Pharmacologie pratique ou pourquoi les hospitalisations durent plus longtemps en psychiatrie

pharmacologie

La pharmacologie a pour vocation d’étudier ce que les molécules des médicaments font pour permettre à ceux qui les utilisent de bénéficier de leur action. Je vous présenterai ici une courte version pratique qui a pour vocation à expliquer pourquoi l’influence du mode d’action des médicaments utilisés en psychiatrie conditionnent en partie la durée des hospitalisations.

La Durée Moyenne de Séjour

Les services qui accueillent des patients polytraumatisés qui doivent consolider un grand nombre de fractures avec des durées d’immobilisation parfois impressionnantes, les services de greffe, ceux de rééducation, de soins de suite et réadaptation, certaines situations complexes peuvent avoir des durées moyennes de séjour (DMS), comparables à celles de la psychiatrie.

Cette fameuse DMS offre des données chiffrées adorées de la classe politique et des directions d’hôpital, dans l’optique de toujours vouloir la réduire. Deux jours pour un accouchement normal, cinq jours pour une pneumopathie non compliquée, neuf jours pour une arthropathie de genou, vingt-sept jours pour une dépression, (http://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/191-la-prise-en-charge-de-la-depression-dans-les-etablissements-de-sante.pdf)

Il faut savoir que si la durée d’une hospitalisation est tellement différente de celles de séjours d’autres services  c’est que la plupart des traitements psychiatriques mettent du temps avant d’agir.  

Le DÉLAI D’ACTION

On a l’habitude de dire qu’il y a  un DÉLAI D’ACTION avant que les molécules ne soient efficaces. Il faut le temps aux molécules d’arriver au cerveau et de modifier les récepteurs à la surface des neurones, en changeant l’expression de nos gènes sur les cellules cibles. Autant dire que ce n’est pas la vitesse du texto malgré une vitesse de conduction des neurones de l’ordre de fractions de secondes.

Sachant qu’il s’agit d’un DÉBUT d’action, qui s’amplifie ensuite jusqu’à efficacité optimale. C’est pour cette raison qu’il faut attendre un bon moment avant de savoir si le traitement marche ou pas.

Ce délai est de 4 à 6 semaines pour les traitements antipsychotiques (anciennement neuroleptiques) qui ont pour vocation principale de stopper les délires et les hallucinations. Ces médicaments ont évidemment d’autres rôles, comme gérer des troubles du comportement, diminuer l’angoisse, améliorer le sommeil ou encore beaucoup d’indications moins fréquentes mais néanmoins indispensables.

Les antidépresseurs mettent quant à eux environ 3 semaines avant que les effets thérapeutiques ne pointent le bout de leur nez. On les donne dans les dépressions mais aussi tout ce qu’on appelle les troubles anxieux, les troubles obsessionnels compulsifs et là encore dans d’autres indications connues des médecins.

Les régulateurs de l’humeur ou thymorégulateurs peuvent mettre plusieurs mois avant d’agir pour certains. Ils se donnent dans les maladies bipolaires (ou psychose maniacodépressive ou maladie maniacodépressive) mais aussi lors de certains troubles de la personnalité où l’humeur nécessite d’être régulée.

D’autres molécules comme les anxiolytiques ont des délais d’action très courts, ce qui  aide énormément pour apaiser le temps que les traitement de fond puissent agir, mais qui peut aussi les rendre beaucoup plus attrayants dans un contexte d’addiction.

Les Effets Indésirables

Pendant ce délai ou le temps est long, on peut parfois “se divertir” par l’apparition de certains effets secondaires dont certains sont transitoires tandis que d’autres sont plus durables. Dans certains cas, on sait à l’avance que les effets indésirables de dureront pas. Dans d’autres cas, il nous laissent la surprise et seul le suivi attentif des patients nous permettra de savoir de quoi il en retournera.

Le fait est que si les effets indésirables ne sont pas graves ou gênants ou quand on sait qu’ils sont transitoires, on attend au moins la durée du délai d’action pour savoir si le traitement sera efficace chez la personne à qui on le donne. Si passé ce délai, rien ne se passe, on estime que le médicament n’est pas utile  à cette posologie (dose) et soit on l’arrête si la posologie est déjà optimale, soit on l’augmente si c’est possible. A ce rythme, on comprend mieux pourquoi le temps est l’allié du psychiatre et que celui-ci doit apprendre avec son patient ce qui le fait nommer ainsi: la patience!

Chloé et le TOC d’homosexualité

TOC homosexualité

 

Chloé, vingt-cinq ans,  est venue me voir au cabinet dans un contexte de crainte d’être homosexuelle. Elle se sentait jusque là intrinsèquement hétérosexuelle mais en est venue à avoir peur d’être attirée par les personnes du même sexe.

L’argent, la drogue et le porno

Plus jeune adolescente, comme beaucoup de ses copines, Chloé a eu des petites aventures ou du plaisir était ressenti lorsque quelqu’un d’autre qu’elle s’occupait de son corps, fut-il du même sexe. Tout plaisir était bon à prendre et cela ne lui posait pas de problème. Chloé avait aussi pu expérimenter de faire des fellations dans les WC du collège. Simplement, sans prise de tête. Sans sensation d’implication quelconque des conséquences potentielles. Elle avait eu un copain qui l’avait “débridée” et fait son éducation sexuelle à grand renfort de référentiel pornographique et avait vu pas mal de films dès cette époque.

Son père étant un chef d’entreprise gagnant bien sa vie, Chloé s’est sentie dans une aisance financière qui ne lui a pas permis de percevoir l’intérêt de l’investissement dans un avenir professionnel. L’avenir lui était dépeint comme doré quoiqu’elle fasse. Elle savait que tout pouvait lui être payé. De ce fait elle s’est déscolarisée après le collège, ne voyant pas ce que l’école pourrait lui apporter. Elle avait commencé au collège à fumer du cannabis, boire de l’alcool et prendre d’autres drogues comme de l’ecstasy ou de la cocaïne. Chloé pouvait le faire, alors elle le faisait. Elle ne se mettait pas de limites. Jusqu’à avoir la sensation progressive de se sentir prisonnière de cette vie. De subir les choses plutôt que de les décider.

Les difficultés psychologiques pour lesquelles Chloé est venue me consulter ont commencé quand elle a décidé de se sevrer des drogues qu’elle avait tendance à surconsommer. L’ecstasy n’était plus devenue que festive. Ce ne fut pas difficile. Le cannabis fut plus complexe car elle en fumait beaucoup, de même que l’alcool, qu’elle buvait quotidiennement. Chloé a pu arrêter tout sans aide extérieure. Seule. Par la force de sa détermination à se sortir de cela.  A ce moment, a débuté une anxiété un peu diffuse.

Le déclenchement du TOC

Peu après voire concomitamment,  elle a eu une aventure avec un homme probablement délicat, qui constatant qu’elle ne se lubrifiait pas d’excitation à le voir dressé devant elle, lui a dit:

  • T’es sèche comme un ruisseau au cœur de l’été, tu serais pas lesbienne par hasard?

Ceci l’a profondément choquée, questionnée dans son être, avec début d’un doute d’une profondeur qu’elle n’avait jamais vécu. Abyssale. Ce connard indélicat, qui aurait pu juste être considéré comme un goujat allait remettre en question le système de croyance jusque-là stable dans l’esprit de Chloé. La prétention de cet homme confiant en lui qui devait forcément amener à l’excitation de sa partenaire allait tellement de soi qu’elle ne put douter du caractère anormal de ne pas mouiller face à ce beau garçon.

Alors a commencé cette perpétuelle interrogation:

  • Quel sexe est l’objet de mon désir? Suis-je hétérosexuelle, homosexuelle, bisexuelle?

Nous avons alors commencé à travailler ensemble sur le sujet. Car cette interrogation, cette crainte, cette pensée, fait partie de ce que l’on appelle les obsessions qui rentrent dans la classification des troubles obsessionnels compulsifs.

L’obsession étant une idée pénible, une pensée, une image, un désir impulsif venant à l’esprit de manière répétitive, pouvant sembler apparaître contre la volonté, être considérée répugnante, dénuée de sens, ne pas correspondre à sa personnalité.

Du fait d’avoir eu des expériences sexuelles satisfaisantes avec des hommes, bien qu’ayant déjà eu des rapports lesbiens plus jeune, Chloé ne s’était jamais posé la question de son orientation sexuelle. Sur fond anxieux du fait des différents sevrages, c’est la fameuse phrase du pauvre type qui a tout déclenché, créant le doute qui caractérise les obsessions.

En permanence. Nuit et jour. Elle était envahie par ce questionnement chaque seconde de sa vie.

Chloé regardait déjà pas mal de porno, mais cette addiction flamba net. Elle consommait et se masturbait par moments plusieurs heures par jour. Cependant, le désir diminuait avec la fréquence des stimulations. Alors elle essaya de diversifier ce qu’elle regardait. Avec des vidéos lesbiennes. Et l’excitation se majora. Renforçant ses doutes.

La folie du doute

Chloé décida donc de passer à l’acte et de rencontrer une jeune fille via Tinder. Pour vérifier si elle trouvait cela plaisant ce qui l’aurait aidée à trancher, savoir, conclure. Bref, pour se séparer de ce doute qui caractérise tant les TOCs que les aliénistes du dix-neuvième siècle appelaient cette pathologie “la folie du doute”. Chloé n’a pas ressenti le désir vers cette autre femme qu’elle put tout de même trouver jolie. Mais celle-ci lui donna du plaisir. Tout se mélangea dans sa tête. Alors elle revit cette amante une deuxième fois. Mais ne fut pas plus avancée.

En parallèle, je me suis évertuée à lui faire comprendre que la thérapie avait pour objectif de lui permettre un assouplissement de son système de valeurs. Qu’elle était peut-être bisexuelle ou hétérosexuelle mais que cela n’avait aucune importance.

Devant l’intensité de l’angoisse, et à un moment ou ma disponibilité ne m’a pas permis de réagir suffisamment vite, sa médecin généraliste décida de lui mettre un traitement par antidépresseur. Qui sont connus pour donner chez les femme des troubles du désir et une anorgasmie (l’incapacité à pouvoir ressentir un orgasme) comme effets indésirables.

Cela lui permit d’être un peu soulagée, de pouvoir penser à autre chose, trouver un emploi de quelques heures par semaine dans une boutique de prêt-à-porter comme vendeuse pour “passer un peu le temps” . Chloé allait mieux.

L’attouchement par sa généraliste

Mais un jour, elle m’appelle en urgence pour me parler d’une expérience, lors même qu’elle doit me voir le lendemain. Déjà en consultation, j’entends à demi-mot ce qu’elle me dit et raccroche assez rapidement en lui rappelant que demain n’est pas très loin.

Le lendemain, je tombe de ma chaise lorsqu’elle m’évoque son expérience…

Elle était allée voir sa médecin généraliste qui la suivait entre autre pour des kystes à répétition des grandes lèvres. Comme les consultations précédentes, Chloé s’était déshabillée pour pouvoir être examinée sur le plan gynécologique. Sa médecin commença de manière rigoureuse puis se mit à la masturber. Chloé lui dit :

  • Arrêtez! Vous allez m’exciter…

La médecin continua après avoir retiré ses gants. Chloé hallucina, se sentant désemparée. Ne sachant comment réagir, elle se leva, ce qui ne changea rien. Elle essaya de remettre sa culotte sans  pouvoir ôter les doigts qui s’affairaient toujours. Trois minutes. Une éternité avant que sa médecin ne s’arrête.  Passage de la carte vitale. Prise du RDV suivant. Sortie du cabinet.

Elle venait de se faire attoucher par sa médecin généraliste. Alors qu’elle avait un envahissement de sa psyché d’obsessions autour de l’homosexualité.

Et après?

Elle devait aller à la piscine après sa consultation. Machinalement, Chloé y est allée. Elle nagea intensément, encore groggy de ce qui venait de lui arriver.

Chloé composa le numéro de sa mère en sortant de la piscine. Elle avait besoin de se confier. Celle-ci lui conseilla de porter plainte auprès de la police. Elle fut mal accueillie, non considérée et on lui demanda de revenir le lendemain. Sur le trajet du retour, elle eut envie de mourir. Au volant de sa voiture, des images passaient où elle se voyait accidentée. Elle n’en avait pas le désir , mais ces idées suicidaires lui traversaient l’esprit.

Chloé m’a appelée en rentrant chez elle. J’étais en consultation. Elle voulait savoir si j’avais une disponibilité. Nous avions RDV le lendemain. Je n’avais pas de créneau de libre le jour-même. Chloé est venue le lendemain pour me raconter ce témoignage effarant. J’ai du ramasser mes bras sur le sol du cabinet. Elle était très gênée, ne sachant que faire dans cette situation. Cette jeune fille avait clairement identifié que ce qu’elle avait vécu n’aurait jamais dû arriver mais elle avait peur de briser une vie professionnelle. Dilemme pour sa conscience. Pour l’aider à trancher, je lui ai dit de repasser voir la police pour au moins déposer une main courante.

Qu’en pensez-vous?