Antoine a toujours eu le sentiment d’avoir été un peu rejeté par ses parents. Sa mère, elle avait la sensation qu’elle avait toujours été dans le jardin, jamais dans la maison. Comme si elle fuyait ses responsabilités. Elle ne lui parlait pas, ne le considérait pas. Antoine était convaincu qu’elle n’acceptait pas ce qu’il était. Physiquement et psychologiquement. Maigrichon qu’il était, il ne collait pas avec le schéma familial charpenté. Comment ce rejeton avait-il pu sortir de son ventre ?
Son père qui travaillait à l’extérieur de la ville, était très peu présent. Sévère, il le comparait à son frère sans relâche. Antoine avait eu le malheur de naître sans anomalie alors que son frère était sourd et avait eu une enfance faite d’aller-retours à l’hôpital, de soutien scolaire spécialisé. Bref, ses parents s’en étaient occupés. Antoine, quant à lui, s’était senti exclu de sa famille toute sa vie.
S’il était venu consulter, c’est qu’il avait l’impression que ce rejet se manifestait à nouveau dans un autre contexte. Agent polyvalent d’une maison de retraite ou Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD), Antoine commençait à être en difficulté dans son travail. Et pourtant, il avait toujours suivi les règles. Scrupuleusement. Une de de ses collègues qu’il qualifiait de manipulatrice avait tenté de liguer tous ses autres collègues contre lui.
Bien entendu, Antoine avait été voir la médecine du travail et expliqué de quoi il en retournait. Émotionnellement à fleur de peau, il ne comprenait pas comment les gens ne peuvent pas être réglo et ne pas faire leur travail correctement.
Alors oui, Antoine veut que les choses marchent, que la maison de retraite fonctionne, que les résidents soient choyés. Et cela lui semble impossible d’imaginer que l’on puisse penser différemment. Il signale donc tous les dysfonctionnements qu’il peut constater. A sa petite échelle, Antoine se dit que cela pourra améliorer la prise en charge de ces êtres humains sur le seuil de leur vie. Ils le méritent. Cet homme droit enrichit le registre des événements indésirables avec soins. Méthodiquement. Mais cela ne plaît pas à tout le monde.
Quand le cuisinier voit qu’il réfère que les desserts sont par moments donnés sans être décongelés, que les plats sont tellement salés qu’ils doivent déclencher des poussées d’hypertension, que le menu n’est pas respecté malgré la présence des produits, Antoine s’en prend plein la figure. Et se voit traité de collabo. Comme il se sent dans l’obligation de devoir protéger ses arrières, il note tout.
Il a noté que les fumeurs travaillaient moins que les autres agents, faisant parfois quatre pauses clopes par heure. Comment pourraient-ils être rentables et faire le travail dont les résidents avaient besoin ? Antoine a aussi vu que le nouveau directeur a enlevé un agent pour remplacer l’animatrice dans certaines de ses missions et la faire participer à d’autres qui ne lui semblaient pas utiles. Elle doit « aller en réunion » dans le bureau du directeur plutôt que d’animer des activités avec les résidents.
Il note. Parce que c’est juste pour eux. Parce que c’est son travail. Parce que les autres devraient le faire aussi bien que lui.
Tout ce qui se passe à la maison de retraite est consigné dans son carnet. Pour se défendre. Au cas où. Car Antoine a conscience que les autres le rejettent. Comme ses parents le faisaient quand il était gamin. Et ça, cela lui fait toujours aussi mal. Même si la cause qu’il défend, il en est certain, vaudra toujours le coup.
Car s’il ne prend pas soin et ne veille pas sur ses aînés, qui le fera ?
J’apprécie sincèrement cette approche « littéraire » de votre travail et cette attention que vous portez au choix de vos mots. Se lisant comme une nouvelle et ce texte court apporte une sacrée dose d’humanité à votre fonction. Je voulais simplement vous faire part de cet avis. Bonne continuation.
Merci de votre commentaire. Cela fait chaud au coeur!
C’est vrai que vous écrivez très bien et que c’est un bonheur de vous lire ! Vous comptez écrire un livre avec tous les cas que vous avez vécus ?
Par rapport au cas d’Antoine, je n’arrive pas à voir comment on peut l’aider et je reste perplexe devant cette situation. Cette personne est très consciencieuse dans son travail qu’elle fait avec cœur, mais en même temps elle est rejetée par toute l’equipe de l’EHPAD, rejouant ainsi son enfance.
Dans cette situation, quand votre patient a pris conscience que son passé se rejouait comme un traumatisme dans le présent, comment a-t-il pu se dégager de cette situation professionnelle difficile ?
Quelle a été la suite ? A-t-il démissionné pour retrouver la paix ou a-t-il modifié son comportement pour améliorer ses rapports avec les autres collègues ?
A-t-il continué à dénoncer les actes inadaptés des collègues ?
C’est un patient qui m’a beaucoup touchée dans sa détresse mais que je n’ai malheureusement pas pu aider. D’où mon peu d’intervention dans l’histoire. Il n’est venu que deux fois …
Bonjour
Je vis la même situation . Ce n est pas Antoine qui a un problème. Peu importe son enfance. Son comportement est tout à fait normal et professionnel. Je suis moi même obligée de tout consigner par écrit. Je travaille en réinsertion denperzonne handicapées psy et que faut il se taire lorsque les infirmiers par manque d attention et de professionnalisme font capoter un projet de vie? Distribuent les traitements snas verifier les prises . Donnent les médicaments en avance pour ne pas passer le week-end alors qu’ils ont deux passages par jours prescrits jours fériés compris. Les collègues disent que tout va bien alors qu’ une personne cardiaque qui ne prenait pas correctement son traitement par manque de vigilance des infirmiers décèdent d une crise cardiaque..que les gens mangent des boîtes de conserves alors qu’ on doit les aider à préparer des repas sains et équilibrés: obésité diabète et pathologies liées au cholestérol se multiplient. Les curatrices qui envoient leurs fils ou leurs beaux fils faire des travaux de renovation payés deux fois le prix du marché et effectués par des amateurs….faut il se taire de peur d être peu ou pas apprécié ..
Ou désigné comme délateur? Désolée j ai choisi de dénoncer les abus, les violences psychologiques et les manquements de respects vis à vis des plus fragiles d entrés nous et cela fait 7 ans que je suis à l écart mais que les bénéficiaires dont je m occupe vont bien et ne sont plus victimes des graves abus que j ai pu constater à mes débuts… Ce sont eux ma priorité
Merci beaucoup de votre commentaire et d’abonder dans le vécu d’Antoine.
Félicitations. Vous avez pu passer outre le désir d’être bien perçue et vous battre pour que vos valeurs puissent aboutir à des résultats encourageants.
En persistant et ne vous laissant pas emmener par le rouleau compresseur de la démotivation qui atteint tant de soignants, s’habituant aux dysfonctionnements plutôt de continuer à lutter éternellement contre ce qu’ils estiment au bout d’un moment être ces fameux moulins à vents à la Don Quichotte.
C’est courageux. Il faut dans ce cas une belle obstination et être capable de faire passer son confort professionnel après le bien-être de ceux que l’on prend en charge.
Et ça, ce n’est pas forcément donné à tout le monde!
Si le management de la structure est mal structuré, tout le monde souffre, les patients comme les pro. Les responsables ont vivement besoin d’une p’tite formation à l’encadrement d’équipe … à suggérer lors de l’entretien annuel… Si autant de collègues ont abandonné leurs propres fonctions, jusqu’à ne plus s’occuper des personnes dépendantes dont ils ont la charge, c’est bien qu’il y a un pb collectif, et non individuel. Un jour … pas tout de suite … nous serons à la place des ces personnes dépendantes et maltraitées. ça fait peur …
Oh oui!
Je suis très touchée par ce récit et j’espère que cet homme a trouvé un soutien sur qu s’appuyer inconditionnellement.
Merci pour lui pour moi pour tous ceux quii s’appliquent au soin de notre humanité commune, au plus près
Je vous embrasse
Merci de votre chaleureux commentaire !
Et continuons à prodiguer cet amour de l’autre. ..