Archives par mot-clé : Attaques de Panique

Comment Emmannuel, mon patient atteint de phobies, m’a payé un café! 1/2

Phobies

Emmanuel, un des patients que j’avais suivi le plus longtemps dans ma pour l’instant courte carrière de psychiatre avant de m’installer en libéral, était déjà hospitalisé en hôpital de jour depuis des années quand je l’ai connu.

Il était suivi principalement pour une agoraphobie diffuse faisant suite à un trouble panique (répétition d’attaques de panique avec anticipation anxieuse d’en refaire).

Sa vie

Son enfance a été plutôt traumatisante et il était parti tôt de la maison pour  échapper à une vie qui lui était rapidement apparue comme incompatible avec ses aspirations. Ses parents tenaient un bar dans un village et leur logement était à l’étage. Emmanuel avait eu la “chance” de se faire attoucher par un client bourré qui avait réussi à monter sans que ses parents ne l’ait remarqué. Le manque d’attention et la violence de ses parents ne l’avaient pas aidé à se construire dans un environnement sécurisant. Il avait donc fui.

Pendant un moment de sa vie, il s’était posé des questions sur son orientation sexuelle et avait multiplié les expériences. Plutôt frêle, il avait plus souvent été attiré par des mecs balèzes aux muscles aussi saillants que les siens semblaient illustrer la loi de la gravité. Emmanuel est tombé ensuite sur un mec taré qui l’avait initialement séduit avec son bagout avant de le séquestrer des mois chez lui. Mort de jalousie, il ne pouvait supporter qu’une autre  personne que lui puisse poser le regard sur Emmanuel. Il avait réussi à s’échapper dans un moment de moindre vigilance des routines de son geôlier. Emmanuel avait pu faire des petits boulots, gagner sa croûte et se débrouiller.

Par la suite de ces expériences communes à tout un chacun, il avait développé une certaine méfiance envers ses concitoyens. Malgré tout, Emmanuel s’était trouvé une nana sympa avec qui il s’était installé et avait eu une fille, âgée de 6 ans au moment où j’ai commencé à le suivre. Il avait repris des études et avait pu trouver un job qui lui plaisait en tant que clerc de notaire. Cela se passait plutôt pas trop mal dans sa vie.

Genèse du trouble panique et de l’agoraphobie

Jusqu’au moment où Emmanuel fait une première attaque de panique (ou crise d’angoisse) alors qu’il était en moto sur l’autoroute. L’expérience de crise d’angoisse s’est répétée et il a commencé à développer une anxiété anticipatoire (la peur d’avoir peur) qui le paralysait et avait débouché sur une restriction progressive de ses activités à mesure que les attaques de panique avaient lieu dans différents contextes.

Il en était arrivé à être amaxophobe (ne plus pouvoir se déplacer en voiture ou dans les transports en commun), n’utilisant donc que ses gambettes pour faire les actions de la vie quotidienne. Emmanuel était aussi géphyrophobe (il avait aussi peur d’aller sur des ponts), claustrophobe (il ne pouvait se trouver dans un lieu fermé, notamment prendre un ascenseur), agoraphobe (il ne pouvait se trouver dans les lieux où il avait beaucoup de monde, de grands espaces, comme les centre commerciaux, les terrasses de café…), acrophobe (il avait peur des hauteurs), aérodromophobe (peur de prendre l’avion), sidérodromophobe (peur de prendre le train) et probablement encore d’autres phobies peut-être moins gênantes que celles évoquées.

Exposition avec prévention de la réponse

Jeune psychiatre fraîchement formée aux techniques comportementales qui sont les traitements les plus indiqués dans les phobies, je me suis alors astreinte à programmer un protocole d’exposition aux différentes phobies, en respectant les règles classiques de progressivité (on expose du plus facile au plus difficile, en sachant que les réussites du début rendent plus facile la suite.

Claustrophobie

Après  apprentissage et maîtrise des techniques de respiration abdominale et de relaxation qui permettent ce qu’on appelle la prévention de la réponse, nous avons donc commencé  par la peur dans l’ascenseur qui lui semblait la plus aisée. Étant dans un vieil hôpital pavillonnaire, le service dans lequel nous étions se trouvait dans un bâtiment peu élevé. Deux étages étaient vite parcourus, malgré la lenteur de ces vieilles machines qui pouvaient effectivement de pas inspirer confiance. Alors, ce fut une répétition de montées et de descentes, d’abord en ma présence, puis seul, qui permit progressivement à Emmanuel de se sentir plus à l’aise dans cette situation qu’il évitait un maximum jusque-là. Au bout d’un certain temps, Emmanuel était en mesure de ne plus songer en permanence à la possibilité de rester coincé entre deux étages sans pouvoir sortir de ce tombeau où il succomberait forcément à la répétition des attaques de panique, son cœur n’étant pas en mesure de supporter une vitesse de battements aussi soutenue (il s’agissait de son scénario catastrophe, qui sous tendait sa peur de l’ascenseur).

Géphyrophobie

Après l’ascenseur, nous sommes passés à la peur des ponts (qui s’appelle toujours la géphyrophobie, pour rappel qui vous évitera de remonter plus haut dans le texte). Dans le quartier où nous étions, nous avions à disposition de quoi faire.

Nous avons commencé par un solide quatre voies bordé de trottoirs permettant d’avoir une vue sur le fleuve. L’objectif était d’aller le plus lentement possible, histoire de réellement se confronter à sa peur, en essayant de repérer les évitements subtils (ou microévitements) qui sont des petits trucs que les gens font pour se confronter à la situation qui leur fait peur sans se confronter vraiment à la peur. Comme aller très vite, se répéter des phrases dites “contraphobiques” (qui luttent contre la peur), penser à autre chose, etc. Son truc était de courir. Il fallait limite avoir prévu une laisse pour éviter de le voir détaler. Nous avons donc programmé des étapes, en s’arrêtant régulièrement pour regarder le fleuve et faire durer la situation. Régulièrement, je demandais à Emmanuel de coter son anxiété sur une échelle de zéro à dix pour voir comment il évoluait, l’objectif étant que la peur diminue d’au moins cinquante pour cent pour que “l’exercice” soit considéré comme réussi. Ce fut chose faite.

Puis, nous sommes allés sur un pont plus étroit mais tout de même solide, avec la même progressivité et la même efficacité. Enfin, j’ai confronté Emmanuel à une passerelle en bois pour piétons, qui vibrait quand quelqu’un se mobilisait dessus, surtout lorsque nous étions vers le milieu, d’autant que la confrontation avec le vide était plus importante. Ce fut plus difficile, mais à force de répétition, cela devenait de plus en plus aisé. Il put ensuite le faire seul et avec sa famille, sans craindre de transmettre sa peur viscérale à sa fille.

C’était en effet sa principale motivation. Emmanuel avait remarqué que du fait de son comportement évitant, sa fille commençait aussi à manifester des symptômes de ce registre et il avait décidé de ne pas lui léguer cette difficulté. Il mouillait la chemise pour que sa fille ne finisse pas aussi isolée qu’il pouvait l’être en ce moment.

Suite de l’histoire la semaine prochaine!!!

L’indépendante Ginette et l’attente

Ginette

 

Ginette est une jeune femme de 88 ans que j’ai rencontrée pour la première fois en hospitalisation lorsque je faisais un remplacement dans une clinique psychiatrique orientée sur la prise en charge des sujets âgés. Elle venait parce qu’elle faisait des malaises à répétition, avec une sensation de somnolence après les repas qui la tétanisait.

Ancienne infirmière libérale, elle avait toujours été une femme indépendante. Ginette ne s’était jamais encombrée d’un homme à la maison et n’avait pas eu d’enfants. Elle avait beaucoup travaillé tout en ayant un bon réseau social. De fait, cette vieille fille n’avait jamais souffert de ce célibat choisi, ayant allègrement pu profiter des choses de la vie. Elle avait eu quelques romances, mais cela avait toujours été chacun chez soi, ne supportant l’idée de se faire envahir par un autre qui aurait eu des habitudes différentes des siennes.

Une fois la retraite arrivée, Ginette avait conservé un tonus qui l’avait incitée à rester très active. Dynamique, elle était toujours de sortie et gambadait avec son chien d’un pas allègre, voyant ses amis, se baladant et allant à des sorties culturelles, au gré des saisons et des voyages des uns et des autres.

Très investie dans le milieu associatif pour compenser le manque que l’arrêt du travail avait créé, Ginette ne leva un peu le pied que quand elle commença à avoir quelques douleurs des membres inférieurs qui limitèrent assez rapidement son périmètre de marche. Cela, six mois avant l’hospitalisation. Le diagnostic d’une neuropathie périphérique signa chez elle l’avènement d’une nouvelle ère, celle de la rapide descente aux enfers.

Peu de temps après, Ginette eut ses “malaises” pour lesquels elle avait quelques semaines avant été hospitalisée en cardiologie, avec étiquetage de ses sensations comme des crises d’angoisse ou attaques de panique après avoir éliminé les hypothèses cardiologiques. Elle avait donc été redirigée vers nous pour la prise en charge psychiatrique. C’est là que je la vis la première fois.

Frêle, ses cheveux blancs frisaient encore sur un carré élégant. Sa peau dont les rides dessinaient des paysages aux allures de Grand Canyon semblait faite de carton mâché. Au dessus de sa lèvre supérieure, tel un grain de poivre dont les racines tombaient, un “grain de beauté” semblait posé là. Ginette avançait avec sa canne et sa démarche était hésitante, ralentie. Elle parlait vite, anxieuse de ce nouveau lieu dont elle ne savait pas quelle aide il pourrait lui apporter.

Ginette m’exposa ses difficultés, s’excusant de ne pas paraître aussi assurée qu’elle aurait désiré, ne se sentant pas claire. Cette vieille dame voulait redevenir comme avant, gambader, retrouver son chien sur les chemins et continuer à marcher, ce qui la tenait en vie jusque là.

  • Ce n’est pas possible Docteure, je ne peux pas rester dans cet état. J’ai le coeur qui s’accélère, comme s’il allait lâcher, après les repas, peu après ressentir une grande sensation de somnolence.

Malgré le caractère atypique, cela m’avait tout l’air d’un trouble panique. Au vu de l’angoisse qu’elle se faisait en anticipant avec inquiétude que cela recommence. J’introduisis donc un antidépresseur. Au bout de quelques semaines, Ginette n’avait plus de crises d’angoisse. Par chance, les “malaises” cédèrent à l’arrêt des anxiolytiques qu’elle avait eu auparavant pour soulager son anxiété.

Ginette pu donc sortir de la clinique et rentrer chez elle. Je continuais à la suivre en consultation.

Ne restait plus que la neuropathie périphérique. Le neurologue ne prévoyait pas que cela s’améliore, mais pensait que cela n’allait pas s’empirer non plus. Elle était suffisante cependant pour changer la vie de Ginette, qui ne pouvait marcher plus de cinquante mètres sans aide. Elle, la randonneuse. Qui maintenant devait attendre d’être aidée pour faire sa toilette et s’habiller le matin, sortir en dehors de chez elle.

Et de pester du matin au soir sur le retard de l’aide ménagère, de l’infirmière, le fait que cela ne soit pas tout le temps les mêmes.

Ginette me confia  qu’elle avait désormais hâte que la journée se termine.

  • Le soir ça va mieux, car je n’ai plus rien à attendre…