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Etre psychiatre et hospitalisé en psychiatrie

psychiatre et hospitalisé

Alors que j’étais jeune interne, j’ai fait la connaissance de Jean-Edouard, se retrouvant dans une situation un peu délicate. Hospitalisé dans un service de psychiatrie de l’hôpital général. Lui, qui est psychiatre.

Bien évidemment il ne se pensait pas immunisé contre la maladie mentale en étant soignant dans ce domaine. Il avait d’ailleurs déjà eu deux dépressions au cours de sa vie. Mais tout de même. Se faire poser le diagnostic de dépression mélancolique. Dans sa fonction et à son âge. Cela signifiait tellement de choses. Dont il ne pouvait être rassuré. Jean-Edouard savait tout. Il anticipait le déroulé de la situation. Ce qui participait à la majoration de son anxiété. Le Sachant a une longueur d’avance sur le Non-Sachant. Mais à quel prix. Celui de la crainte et du catastrophisme. En ayant vu le pire, le grave, la tendance à sélectionner les histoires de patients qui ont le plus mal tourné amenait Jean-Edouard à s’imaginer avoir tous les critères de gravité possibles et être sûr d’avoir tous les effets indésirables les plus gratinés des thérapeutiques qui pourraient être proposées.

Pour être claire, dans une situation comme celle dans laquelle il était, Jean-Edouard pouvait bénéficier soit d’un traitement pharmacologique par antidépresseurs, à l’ancienne, en intraveineux, soit d’un traitement par électroconvulsivothérapie (ECT, aussi appelé sismothérapie ou électrochocs (voir cet article sur le même sujet).

Le meilleur traitement et le plus rapidement efficace est la solution qui reste dans l’imaginaire collectif la plus intimidante (voir cet article sur Fort Boyard et l’image de la psy en France). Pour les psychiatres, le référentiel n’est pas l’imaginaire, la littérature ou le cinéma (même si l’on peut s’en nourrir et l’intégrer), mais l’expérience clinique. Cependant, chaque expérience clinique est subjective. Et si tous les médecins ne se basaient que sur leurs expériences cliniques, la médecine n’aurait pas avancé aussi vite. La science, les études organisées, vérifiées, répétées, ont permis de partager les connaissances et ne pas se limiter aux siennes propres. Scientifiquement, dans le contexte de sa maladie, le traitement de choix pour aller au plus vite vers une amélioration durable était donc l’ECT.

Mais pour Jean-Edouard, ce n’était pas possible. Dans son expérience personnelle de psychiatre, il avait vu trop de patients avec des effets indésirables qu’il ne pouvait tolérer avoir. Perdre la mémoire, même transitoirement, était inacceptable pour lui. Cela l’angoissait terriblement.

Car oui, ce traitement de choix a la possibilité relativement fréquente de donner des troubles mnésiques. Le plus souvent, il ne s’agit que de troubles de l’encodage durant la période des chocs. Cela signifie que les personnes oublient entre deux séances un certain nombre d’événements qui leur sont arrivés. Surtout lors de ce qu’on appelle le traitement d’attaque. C’est une période ou les chocs sont rapprochés, au début, avec deux ou trois séances par semaine, pour faire rapidement régresser les symptômes. Habituellement il n’y a pas d’impact sur la mémoire des événements arrivés avant le début des chocs et après la fin des chocs. Parfois, cela peut déborder et des pans entiers de mémoire semblent avoir disparu. La plupart du temps, quand cela arrive, c’est en fait comme si les souvenirs avaient joué au Rubik’s cube. Ils sont là, présents, mais mélangés. Il faut donc avoir la patience de pouvoir les retrouver, redécouvrir le chemin d’accès de leur nouvelle cachette.

Alors Jean-Edouard a choisi de refuser cette technique. Il a préféré sa bonne vieille perfusion d’ANAFRANIL (Clomipramine). D’autres effets indésirables peuvent survenir, mais ceux-là, il n’en avait pas peur. Ce n’était que du physique. Ce psychiatre sensible à la perte de contrôle garderait sa conscience de lui-même pleine et entière. Il ne risquerait pas sa mémoire, si précieuse.

Pour cette fois-ci, il avait eu le nez creux. Même si cette dépression était beaucoup plus grave que celles qu’il avait vécues par le passé, le traitement médicamenteux seul avait suffit à lui faire recouvrer toutes ses aptitudes. Jean-Edouard avait pu guérir de sa dépression. Reprendre le travail auprès de ses patients. Et amoindrir la culpabilité de les avoir un temps abandonnés.

Il avait su ce qui était le mieux pour lui. Nous l’avons écouté. Et ce malgré nos a priori sur ce que nous pensions qui aurait le plus d’efficacité le plus rapidement et la tentation d’essayer de le convaincre. Bien nous en prit. Jean-Edouard est guéri!