Vincent et la Nuit au Musée

la Nuit au Musée

Travailler dans un lieu classé n’est pas toujours facile. Et être le concierge de ce type de lieu a quelques avantages et bien évidemment des inconvénients. Vincent avait cette chance d’avoir un logement de fonction dans un petit mais beau musée bien placé dans la ville. Il aimait son travail mais il en ressentait de plus en plus les pressions. Vincent avait pas mal de difficultés à passer outre et être zen. D’un naturel anxieux, il avait commencé un suivi à la consultation de l’hôpital pour des éléments de phobie des chats remontant assez loin dans son histoire de vie.

C’était plus un prétexte pour commencer à se faire aider sur un sujet précis, mais très vite les consultations tournèrent plutôt autour du travail. Il ressentait la pression de ses supérieurs hiérarchiques qui lui en demandaient toujours plus. Ils révisaient sa fiche de poste régulièrement “pour le faire devenir fou”. Concierge sur le musée la journée avec d’autres collègues, il restait la seule personne sur place la nuit. A y dormir et devoir rester vigilant au cas où il se passerait quelque chose. Conscient du risque potentiel, il faisait sa petite ronde tous les soirs mais se couchait globalement sur ses deux oreilles. Mais ça, bien sûr, c’était avant le drame…

LA nuit qui fit tout basculer

Il fallait que cela arrive, alors c’est arrivé. Un soir, des visiteurs probablement impatients de connaître la nouvelle exposition avant l’heure, se sont dit que les visites nocturnes du musée pourraient être une bonne idée. Et ils ne se sont pas privés. Entrant dans les locaux en faisant suffisamment de bruit, ils réveillèrent en sursaut Vincent. Celui-ci prit son courage à deux mains pour appeler la police.

Connaissant les recoins du musée, il tenta d’abord de voir qui cela pouvait être puis se ravisa en réfléchissant aux conséquences potentielles si ses fervents visiteurs nocturnes, probablement passionnés d‘histoire, se retrouvaient être armés. La crainte d’une balle perdue, qu’il ne gagnerait pas à connaître, le mit mal à l’aise et distilla le courage qu’il avait. Alors il abandonna, dans l’attente de la cavalerie.

Les sirènes retentirent une vingtaine de minutes après, lui donnant l’impression de nombreuses heures, qu’il passa sur le qui-vive, calfeutré dans son appartement de fonction, se demandant si ses hôtes intempestifs iraient lui demander un café avant de partir malgré l’heure tardive.

Avec le barouf des gardiens de la paix, il était peu probable que les voleurs restent. Après leur avoir ouvert et parcouru le musée en la présence rassurante des forces de l’ordre, nulle personne dans les murs et Vincent constata que rien n’avait été volé.

L’insomnie, reine de la nuit

Qu’étaient-ils venus faire? Quel avait été leur projet? Y sont-ils parvenus et sinon pourquoi? Avait-il rêvé ou halluciné? Autant de questions qui tournaient dans la tête de Vincent qui commençait à ne plus pouvoir trouver le sommeil dans son antre historique.

Quand venait la nuit, le monde devenait peuplé de rôdeurs qui l’empêchaient de fermer l’oeil. Dormir était devenu l’assurance de la réitération de cette intrusion, qu’il considérait quasiment comme un viol.

Rapidement, ses troubles du sommeil s’aggravèrent et la situation se compliqua d’une dépression. Il fallut introduire un traitement antidépresseur et il aurait fallu faire un arrêt de travail. Mais comment arrêter quelqu’un dont le lieu de travail est aussi le lieu d’habitation, responsables tous deux de la symptomatologie? Vincent se trouvait confiné dans son logement de fonction et à chaque sortie, il croisait des collègues lui rappelant son métier, et à chaque fois que la nuit tombait, il savait que les conditions de la montée d’angoisse restaient réunies, car les budgets de l’état ne permettaient pas d’engager quelqu’un pour faire le vigile dans le musée.

Après quelques temps, il fallut se rendre à l’évidence que cela n’arrangeait pas les choses et il retourna au travail. Les antidépresseurs lui permirent de remonter un peu la pente, mais la crainte restait.

Et la crise dans tout ça

Pour compléter, l’Etat étant dans la recherche des dépenses inutiles, il recevait des pressions pour passer des concours qui lui permettraient de passer de catégorie C à catégorie B, en lui disant qu’ils pouvaient presque lui donner du fait de son ancienneté.

  • Mais je l’sais bien moi pourquoi ils font ça. Ils me prennent pour un crétin mais j’suis au courant que j’y aurai plus droit à mon logement de fonction si j’passe en catégorie B. Ils m’augmenteront de deux cent euros sur ma paie, mais qui va devoir se trouver un appart? C’est bibi. Et c’est pas avec deux cent euros que je vais me loger dans le centre-ville…

Alors, il hésitait. D’un côté, perdre son logement de fonction revenait à perdre une qualité de vie non négligeable. De l’autre côté, cela l’aiderait probablement à gérer ses problèmes de sommeil liés au contexte.

Quand j’ai quitté l’hôpital, il n’avait toujours pas tranché…

“Sœur de “

poésie et alcoolisme

Dans l’une des cliniques où j’ai eu l’occasion de faire des remplacements, j’ai suivi un temps une “sœur de”.

On a l’habitude de parler des “fils de”, mais on oublie souvent les “frères de” et les “sœurs de”. La lumière qui auréole certains peut avoir un revers de la médaille  non négligeable pour les autres.

Hélène était la sœur d’une star de la chanson, adulée par un public multigénérationnel car elle avait globalement su s’entourer des bonnes personnes aux bons moments.

La poésie

Oui, mais Hélène n’avait pas eu cette chance ou ce talent. C’était une littéraire, une érudite, citant mille poètes dont Baudelaire, Rimbaud ou Verlaine pendant les consultations (les seuls noms que j’ai retenus, dans mon illettrisme). Elle avait écrit plusieurs recueils de poésie elle-même, mais s’était trompée de siècle.

On ne se nourrit plus avec de la poésie seule, et les artistes des siècles passés, encensés à notre époque, ne vivaient déjà pas souvent de leur art. Elle m’avait prêtée l’un d’eux et malgré mon peu de sensibilité pour cet art, je trouvais son style agréable (bien que préférant celui de sa sœur!)

La poésie sans la musique n’est plus au goût du jour et pour retenir un texte, il est plus aisé d’y associer une mélodie.

L’alcool

Les fins de mois étaient donc difficiles. Les débuts de mois aussi. Alors elle tapait chez sa sœur pour vivre. Et cela lui donnait une certaine amertume. Goût qu’elle retrouvait dans la bière, qu’elle buvait par litres quotidiennement, pour oublier  le fossé qui la séparait de sa sœur en terme de réussite sociale, professionnelle et financière. Elle n’avait pas d’amis, ne travaillait pas et ne gagnait rien. Elle enchaînait juste les hospitalisations de dix à quinze jours pour sevrage entre deux noyades alcooliques où elle diluait son existence éthérée.

Quinze jours de conscience. Un mois et demi de brume. Dix jours de conscience. Un mois de brume. Le cycle se répétait depuis des années sans qu’une solution pérenne n’émerge.

Les traitements

Elle avait tenté les traitements antabuses (Disulfiram, qui ne peut être pris en même temps que l’on boit de l’alcool sous peine d’être très malade) et avait vomit ses tripes car n’était pas en mesure d’intégrer le “zéro alcool”.

Elle essayait au moment où je la voyais le Baclofène, un médicament à l’origine destiné à traiter les problèmes de spasticité dans les pathologies neurologiques en favorisant une relaxation musculaire.

Le Dernier Verre

C’est en transposant des études sur des rats sur lui-même qu’Olivier Ameisen, un cardiologue souffrant d’une sévère addiction à l’alcool a essayé cette molécule à forte doses là où elle n’est dispensée qu’en petites quantités pour son effet anti spasmes. Il s’est fait ensuite un devoir de faire reconnaître ces propriétés anticraving (qui empêchent ou diminuent l’envie de consommer) au grand public en écrivant “le dernier verre”, publié en 2008 avec un certain succès. Cela occasionna de longs débats, des études qui débutaient au moment où je voyais Hélène et récemment une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) en mars 2014.

Les problèmes de santé physique commençaient. Son foie et son pancréas n’aimaient pas, son cerveau devenait moins performant. L’association avec son tabagisme laissait penser qu’un cancer des voies aériennes supérieures pourrait prochainement s’installer. Devant ce parcours chaotique, elle attendait donc beaucoup du baclofène qui était mis sur un piédestal dans “le dernier verre”.

Elle disait:

  • C’est ma dernière chance, je le sais.

Je ne l’ai vue que pendant ce remplacement. Qui sait ce qu’elle est devenue…

L’indépendante Ginette et l’attente

Ginette

 

Ginette est une jeune femme de 88 ans que j’ai rencontrée pour la première fois en hospitalisation lorsque je faisais un remplacement dans une clinique psychiatrique orientée sur la prise en charge des sujets âgés. Elle venait parce qu’elle faisait des malaises à répétition, avec une sensation de somnolence après les repas qui la tétanisait.

Ancienne infirmière libérale, elle avait toujours été une femme indépendante. Ginette ne s’était jamais encombrée d’un homme à la maison et n’avait pas eu d’enfants. Elle avait beaucoup travaillé tout en ayant un bon réseau social. De fait, cette vieille fille n’avait jamais souffert de ce célibat choisi, ayant allègrement pu profiter des choses de la vie. Elle avait eu quelques romances, mais cela avait toujours été chacun chez soi, ne supportant l’idée de se faire envahir par un autre qui aurait eu des habitudes différentes des siennes.

Une fois la retraite arrivée, Ginette avait conservé un tonus qui l’avait incitée à rester très active. Dynamique, elle était toujours de sortie et gambadait avec son chien d’un pas allègre, voyant ses amis, se baladant et allant à des sorties culturelles, au gré des saisons et des voyages des uns et des autres.

Très investie dans le milieu associatif pour compenser le manque que l’arrêt du travail avait créé, Ginette ne leva un peu le pied que quand elle commença à avoir quelques douleurs des membres inférieurs qui limitèrent assez rapidement son périmètre de marche. Cela, six mois avant l’hospitalisation. Le diagnostic d’une neuropathie périphérique signa chez elle l’avènement d’une nouvelle ère, celle de la rapide descente aux enfers.

Peu de temps après, Ginette eut ses “malaises” pour lesquels elle avait quelques semaines avant été hospitalisée en cardiologie, avec étiquetage de ses sensations comme des crises d’angoisse ou attaques de panique après avoir éliminé les hypothèses cardiologiques. Elle avait donc été redirigée vers nous pour la prise en charge psychiatrique. C’est là que je la vis la première fois.

Frêle, ses cheveux blancs frisaient encore sur un carré élégant. Sa peau dont les rides dessinaient des paysages aux allures de Grand Canyon semblait faite de carton mâché. Au dessus de sa lèvre supérieure, tel un grain de poivre dont les racines tombaient, un “grain de beauté” semblait posé là. Ginette avançait avec sa canne et sa démarche était hésitante, ralentie. Elle parlait vite, anxieuse de ce nouveau lieu dont elle ne savait pas quelle aide il pourrait lui apporter.

Ginette m’exposa ses difficultés, s’excusant de ne pas paraître aussi assurée qu’elle aurait désiré, ne se sentant pas claire. Cette vieille dame voulait redevenir comme avant, gambader, retrouver son chien sur les chemins et continuer à marcher, ce qui la tenait en vie jusque là.

  • Ce n’est pas possible Docteure, je ne peux pas rester dans cet état. J’ai le coeur qui s’accélère, comme s’il allait lâcher, après les repas, peu après ressentir une grande sensation de somnolence.

Malgré le caractère atypique, cela m’avait tout l’air d’un trouble panique. Au vu de l’angoisse qu’elle se faisait en anticipant avec inquiétude que cela recommence. J’introduisis donc un antidépresseur. Au bout de quelques semaines, Ginette n’avait plus de crises d’angoisse. Par chance, les “malaises” cédèrent à l’arrêt des anxiolytiques qu’elle avait eu auparavant pour soulager son anxiété.

Ginette pu donc sortir de la clinique et rentrer chez elle. Je continuais à la suivre en consultation.

Ne restait plus que la neuropathie périphérique. Le neurologue ne prévoyait pas que cela s’améliore, mais pensait que cela n’allait pas s’empirer non plus. Elle était suffisante cependant pour changer la vie de Ginette, qui ne pouvait marcher plus de cinquante mètres sans aide. Elle, la randonneuse. Qui maintenant devait attendre d’être aidée pour faire sa toilette et s’habiller le matin, sortir en dehors de chez elle.

Et de pester du matin au soir sur le retard de l’aide ménagère, de l’infirmière, le fait que cela ne soit pas tout le temps les mêmes.

Ginette me confia  qu’elle avait désormais hâte que la journée se termine.

  • Le soir ça va mieux, car je n’ai plus rien à attendre…