Romain a croisé mon chemin à l’hôpital général. Il m’avait été adressé pour un syndrome de Gille de la Tourette consécutif d’un traumatisme. Rien ne serait arrivé sans “la faute à pas de chance”, comme il le disait si bien.
L’accident
Quelques années auparavant, alors qu’il était avec des amis, un pari fut fait. Ils avaient un peu bu, étaient en confiance, imaginatifs et un peu désinhibés. Alors il est monté sur un poteau de signalisation d’une impasse. Un truc sympa entre potes. Une gentille bêtise sans conséquences. Pour rigoler, faire une photo sur le trône et montrer ses aptitudes simiesques encore développées. Un pied, le deuxième par dessus le premier. Le premier revient au dessus du deuxième. Et zweep! Il glisse en arrière, tombant sur le crâne de tout son poids et d’un peu moins de deux mètres. Sur le bitume. Violemment.
Ses copains furent affolés, appelèrent les pompiers et il fut rapidement pris en charge en neurochirurgie. Un hématome s’était formé dans sa boîte crânienne, risquant de comprimer son cerveau. Après évacuation de l’hématome, il fit quelques jours de coma et fut hospitalisé quelques semaines. Il récupéra toute sa motricité. Sur le plan cognitif, il avait des performances proches de la normale, avec une vitesse de traitement de l’information légèrement moins bonne. Son aptitude au langage était globalement comme avant . Il avait juste un syndrome de Gille de la Tourette qui était apparu.
Diagnostic du syndrome de Gille de la Tourette (SGT)
Ce diagnostic est posé lorsqu’une personne souffre de tics involontaires, soudains, brefs et intermittents, se traduisant par des mouvements (tics moteurs) ou des vocalisations (tics sonores). Il s’ajoute fréquemment un ou plusieurs troubles du comportement : déficit de l’attention-hyperactivité, troubles obsessionnels compulsifs, crises de panique ou de rage, troubles du sommeil ou de l’apprentissage. Elle a souvent une composante génétique et débute la plupart du temps dès l’enfance. Pour plus de renseignements, voici la fiche orphanet sur cette maladie:
https://www.orpha.net/data/patho/Pub/fr/GillesdelaTourette-FRfrPub43.pdf
Cette maladie potentiellement assez impressionnante n’est pas inconnue du grand public. Plusieurs films ou séries mettent en scène des personnages qui en sont atteints. Notamment quelques épisodes d’Ally Mac Beal ou John sort avec une femme qu’il défend d’abord au tribunal pour avoir commis des crimes à cause du syndrome de Gille de la Tourette. De même, dans l’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, Oliver Sacks fait état d’un de ses patients, Ray, pour qui cette pathologie est synonyme de créativité musicale. Une fois le traitement effectif, il la perd et se demande si les tics ne sont pas son identité propre. Et que finalement vouloir lutter contre le transforme en quelqu’un qu’il n’est pas prêt à connaître.
Romain
Pour ce qui est de Romain, l’origine de son syndrome n’était pas classique. Mais les symptômes l’étaient. Qui le mettaient en grande difficulté. Les tics moteurs ne lui posaient pas trop de problèmes. Il clignait des yeux, haussait les épaules et se tapotait les genoux lorsqu’il était assis. Par contre, ses tics vocaux l’avaient déjà conduit dans des situations dangereuses. Il pouvait rire involontairement, mais surtout, avoir des coprolalies (proférer des insultes involontaires). A savoir chez lui de verbaliser à voix haute ce qu’il peut penser en présence des personnes. Comme Romain vit avec l’allocation adulte handicapé (AAH) car il n’arrive pas à travailler, il habite en HLM dans une cité de banlieue, avec une population diversifiée.
Tous les jours, Romain a l’impression de risque sa vie. Il lui arrive régulièrement de dire “sale noir”, “bougnoule”, “face de citron” ou “gros tas” et autres insultes dirigées contre des personnes qui ont pu se retourner contre lui et lui casser la figure. Involontairement, bien entendu. Comme s’il ne pouvait retenir les pensées qu’il savait ne pas avoir à dire. Romain avait déjà perdu deux dents comme cela. Et n’avait pas vraiment envie que cela continue.
Son moral était dans les chaussettes et il avait des envies de mourir pour ne pas avoir à continuer cette vie qui lui semblait trop difficile à vivre. Romain habitait loin et je ne l’ai pas vu très longtemps. J’ai un peu modifié son traitement. Il avait l’air mieux. Et puis il n’est pas revenu. Je me demande s’il a pu déménager et faire la formation qu’il avait eu dans les cartons à un moment de sa vie. A l’époque où l’espoir était plus vif…