble ne produisent pas un effort pour réduire encore et encore l’utilisation des méthodes les plus coercitives de la discipline.

    1. Je suis d’accord que la psychiatrie elle-même est à l’origine de cette stigmatisation. Après j’ai la (naïve?) impression que ce travail de réduction des pratiques les plus coercitives est bien engagé depuis un moment. Mais comme je l’évoque un moment dans l’article, que la tendance à la diminution des moyens peut la faire resurgir. La réassurance prend parfois un temps qui n’est pas disponible à certains soignants trop peu nombreux. Les mesures coercitives deviennent alors des pis allers pour « gagner du temps ».
      Dans tous les cas, la déstigmatisation ne pourra se faire sans les principaux concernés dans les soins, c’est certain!

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