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Le Syndrome d’Obélix

Syndrome d'Obélix

 

Franck est venu dans le service de psychiatrie de l’hôpital général pour une problématique complexe à la frontière de la neurologie et de la psychiatrie qui jadis avait passionné les grands spécialistes du domaine. Charcot et Freud pour ne pas les nommer avaient en leur temps travaillé sur la fameuse hystérie (voir cet article sur le sujet également ). Vaste sujet sur lequel Freud a débuté sa carrière avec ses “études sur l’hystérie” en collaboration avec Breuer. A l’époque, cette entité était assez vaste et regroupait des choses qui ont été depuis scindées.  Ainsi, les classifications actuelles parlent maintenant de Trouble de la Personnalité Histrionique et de Trouble de Conversion (trouble à symptomatologie neurologique fonctionnelle). Là où auparavant il était considéré que c’était un tout, il s’agit dorénavant d’entités distinctes. Tout simplement car l’ensemble n’était pas forcément retrouvé, loin de là.

Le trouble de la personnalité histrionique (anciennement personnalité hystérique), correspond à un mode de réponses émotionnelles excessives, avec quête d’attention. Dans le DSM, qui est une classification catégorielle, il y a la nécessité d’avoir la présence de cinq manifestations sur huit recensées pour en faire le diagnostic. La personne peut donc se sentir mal à l’aise si elle n’est pas le centre de l’attention des autres. Ses interactions avec les autres peuvent souvent être provocantes, dans la séduction.

L’expression émotionnelle peut être superficielle avec des changements rapides. Elle utilise régulièrement son aspect physique pour attirer l’attention sur elle. La personne a une manière de parler trop subjective, pauvre, en détails. Elle peut dramatiser, avec exagération de son expression émotionnelle. Par ailleurs, il peut y avoir une certaine suggestibilité, avec influence facile des autres ou des circonstances. Pour finir elle peut considérer que ses relations sont plus intimes qu’elles ne le sont en réalité.

Rien à voir avec Franck qui était plutôt d’un naturel anxieux et réservé, à plutôt vouloir rester dans l’ombre et assez peu enclin à communiquer ses émotions en règle générale.

Pour Franck, il s’agissait clairement d’un trouble de conversion. C’est à dire qu’il était atteint depuis quelques années de symptômes d’allure neurologiques persistants altérant la motricité volontaire. Sans argument neurologique objectivable. Toutes les investigations neurologiques avaient été faites. Il avait été vu par les plus grands spécialistes  des mouvements anormaux sans pour autant qu’une cause neurologique puisse être retrouvée. Les causes iatrogéniques (dues à l’intervention médicale) avaient aussi été explorées. Franck n’avait jamais reçu de médicaments pouvant induire ce genre d’effets indésirables.

Ce que je pourrais nommer pour lui comme le syndrome d’Obélix.

Rien à voir avec la persistance d’aptitudes extraordinaires par la mémoire du corps à continuer à profiter du dopage de la potion magique toute sa vie.

Spontanément, quand il n’y réfléchissait pas, ses bras se positionnaient vers l’arrière de son corps, ses mains en creux vers le haut, comme s’il allait porter un menhir à la façon d’Obelix. Il était aussi atteint de tremblements intenses lorsqu’il faisait des actions volontaires, ce qui l’empêchait notamment de s’alimenter. Franck avait perdu pas mal de poids. Il avait donc de par sa petite taille et sa maigreur plus le profil d’Astérix que d’Obélix.

Franck s’approchait de la soixantaine. Il était marié, avait trois enfants. Dépendant du Ministère de l’Education Nationale, il avait pu bénéficier de longues périodes de vacances scolaires qui lui avait permis de passer du temps avec eux. Maintenant, ils étaient devenus adultes et indépendants. Ils étaient partis de la maison. Franck se retrouvait seul avec son épouse. Au cours de sa vie il avait fait quelques dépressions. Suivi pour cela, il avait pris des antidépresseurs.

Peu avant son hospitalisation, il a été un moment suivi par une psychologue qui voyait dans l’expression de ses symptômes la matérialisation du désir qu’on s’occupe de lui, ce qui dans le jargon psychiatrique peut être appelé bénéfices secondaires. Alors oui, son épouse était aux petits soins. Mais était-ce vraiment plus que quand il n’était pas malade? Et y avait il un intérêt pour ce couple approchant de la retraite de limiter les bénéfices secondaires comme option thérapeutique. J’avais un doute.

Dans l’équipe, nous ne savions pas vraiment trop comment ni quoi faire. Tout avait échoué jusque là. Et le temps passait, sans réelle amélioration. En médecine, généralement, on raisonne de manière à savoir. En posant des diagnostics et en essayant de choisir des traitements dont on peut évaluer l’efficacité. Mais dans certains cas, le Savoir est encore limité, incomplet. Il faut savoir être humble. Et ce n’est pas toujours facile. Les médecins se veulent par moment tout puissants. Prenant personnellement certains échecs. A ce moment, il peut se dire qu’en sortant le bazooka, ce sera probablement plus efficace. Voire tous les corps des armées. Terre, Air, Marine à l’appui.

Nous avons donc programmé une prise en charge multidisciplinaire pour Franck. Poursuivant les antidépresseurs du fait des dépressions antérieures, nous avons complété par des rTMS (Stimulations Magnétiques Transcraniennes répétitives, l’acronyme étant en anglais). Je détaillerai cette technique un jour dans un autre article si le temps disponible me le permet. Je me contenterai de vous dire ici qu’il s’agit de mettre une bobine ressemblant à une poêle à frire contre la tête du patient, générant un champ magnétique qui modifie l’activité du cerveau. Il a poursuivi sa psychothérapie d’orientation analytique. Franck a vu également un thérapeute pratiquant l’hypnose. Et s’est engagé dans une kinésithérapie intensive pour lutter contre les raideurs musculaires.

Franck va mieux. Il peut manger sans se mettre la fourchette dans l’œil. Et n’est plus obligé de mettre en oeuvre toute sa concentration pour éviter d’adopter la position favorite d’Obélix. Cet homme vite épuisable jusque-là du fait de son état nutritionnel a pu reprendre du poids et des forces (sans toutefois arriver jusqu’aux caractéristiques physiques d’Obélix). Et il envisage même de reprendre le travail jusqu’à sa retraite officielle plutôt que de rester en invalidité!

Avec la technique du bazooka, on ne sait pas ce qui a marché. Peut-être que c’est une seule des techniques employées. Peut-être que c’est la synergie de tout ce que l’on a fait. Peut-être que c’est seulement le fait de s’être occupés de lui, d’avoir pris du temps, de l’avoir considéré. Nul ne le sait. Et ce n’est pas grave.

Mais l’esprit humain est ainsi fait. Il a le désir de comprendre, savoir, maîtriser. Parfois, il faut savoir lâcher prise. Ne pas trop se poser de questions. Juste être là. S’abandonner à la vie et accepter qu’elle ne suive pas le plan qu’on a envie de réaliser. Prendre la main qui nous est tendue. Et ne pas hésiter à en tendre également quand on est en mesure de pouvoir le faire.

Piotr et hystérie

Hystérie

Il  y a des jours où on ne se sent pas fière d’être psychiatre et d’être confrontée à l’impuissance en lien avec l’absence de responsabilité réelle.

Je m’explique.

Sur l’un des hôpitaux psychiatrique où j’ai travaillé (voir cet article sur le fonctionnement de la psychiatrie en France), il était de notoriété publique que l’un des collègue psychiatre était lui-même atteint de schizophrénie. Cela se disait. Je n’ai jamais vraiment su et en réalité je ne l’ai jamais rencontré. Je n’ai eu que le ricochet de sa propre pensée par la manière dont il s’occupait de ses patients.

En tant qu’interne, je devais passer le week-end dans les chambres d’isolement de tout l’hôpital (voir cet article sur les chambres d’isolement), pour évaluer l’état clinique des patients et reconduire ou non la prescription des chambres d’isolement. Je dis “ou non”, mais il était fortement “recommandé” de ne pas modifier la décision prise par les équipes en charge du patient et j’avoue sur cet hôpital n’avoir jamais eu la possibilité de ne pas reconduire un isolement. Hasard de l’état clinique des patients? Frilosité des équipes soignantes qui étaient présentes sans les médecins attitrés des patients? Il n’est pas évident de trancher.

Le fait est que j’ai eu l’occasion de rencontrer par ce biais Piotr, un jeune polonais qui avait beaucoup consommé de toxiques dans un contexte festif initialement puis vraiment addict au bout d’un certain temps. Les amphétamines (ecstasy ou MDMA) et la cocaïne lui avaient un peu grillé le cerveau.

Piotr était devenu très délirant, avec un syndrome de persécution et des hallucinations de tous registres responsables de troubles de son comportement qui lui permettaient difficilement de vivre en société. Il poussait des cris, grimaçait, se contorsionnait, jouait avec ses selles qu’il badigeonnait sur les murs et le sol. Il était quasiment impossible de communiquer avec lui, bredouillant des mots sans liens logiques et n’ayant pas l’air de percevoir ce que nous tentions de déterminer.

Nuit et jour, Piotr restait enfermé depuis des mois par son psychiatre psychotique. Dans une chambre de quatre mètres carrés où il recevait une mince lumière par une fenêtre située en hauteur, en plus de la lumière qu’il recevait du hublot de la porte d’où il pouvait être surveillé par les soignants pour sa sécurité.

Et tous les week-end, Piotr voyait un·e nouvel·le interne, choqué·e par la même problématique. Ce patient était sans aucun traitement médicamenteux car son psychiatre considérait que ses symptômes traduisaient un fonctionnement névrotique de nature hystérique. Son psychiatre ne croyait pas (ou ne voyait pas) que ce jeune pouvait être réellement délirant, expliqué par une maladie qui nécessitait un traitement. Il ne voyait que l’hystérie. La pauvreté du dossier médical pour étayer son argumentaire n’était pas de nature rassurante. La seule chose qui transparaissait de manière cinglante était la consigne aux blancs-becs du week-end que nous étions de NE PAS mettre de traitement antipsychotique (voir cet article sur le sujet).

Toutes les tentatives de changement étaient peine perdue, car à son retour le lundi, le psychiatre  arrêtait à nouveau le traitement qui aurait pu aider ce pauvre jeune, en proie avec une réelle souffrance à laquelle ce médecin ne croyait pas.

Simples internes, d’un service différent, nous n’avions pas de poids sur une décision qui de manière partagée n’était pas la bonne. Ce psychiatre continuait d’exercer, avec sa vision des choses, et les conséquences délétères sur ses patients.

Praticien hospitalier, fonctionnaire, il était protégé par sa caste au détriment des personnes qu’il devait soigner.

Nous étions impuissant·e·s…