En réanimation: trois avis pour le prix d’un!

Réanimation

 

Cette histoire n’est pas celle dont je suis la plus fière. J’ai même hésité à vous en faire part. Mais nul·le n’est irréprochable, surtout en situation inconnue. La boulette finale continue de me titiller la conscience quand j’y pense.

A l’époque où je donnais des avis psychiatriques dans les services de l’hôpital général, j’ai été appelée en réanimation. Le réanimateur d’habitude plutôt calme était survolté au téléphone. Il me demanda de venir en urgence pour l’aider à régler une situation inhabituelle pour lui. Jordan, un de ses jeunes patients était parti plus vite que prévu au ciel. Il avait eu un accident vasculaire cérébral (une hémorragie méningée pour les intimes).

C’était arrivé pendant l’acte amoureux avec sa copine Emma. Elle était enceinte de quelques mois et ils avaient le projet de se marier l’année suivante. Après appel rapide des pompiers et du SAMU, Jordan avait été pris en charge et était arrivé dans le service de réanimation inconscient.

Cela faisait déjà quelques jours qu’il restait dans un état préoccupant et il avait déjà fait une alerte cardiaque. Emma, la mère de Jordan et son frère le veillaient régulièrement dans le service. D’autres personnes se relayaient aussi, mais ce jour là, ce sont ceux qui étaient présents.

Au bout d’un moment, son coeur lâcha de nouveau. Les équipes de réanimation firent leur possible pour le faire repartir mais sans efficacité.

Jordan est mort à 23 ans. Il ne connaîtra jamais son enfant dont il ne connaissait pas encore le sexe.

Jusque-là je ne voyais pas trop ce qui lui semblait anormal dans l’exercice de son métier. Cette histoire horrible n’arrive malheureusement pas si rarement que cela. Voulait-il que je dispense un avis à cette jeune mère déjà veuve avant même d’avoir eu le temps de se marier? Le réanimateur poursuivit alors son récit pour m’expliquer ce qu’il attendait de moi.

Peu de temps après, Emma s’est mise en transe, chevauchant le corps de Jordan, répétant:

  • Il est là, je le vois. Jordan monte au ciel. Il a des ailes dans le dos. Mon ange, ne me laisse pas seule!
  • Descend de là, tu déshonores mon fils, lui rétorquait la mère de Jordan, choquée d’une telle attitude.
  • Il m’appelle. Il me fait signe, continuait Emma en se tordant, le visage vers le plafond de la chambre, illuminée par les néons envoyant une lumière artificielle qui devait l’aveugler en partie.

Ensuite, revenant de la cafétéria de l’hôpital, ce fut au tour du frère de Jordan d’arriver dans la chambre de réanimation qui pouvait se targuer d’avoir déjà plus d’ambiance que dans ces boîtes jaunes. Quand il vit que son frère n’était plus de ce monde, il décida de s’en prendre au réanimateur. Fou de rage, il hurla dans le couloir en se dirigeant vers le bureau médical:

  • J’vais m’le faire, il a tué mon frère!

Alerté•e•s par le boucan, les infirmier·e·s, les aides-soignant·e·s et les autres médecins disponibles vinrent à la rescousse.

Quand je suis arrivée comme une fleur, après avoir fini de m’occuper d’une autre situation moins rocambolesque, le réanimateur avait déjà tout géré. La petite amie occupait une chambre voisine. Emma avait accepté de prendre un traitement anxiolytique. Elle était beaucoup plus calme et commençait à descendre de son expérience. Tellement qu’elle n’était plus en mesure d’articuler des mots compréhensibles.

Le réanimateur avait aussi réussi avec l’aide de ses équipes à maîtriser et faire injecter le frère de Jordan. Il dormait dans le lit d’une autre des chambres du service de réanimation. La mère de Jordan avait été vue et veillait le corps de son fils.

Bref, le réanimateur me voyait après la bataille.

Il ne pouvait tenir en place. Je ne l’avais jamais perçu aussi fragile. Lui qui roulait habituellement des mécaniques et avait ce charisme rassurant. Vu le stress qu’il ressentait, nous avons finalement débriefé ensemble un bon moment. Je n’ai finalement parlé qu’avec lui et ses collègues. Les patient·e·s ne pouvaient plus.

Face à une mort contre nature, violente, les réactions aiguës de deuil sont parfois inattendues.  Nous étions dans un de ces contextes. Et chacun avait réagi avec ses tripes, son humeur du moment. Ce qui n’est pas toujours rationnel.

Une fois le debrief fini et les coordonnées de collègues proches de chez ces jeunes endeuillé•e•s données, machinalement, j’ai récupéré les étiquettes pour justifier du travail effectué, et j’ai pris celles des trois protagonistes hospitalisé·e·s de cette histoire.

A posteriori, je me rends compte que j’ai probablement fait facturer par mon service un avis psychiatrique à un patient mort et deux patient·e·s endormi·e·s…

Piotr et hystérie

Hystérie

Il  y a des jours où on ne se sent pas fière d’être psychiatre et d’être confrontée à l’impuissance en lien avec l’absence de responsabilité réelle.

Je m’explique.

Sur l’un des hôpitaux psychiatrique où j’ai travaillé (voir cet article sur le fonctionnement de la psychiatrie en France), il était de notoriété publique que l’un des collègue psychiatre était lui-même atteint de schizophrénie. Cela se disait. Je n’ai jamais vraiment su et en réalité je ne l’ai jamais rencontré. Je n’ai eu que le ricochet de sa propre pensée par la manière dont il s’occupait de ses patients.

En tant qu’interne, je devais passer le week-end dans les chambres d’isolement de tout l’hôpital (voir cet article sur les chambres d’isolement), pour évaluer l’état clinique des patients et reconduire ou non la prescription des chambres d’isolement. Je dis “ou non”, mais il était fortement “recommandé” de ne pas modifier la décision prise par les équipes en charge du patient et j’avoue sur cet hôpital n’avoir jamais eu la possibilité de ne pas reconduire un isolement. Hasard de l’état clinique des patients? Frilosité des équipes soignantes qui étaient présentes sans les médecins attitrés des patients? Il n’est pas évident de trancher.

Le fait est que j’ai eu l’occasion de rencontrer par ce biais Piotr, un jeune polonais qui avait beaucoup consommé de toxiques dans un contexte festif initialement puis vraiment addict au bout d’un certain temps. Les amphétamines (ecstasy ou MDMA) et la cocaïne lui avaient un peu grillé le cerveau.

Piotr était devenu très délirant, avec un syndrome de persécution et des hallucinations de tous registres responsables de troubles de son comportement qui lui permettaient difficilement de vivre en société. Il poussait des cris, grimaçait, se contorsionnait, jouait avec ses selles qu’il badigeonnait sur les murs et le sol. Il était quasiment impossible de communiquer avec lui, bredouillant des mots sans liens logiques et n’ayant pas l’air de percevoir ce que nous tentions de déterminer.

Nuit et jour, Piotr restait enfermé depuis des mois par son psychiatre psychotique. Dans une chambre de quatre mètres carrés où il recevait une mince lumière par une fenêtre située en hauteur, en plus de la lumière qu’il recevait du hublot de la porte d’où il pouvait être surveillé par les soignants pour sa sécurité.

Et tous les week-end, Piotr voyait un·e nouvel·le interne, choqué·e par la même problématique. Ce patient était sans aucun traitement médicamenteux car son psychiatre considérait que ses symptômes traduisaient un fonctionnement névrotique de nature hystérique. Son psychiatre ne croyait pas (ou ne voyait pas) que ce jeune pouvait être réellement délirant, expliqué par une maladie qui nécessitait un traitement. Il ne voyait que l’hystérie. La pauvreté du dossier médical pour étayer son argumentaire n’était pas de nature rassurante. La seule chose qui transparaissait de manière cinglante était la consigne aux blancs-becs du week-end que nous étions de NE PAS mettre de traitement antipsychotique (voir cet article sur le sujet).

Toutes les tentatives de changement étaient peine perdue, car à son retour le lundi, le psychiatre  arrêtait à nouveau le traitement qui aurait pu aider ce pauvre jeune, en proie avec une réelle souffrance à laquelle ce médecin ne croyait pas.

Simples internes, d’un service différent, nous n’avions pas de poids sur une décision qui de manière partagée n’était pas la bonne. Ce psychiatre continuait d’exercer, avec sa vision des choses, et les conséquences délétères sur ses patients.

Praticien hospitalier, fonctionnaire, il était protégé par sa caste au détriment des personnes qu’il devait soigner.

Nous étions impuissant·e·s…