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Piotr et hystérie

Hystérie

Il  y a des jours où on ne se sent pas fière d’être psychiatre et d’être confrontée à l’impuissance en lien avec l’absence de responsabilité réelle.

Je m’explique.

Sur l’un des hôpitaux psychiatrique où j’ai travaillé (voir cet article sur le fonctionnement de la psychiatrie en France), il était de notoriété publique que l’un des collègue psychiatre était lui-même atteint de schizophrénie. Cela se disait. Je n’ai jamais vraiment su et en réalité je ne l’ai jamais rencontré. Je n’ai eu que le ricochet de sa propre pensée par la manière dont il s’occupait de ses patients.

En tant qu’interne, je devais passer le week-end dans les chambres d’isolement de tout l’hôpital (voir cet article sur les chambres d’isolement), pour évaluer l’état clinique des patients et reconduire ou non la prescription des chambres d’isolement. Je dis “ou non”, mais il était fortement “recommandé” de ne pas modifier la décision prise par les équipes en charge du patient et j’avoue sur cet hôpital n’avoir jamais eu la possibilité de ne pas reconduire un isolement. Hasard de l’état clinique des patients? Frilosité des équipes soignantes qui étaient présentes sans les médecins attitrés des patients? Il n’est pas évident de trancher.

Le fait est que j’ai eu l’occasion de rencontrer par ce biais Piotr, un jeune polonais qui avait beaucoup consommé de toxiques dans un contexte festif initialement puis vraiment addict au bout d’un certain temps. Les amphétamines (ecstasy ou MDMA) et la cocaïne lui avaient un peu grillé le cerveau.

Piotr était devenu très délirant, avec un syndrome de persécution et des hallucinations de tous registres responsables de troubles de son comportement qui lui permettaient difficilement de vivre en société. Il poussait des cris, grimaçait, se contorsionnait, jouait avec ses selles qu’il badigeonnait sur les murs et le sol. Il était quasiment impossible de communiquer avec lui, bredouillant des mots sans liens logiques et n’ayant pas l’air de percevoir ce que nous tentions de déterminer.

Nuit et jour, Piotr restait enfermé depuis des mois par son psychiatre psychotique. Dans une chambre de quatre mètres carrés où il recevait une mince lumière par une fenêtre située en hauteur, en plus de la lumière qu’il recevait du hublot de la porte d’où il pouvait être surveillé par les soignants pour sa sécurité.

Et tous les week-end, Piotr voyait un·e nouvel·le interne, choqué·e par la même problématique. Ce patient était sans aucun traitement médicamenteux car son psychiatre considérait que ses symptômes traduisaient un fonctionnement névrotique de nature hystérique. Son psychiatre ne croyait pas (ou ne voyait pas) que ce jeune pouvait être réellement délirant, expliqué par une maladie qui nécessitait un traitement. Il ne voyait que l’hystérie. La pauvreté du dossier médical pour étayer son argumentaire n’était pas de nature rassurante. La seule chose qui transparaissait de manière cinglante était la consigne aux blancs-becs du week-end que nous étions de NE PAS mettre de traitement antipsychotique (voir cet article sur le sujet).

Toutes les tentatives de changement étaient peine perdue, car à son retour le lundi, le psychiatre  arrêtait à nouveau le traitement qui aurait pu aider ce pauvre jeune, en proie avec une réelle souffrance à laquelle ce médecin ne croyait pas.

Simples internes, d’un service différent, nous n’avions pas de poids sur une décision qui de manière partagée n’était pas la bonne. Ce psychiatre continuait d’exercer, avec sa vision des choses, et les conséquences délétères sur ses patients.

Praticien hospitalier, fonctionnaire, il était protégé par sa caste au détriment des personnes qu’il devait soigner.

Nous étions impuissant·e·s…