Lenaïg, 17 ans, en grève de la faim depuis 5 jours

grève de la faim

 

Cette histoire illustre le peu de moyens et la complexité des prises en charge dans le domaine de la pédopsychiatrie.

Lors d’une garde en hôpital général, je suis appelée dans le service de rhumatologie pour voir Lenaïg, dix-sept ans dans une semaine, qui est hospitalisée depuis trois semaines pour une sciatique très douloureuse (hyperalgique dans le jargon médical).

Cette gamine est placée à l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) d’une autre région, retirée de la garde de ses parents qui ne sont pas en mesure de s’occuper de son éducation. Ils sont pourtant dans le milieu médical pour la mère et paramédical pour le père, mais Lenaïg a une personnalité fort affirmée qu’on pourrait qualifier de limite (voir  l’histoire de Cécile pour percevoir un peu mieux son vécu: https://lafolieordinaire.fr/index.php/2016/09/28/jai-ete-confronte-a-personnalite-limite-de-linterieur/).

Elle est venue sur notre région depuis un mois et demi dans un foyer pour pouvoir intégrer une école de comédie musicale. Mais ça ne se passe pas très bien. Elle se plaint de douleurs de sciatique de la jambe droite depuis un an et demi avec des crises qui nécessitent parfois des traitements lourds. Elle a nécessité ainsi la mise en place d’un traitement intraveineux (IV) par de la morphine et des antivomitifs car elle dit être aussi très nauséeuse quand elle a mal. Après de nombreux examens complémentaires (biologie, IRM du cerveau et de la moelle), le bilan ne retrouve pas de cause de ces douleurs.  

Un diagnostic de somatisation est fait, signifiant que l’origine des douleurs est dans la souffrance psychologique. Le pouvoir du cerveau est grand et dans certains cas, il peut convaincre qu’on a vraiment mal sans qu’il n’y ait de raison physique. En gros, elle n’a pas de traumatisme physique, les disques entre ses vertèbres sont parfaits et elle n’a pas de nerf coincé. Il est décidé de faire un relais du traitement  IV en traitement par la bouche, pour faciliter la suite de la prise en charge.

Mais Lenaïg n’est pas de cet avis. Elle veut continuer à avoir un traitement IV et demande à être nourrie par la perfusion. Du fait des nausées dont elle se plaint, elle dit être incapable de mettre quoi que ce soit dans sa bouche sans vomir et a décidé de ne plus rien y mettre, ni médicament, ni nourriture, ni eau. Elle fait la grève de la faim, et ce, depuis cinq jours. Elle est pourtant capable de fumer un bon paquet dans la journée…

Quand les rhumatologues m’appellent, le problème est que Lenaïg veut désormais sortir de leur service car elle ne se sent pas soignée. Ils ont été obligés d’appeler la sécurité de l’hôpital car elle devenait violente à leur égard, verbalement et physiquement. Situation difficile car légalement et administrativement, elle dépend à la fois de l’ASE de sa région et de ses parents. Le foyer de notre région a décidé de l’exclure au vu des difficultés qu’il avait à la prendre en charge. La gamine se retrouve donc sans point de chute en plein week-end prolongé.

La première fois que je la vois, elle est au téléphone dans sa chambre et quand j’annonce que je suis psychiatre, elle m’accueille avec un « cassez-vous, j’vois pas les psy » qui m’incite au contraire à rester. Je m’assied et écoute la conversation. Elle est avec un ami, « Loulou », et décharge sa colère contre le monde des adultes dont elle se sent victime. Sa mère doit avoir les oreilles qui sifflent très fort et j’en prends aussi pour mon grade. A la fin de son coup de fil, je commence mon entretien et comprend son angoisse de se sentir encore une fois abandonnée et sa détermination de faire chier les adultes qui sont responsables d’elle.

S’ensuit une série de coup de fils : mère, éducatrice du foyer, cadre du foyer, pédopsychiatre d’astreinte, sécurité, pédopsychiatre responsable de l’unité  sécurisée… Les heures passent mais j’ai de la chance : une place est disponible dans le service de pédopsychiatrie et il est finalement décidé de l’hospitaliser dans l’unité sécurisée pour la protéger du risque de fugue et débuter une prise en charge psychiatrique.

Malheureusement, il se passe quatre heures avant que les ambulances n’arrivent! Et bien évidemment, cela laisse le temps à Lenaïg de refuser le transfert.  Dans ce genre de situation, je n’en menais pas large. Tous les voyants étaient au vert pour que les choses se passent bien. Les médecins, le foyer, les parents, tout le monde était favorable à ce qu’il puisse y avoir un relais vers la psychiatrie. Oui, mais pas la principale intéressée!

Légalement, je n’avais pas d’inquiétude à me faire. Du fait de son statut de mineure, elle était sous des responsabilités qui m’avaient autorisée à faire ce transfert. Mais elle n’était pas d’accord et après des heures de négociation, cela voulait forcément dire nécessité de recourir à la force. Malgré ma réticence à recourir à ce genre de solutions, je n’eus pas le choix. Une injection intramusculaire d’un sédatif eut raison de ses velléités d’opposition et permit le transfert dans l’unité de pédopsychiatrie.

Quelques heures plus tard, je suis à nouveau appelée, cette fois–ci dans le service de pédopsychiatrie lui-même, car elle exige un lit médicalisé.

Avec la cadre du service qui s’était renseignée, nous lui expliquons la nécessité de patienter, car ce genre de matériel doit être commandé et n’est pas disponible en week-end ni en jour férié. Elle finit par se calmer au bout d’un moment.

Sur la fin de ma garde, je salue alors par avance la patience que mes collègues pédopsychiatres devront avoir pour négocier avec l’ASE de l’autre région pour lui trouver une solution de remplacement du foyer de notre région qui l’a gentiment éconduite.

Être pédopsychiatre, c’est parfois un peu être MacGuyver et bricoler une prise en charge avec les moyens du bord…

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