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Comment Emmannuel, mon patient atteint d’agoraphobie, m’a payé un café! 2/2

Agoraphobie

Voici le début de l’histoire d’Emmanuel

Acrophobie

Forts de ces victoires, nous avons décidé de passer à l’acrophobie. Le bâtiment le plus haut de l’hôpital faisait seulement six étages, mais il bénéficiait d’une belle terrasse qui me semblait l’endroit idéal. Seul hic, le seul accès que j’y avais trouvé était une fenêtre qui vu sa localisation, ne devait pas servir tous les jours. Il fallait déplacer une plante verte de deux mètres et enjamber la fenêtre. Après avoir tenté en vain de trouver quelqu’un à qui expliquer la démarche sans risquer que la sécurité ne se fasse appeler, nous avons fait un peu d’escalade et nous sommes retrouvés sur cette fameuse terrasse. Les bords étaient munis de rembardes, placées suffisamment à ras pour avoir une vue plongeante dès lors qu’on se penchait un peu. Plus au centre, nous pouvions contempler les autres bâtiments de l’hôpital sans être confrontés au vide. Nous avons donc commencé par cette partie plus aisée, pour nous rapprocher progressivement des bords, tout en cotant toujours l’anxiété d’Emmanuel. Quand elle dépassait cinq, nous revenions vers le centre, toujours dans le but de progressivement arriver à une diminution de plus de cinquante pour cent de la peur.

C’est alors que la cadre supérieure du service, bras droit du chef de ce service, nous intima de rentrer tout de suite avant que les gros bras ne déferlent sur nous pour nous y aider. Déconfits, telles des collégiens pris en faute par le pion, nous sommes rentrés en tentant d’expliquer ce que nous faisions. C’est là qu’elle nous apprit que plusieurs personnes s’étaient suicidées depuis cette terrasse l’année précédente et que l’entrée principale en avait été condamnée. Je la rassurais sur nos identités et nos démarches, mais elle ne nous laissa pas continuer, craignant que d’autres personnes ne nous voient depuis d’autres bâtiments et n’appellent les vigiles. La séance était incomplète et laissait un goût d’amateurisme qui me mettait mal à l’aise vis-à-vis des soins d’Emmanuel. Sentant cette gêne, il me rassura en me disant qu’on ferait mieux la prochaine fois. J’eus comme l’impression d’un changement de rôle…

Agoraphobie

La séance suivante, nous devions aborder l’agoraphobie. Parmi les situations anxiogènes en présence de grands espaces et de monde, celle qui l’était le moins était de se trouver en terrasse de café. Nous décidâmes de mettre cela en pratique, ce qui pouvait prêter à confusion de l’extérieur. Je n’étais pas tranquillement en train de boire un verre avec un patient (ce qui déontologiquement n’est pas sensé se faire) mais je travaillais avec lui, ponctuant de temps en temps avec une évaluation de son anxiété.

J’observais aussi son comportement et tentais de trouver des points communs entre certaines de ses phobies. Outre l’agoraphobie, on pouvait séparer en deux entités les phobies dont souffrait Emmanuel, toutes en relation avec ses sensations corporelles. L’acrophobie et la géphyrophobie mettait à mal l’adéquation entre sa vision et son oreille interne, le pont posant aussi le problème de la hauteur avec une peur du vide. Les autres étaient toutes en relation avec un mode de transport (y compris sa claustrophobie de l’ascenseur) et confrontaient Emmanuel à des accélérations et des décélérations qui lui procuraient les sensations désagréables qu’il interprétait comme les prémices d’une attaque de panique.

Débattant de ces hypothèses, je le sentais tendu, sur ses gardes comme s’il se préparait à mordre la première personne qui nous aborderait. Du fait de son passé, Emmanuel restait méfiant et s’attendait quasiment en permanence à être dans une situation présentant un danger possible.

  • Emmanuel, on se détend, il y a peu de chances de se faire enlever et séquestrer, tentais-je d’amener pour dédramatiser la situation, commençant un peu à connaître sa sensibilité à l’humour un peu noir.
  • Certes Docteure, mais on n’est pas à l’abri des gros cons que j’attire comme du papier tue-mouche. Je dois avoir l’air trop sympa et me fais systématiquement déranger.
  • J’ai vu des pit-bulls qui faisaient meilleure figure. On dirait presque que vous guettez l’agression, prêt à riposter.
  • J’suis angoissé. Tous ces gens ça me stresse un max. Bien sûr que j’suis hypervigilant. Faut que j’anticipe tout. Et celui-là j’le sens pas. A tous les coups il va vouloir me taxer une clope.

Loin de délirer, Emmanuel sentait certaines choses, et le quinqua qui en faisait au moins dix de plus du fait de son alcoolo-tabagisme et de son style vestimentaire un peu vieillot lui demanda effectivement:

  • Monsieur, n’auriez vous pas par hasard une cigarette à me dépanner?

Sa politesse et son langage, contrastant avec son allure, déstabilisa un temps Emmanuel, qui lui répondit d’une voix de présentateur de journal télévisé:

  • J’ai que des roulées et j’ai pas d’filtres. Ça vous ira quand même?
  • Tout m’ira tant que je peux encrasser mes poumons de goudron, lui rétorqua-t-il en perdant de son lyrisme.

Il prit une feuille, une boule de tabac, qu’il répartit sur la feuille. En tenant sa feuille entre ses pouces et ses majeurs, il la plia autour du tabac avec dextérité, mit un coup de langue sur le collant et finit d’un geste de magicien après son tour. Il tassa sa cigarette fraîchement roulée sur sa montre et fit mine d’amorcer une conversation.

  • Pas la peine de commencer ton baratin, on est occupés, lança Emmanuel.

Il avait du feu, s’alluma sa cigarette et comprit que le mieux était tout de même qu’il retourne à sa place, quelques tables plus loin. Emmanuel, tandis que nous reprenions, continuait de le toiser de biais, ayant l’air d’évaluer si la menace était encore d’actualité ou s’il pouvait relâcher la pression. C’était intéressant de voir comme la peur et la méfiance ressentie par cette homme pouvait tourner en agressivité dans la relation à l’objet de sa peur.

Il insista pour me payer mon café.

Je devins ensuite un temps sa psychiatre traitante, ne le suivant plus pour une thérapie mais pour renouveler le traitement que je lui prescrivais par ailleurs, avant qu’il ne déménage et que je ne le perde de vue.

Comment Emmannuel, mon patient atteint de phobies, m’a payé un café! 1/2

Phobies

Emmanuel, un des patients que j’avais suivi le plus longtemps dans ma pour l’instant courte carrière de psychiatre avant de m’installer en libéral, était déjà hospitalisé en hôpital de jour depuis des années quand je l’ai connu.

Il était suivi principalement pour une agoraphobie diffuse faisant suite à un trouble panique (répétition d’attaques de panique avec anticipation anxieuse d’en refaire).

Sa vie

Son enfance a été plutôt traumatisante et il était parti tôt de la maison pour  échapper à une vie qui lui était rapidement apparue comme incompatible avec ses aspirations. Ses parents tenaient un bar dans un village et leur logement était à l’étage. Emmanuel avait eu la “chance” de se faire attoucher par un client bourré qui avait réussi à monter sans que ses parents ne l’ait remarqué. Le manque d’attention et la violence de ses parents ne l’avaient pas aidé à se construire dans un environnement sécurisant. Il avait donc fui.

Pendant un moment de sa vie, il s’était posé des questions sur son orientation sexuelle et avait multiplié les expériences. Plutôt frêle, il avait plus souvent été attiré par des mecs balèzes aux muscles aussi saillants que les siens semblaient illustrer la loi de la gravité. Emmanuel est tombé ensuite sur un mec taré qui l’avait initialement séduit avec son bagout avant de le séquestrer des mois chez lui. Mort de jalousie, il ne pouvait supporter qu’une autre  personne que lui puisse poser le regard sur Emmanuel. Il avait réussi à s’échapper dans un moment de moindre vigilance des routines de son geôlier. Emmanuel avait pu faire des petits boulots, gagner sa croûte et se débrouiller.

Par la suite de ces expériences communes à tout un chacun, il avait développé une certaine méfiance envers ses concitoyens. Malgré tout, Emmanuel s’était trouvé une nana sympa avec qui il s’était installé et avait eu une fille, âgée de 6 ans au moment où j’ai commencé à le suivre. Il avait repris des études et avait pu trouver un job qui lui plaisait en tant que clerc de notaire. Cela se passait plutôt pas trop mal dans sa vie.

Genèse du trouble panique et de l’agoraphobie

Jusqu’au moment où Emmanuel fait une première attaque de panique (ou crise d’angoisse) alors qu’il était en moto sur l’autoroute. L’expérience de crise d’angoisse s’est répétée et il a commencé à développer une anxiété anticipatoire (la peur d’avoir peur) qui le paralysait et avait débouché sur une restriction progressive de ses activités à mesure que les attaques de panique avaient lieu dans différents contextes.

Il en était arrivé à être amaxophobe (ne plus pouvoir se déplacer en voiture ou dans les transports en commun), n’utilisant donc que ses gambettes pour faire les actions de la vie quotidienne. Emmanuel était aussi géphyrophobe (il avait aussi peur d’aller sur des ponts), claustrophobe (il ne pouvait se trouver dans un lieu fermé, notamment prendre un ascenseur), agoraphobe (il ne pouvait se trouver dans les lieux où il avait beaucoup de monde, de grands espaces, comme les centre commerciaux, les terrasses de café…), acrophobe (il avait peur des hauteurs), aérodromophobe (peur de prendre l’avion), sidérodromophobe (peur de prendre le train) et probablement encore d’autres phobies peut-être moins gênantes que celles évoquées.

Exposition avec prévention de la réponse

Jeune psychiatre fraîchement formée aux techniques comportementales qui sont les traitements les plus indiqués dans les phobies, je me suis alors astreinte à programmer un protocole d’exposition aux différentes phobies, en respectant les règles classiques de progressivité (on expose du plus facile au plus difficile, en sachant que les réussites du début rendent plus facile la suite.

Claustrophobie

Après  apprentissage et maîtrise des techniques de respiration abdominale et de relaxation qui permettent ce qu’on appelle la prévention de la réponse, nous avons donc commencé  par la peur dans l’ascenseur qui lui semblait la plus aisée. Étant dans un vieil hôpital pavillonnaire, le service dans lequel nous étions se trouvait dans un bâtiment peu élevé. Deux étages étaient vite parcourus, malgré la lenteur de ces vieilles machines qui pouvaient effectivement de pas inspirer confiance. Alors, ce fut une répétition de montées et de descentes, d’abord en ma présence, puis seul, qui permit progressivement à Emmanuel de se sentir plus à l’aise dans cette situation qu’il évitait un maximum jusque-là. Au bout d’un certain temps, Emmanuel était en mesure de ne plus songer en permanence à la possibilité de rester coincé entre deux étages sans pouvoir sortir de ce tombeau où il succomberait forcément à la répétition des attaques de panique, son cœur n’étant pas en mesure de supporter une vitesse de battements aussi soutenue (il s’agissait de son scénario catastrophe, qui sous tendait sa peur de l’ascenseur).

Géphyrophobie

Après l’ascenseur, nous sommes passés à la peur des ponts (qui s’appelle toujours la géphyrophobie, pour rappel qui vous évitera de remonter plus haut dans le texte). Dans le quartier où nous étions, nous avions à disposition de quoi faire.

Nous avons commencé par un solide quatre voies bordé de trottoirs permettant d’avoir une vue sur le fleuve. L’objectif était d’aller le plus lentement possible, histoire de réellement se confronter à sa peur, en essayant de repérer les évitements subtils (ou microévitements) qui sont des petits trucs que les gens font pour se confronter à la situation qui leur fait peur sans se confronter vraiment à la peur. Comme aller très vite, se répéter des phrases dites “contraphobiques” (qui luttent contre la peur), penser à autre chose, etc. Son truc était de courir. Il fallait limite avoir prévu une laisse pour éviter de le voir détaler. Nous avons donc programmé des étapes, en s’arrêtant régulièrement pour regarder le fleuve et faire durer la situation. Régulièrement, je demandais à Emmanuel de coter son anxiété sur une échelle de zéro à dix pour voir comment il évoluait, l’objectif étant que la peur diminue d’au moins cinquante pour cent pour que “l’exercice” soit considéré comme réussi. Ce fut chose faite.

Puis, nous sommes allés sur un pont plus étroit mais tout de même solide, avec la même progressivité et la même efficacité. Enfin, j’ai confronté Emmanuel à une passerelle en bois pour piétons, qui vibrait quand quelqu’un se mobilisait dessus, surtout lorsque nous étions vers le milieu, d’autant que la confrontation avec le vide était plus importante. Ce fut plus difficile, mais à force de répétition, cela devenait de plus en plus aisé. Il put ensuite le faire seul et avec sa famille, sans craindre de transmettre sa peur viscérale à sa fille.

C’était en effet sa principale motivation. Emmanuel avait remarqué que du fait de son comportement évitant, sa fille commençait aussi à manifester des symptômes de ce registre et il avait décidé de ne pas lui léguer cette difficulté. Il mouillait la chemise pour que sa fille ne finisse pas aussi isolée qu’il pouvait l’être en ce moment.

Suite de l’histoire la semaine prochaine!!!