Josette et l’odeur de pourri

odeur de pourri

Josette faisait partie des patients dont j’avais hérités sur le poste que j’occupais à l’hôpital général. Je la voyais pour la surveiller car elle avait eu une hospitalisation dans le service. Pour une dépression dite à caractéristiques psychotiques. Cela veut dire que lorsqu’elle avait été en dépression, elle avait eu aussi des éléments un peu bizarres. Avec des croyances particulières, délirantes. Et des hallucinations.

Josette était mariée depuis quarante-six ans avec Pierre. Ils avaient partagé des moments heureux. La naissance de leurs trois enfants. Leur éducation jusqu’à leur départ de la maison, qui fut nettement moins sympathique. Ils étaient tout pour elle et se retrouver sans aucun de ses rejetons dans la demeure familiale lui était insupportable. D’autant qu’ils avaient choisi des études qui les avaient amenés à tous partir à l’étranger. Tous les trois étaient à plus de huit-cent kilomètres d’elle.

Chouchouter sa progéniture faisait partie de son code génétique et aller à l’encontre de cette caractéristique biologique ne pouvait qu’entraver son bonheur. Non pas qu’elle n’aimait pas Pierre, mais il faut avouer qu’elle l’avait toujours considéré plus comme un bon père qu’un bon mari.

Alors se retrouver dorénavant seule avec lui n’était pas pour l’enchanter. Il était d’un tempérament rigide, aimant bien que les choses soient carrées, rangées. Pierre n’aimait pas trop la surprise, le changement. Bref il avait plutôt une personnalité obsessionnelle. Josette, quand à elle, était d’un tempérament plus spontané, fantasque. Elle avait une certaine originalité qui allait à l’encontre de la routine que Pierre aurait voulu installer de manière immuable.

C’est comme ça que l’ennui s’est immiscé dans la vie de Josette. Quelques grammes par ci, de bons gros kilos par là. Les journées commençaient de plus en plus à se ressembler et elle ne parvenait plus à faire la différence entre un dimanche et un mardi. Josette a alors fait sa première dépression. Pas classique.

Les premiers signes furent de se plaindre que tout ce qu’elle mangeait avait l’odeur et le goût de brûlé ou de pourriture. Ses sens la trompaient et elle avait des hallucinations olfactives et gustatives.  Puis elle enchaîna avec le reste du cortège des graves dépressions. Jusqu’à devenir incapable de sortir du lit, se laver, se nourrir. Chaque geste était considéré comme un effort impossible. Sa volonté n’était pas en mesure d’être stimulée suffisamment pour mettre en oeuvre ce que son cerveau décidait par moments, quand elle réussissait à prendre une décision.

Alors il fut décidé qu’elle soit hospitalisée. En psychiatrie. Mon prédécesseur s’est bien occupé d’elle, la tirant de cette mélancolie délirante avec un traitement bien conduit. Josette avait repris du poil de la bête et pouvait à nouveau jouir de l’intégralité des performances de ses sens. Elle put sortir de l’hôpital avec son traitement et fut suivie par mon prédécesseur en consultation à l’hôpital.

Quand le relais fut fait avec moi, j’ai pu constater  que Josette n’était pas déprimée au sens strict, mais conservait quelques symptômes résiduels. Un certain ennui et des envies relatives. Mais qui allaient avec l’histoire de son couple.

Elle était très demandeuse de réduire son traitement dont elle était convaincue qu’il lui avait fait prendre du poids et ne contribuait pas à la rendre la plus énergique. Les traitements qu’elle prenait pouvaient avoir ces effets indésirables. J’ai accédé à sa demande. Petit à petit. J’ai mis plus d’un an à retirer ses deux antidépresseurs et son antipsychotique.

Elle a rechuté le mois qui a suivi l’arrêt définitif du dernier antidépresseur.

Exactement comme la fois précédente. L’odeur et le goût de pourri. Puis l’envie de rien, jusqu’à ne plus quitter le lit. En très peu de temps.

Pierre m’a clairement fait comprendre qu’il divorcerait si Josette restait dans cet état.

Alors je l’ai refaite hospitaliser. En remettant les traitements pleine posologie.

Et en un mois et demi, elle s’est remise.

Il est resté.

J’ai promis de ne plus retirer son traitement et de le dire à la collègue qui reprendra le flambeau une fois que je serai partie.

Non! Il n’y aura pas de prochaine rechute…

Laisser un commentaire