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L’arrêt du lithium et le bras bifide coloré de Janine

lithium

Lorsque j’étais à l’hôpital général, en temps qu’interne, une patiente est arrivée dans nos lits dans un sale état, accompagnée de son mari. Janine avait pris sa retraite l’année précédente. Elle avait une soixantaine d’années. Enseignante en anglais, elle avait eu une belle carrière et pu s’épanouir dans tous les domaines. Mariée à Patrice, Janine vivait encore une belle histoire. Leur complicité était réelle. Ils avaient eu trois beaux enfants, partis de la maison depuis un moment. Ils avaient pu se retrouver à leur départ. Bref, tout se passait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Juste Janine avait eu pour antécédents à l’âge de vingt ans deux épisodes maniaques qui avaient justifié la mise en route d’un traitement par sels de lithium, le traitement de référence dans le trouble bipolaire (voir ici une autre situation de trouble bipolaire, avec Annie et celle de Colas, ses hauts et ses bas). Elle le prenait depuis trente ans et n’avait pas refait d’épisode depuis tout ce temps.

Mais cet été, Janine avait commencé à présenter des symptômes un peu bizarres. Elle fatiguait pas mal, ayant besoin de dormir beaucoup plus. Jusqu’à parfois s’assoupir dans des contextes inhabituels. Cette enseignante assez vive intellectuellement avait des difficultés à s’exprimer, perdait le fil de ses idées. A côté de cela, elle urinait beaucoup et buvait beaucoup. Par moments, Janine semblait perdre conscience de son environnement. Bref, cela n’allait pas. En voyant son médecin traitant, celui-ci fit un bilan biologique après l’avoir examinée et il retrouva une insuffisance rénale sévère et une lithiémie (le dosage du lithium dans le sang) beaucoup trop élevée. Le lithium fut arrêté et c’est à ce moment qu’elle arriva dans l’unité où je travaillais à l’époque.

Comme Janine était très sédatée, avec un franc ralentissement et des troubles de la conscience, le diagnostic de surdosage en lithium n’était pas très complexe à faire. Il s’agit d’un traitement dit « à marge thérapeutique étroite ». Cela signifie que s’il est sous-dosé, il n’est pas efficace et s’il est surdosé il peut être toxique. Janine avait eu un des effets indésirables du lithium relativement connu bien que loin d’être systématique : l’insuffisance rénale chronique. Elle arrive souvent très progressivement. Ce qui fait qu’en temps habituel, on a le temps de la voir venir. Mais Janine prenait ce traitement depuis si longtemps sans aucune conséquence qu’elle n’avait pas eu de suivi très rigoureux depuis un moment à ce niveau-là. Normalement, une lithiémie doit être faite de même que le dosage de la fonction rénale de manière régulière pour justement éviter ces mauvaises surprises.

Nous avons d’abord observé l’évolution de Janine. Le surdosage peut en effet durer longtemps et il n’y a pas de traitement spécifique contre cela. En même temps, nous devions discuter du traitement régulateur de l’humeur à mettre en relais du lithium. Janine était parvenue à vivre trente ans sans épisode grâce à cette molécule mais avait eu des épisodes assez graves lorsqu’elle était jeune.

Peut-être avons-nous trop attendu. En tous cas, à un moment, Janine à commencé à reprendre du poil de la bête. Elle s’est «réveillée». Est devenue plus vive, dans la communication, le contact. Elle nous racontait des blagues. Une certaine créativité s’était emparée d’elle, de toute part. Janine avait demandé à son mari un cahier, qu’elle était parvenue à remplir en une nuit, avec des poèmes, des découpages et collages à partir de magazines, des dessins, des chansons, des aphorismes…

C’était parfois sans queue ni tête.

Nous étions devant un nouvel épisode maniaque, relativement franc. Janine ne dormait plus, ne pouvait plus être suivie dans ses raisonnements tellement elle allait vite. Et cette productivité, désordonnée, pouvait être belle et incohérente à la fois.

Janine a même commencé à avoir une activité délirante, avec des hallucinations que je n’ai jamais retrouvé chez d’autres patient·e·s de cette manière là. Elle avait la sensation que son bras droit mesurait deux bons mètres de long, se finissant en pince de crabe au lieu d’une main, avec l’une des pinces rose et l’autre verte, toutes deux tirant sur le fluo. Elle le voyait et le ressentait de manière bien vivide, ce qui l’inquiétait à juste titre!

Nous avons donc introduit un nouveau traitement. Par antipsychotique (voir cet article pour en savoir plus). L’olanzapine, bien ancrée sur le marché à l’époque, fut choisie. Plutôt efficace pour la gestion des épisodes maniaques, elle n’était pas dénuée d’effets indésirables. Elle stimulait notamment bien la faim. Alors comme les repas de l’hôpital étaient limités dans leurs barquettes standardisées, Janine commençait à piquer le goûter des autres patients dans l’office. Plusieurs fois prise sur le fait, elle faisait la moue comme une enfant, arguant qu’elle avait l’estomac dans les talons et qu’on l’affamait volontairement pour la rendre folle.

Il est toujours un peu difficile dans ces moments de ne pas paraître maltraitant·e·s aux yeux des patient·e·s ou de leur famille. La iatrogénie du traitement, en créant la faim, avait provoqué des comportements inadaptés. Pour les corriger, il fallait limiter l’accès à la nourriture pour éviter que Janine ne prenne trop de poids. En la laissant souffrir de la faim.

On aurait aussi pu changer de traitement, mais les neuroleptiques classiques n’avaient pas la côte dans le service et les autres régulateurs de l’humeur n’agissaient pas assez vite pour régler les épisodes maniaques seuls d’après le raisonnement de mes chefs. Ainsi, il est classique de prescrire à la fois un antipsychotique ET un régulateur de l’humeur lors d’un épisode maniaque. Voire si l’agitation est importante, des anxiolytiques (régulièrement de deux classes différentes, benzodiazépines et antipsychotiques sédatifs).

La question se posait de réintroduire le lithium si la fonction rénale récupérait. Ce qui pouvait mettre pas mal de temps. Alors nous nous sommes dits que cela pourrait se faire dans un second temps.

Petit à petit, Janine s’est posée. Ses perceptions sont rentrées dans l’ordre. Son sommeil s’est rétabli. L’agitation et la créativité se sont peu à peu évanouies. L’impulsivité de ses comportements a régressé jusqu’à pouvoir la contrôler. Elle a même commencé à être à nouveau un peu plus fatiguée, sédatée par le traitement. La posologie a pu être diminuée. Comme la fonction rénale n’était pas encore rétablie à un niveau rassurant, nous n’avons pas remis le lithium.

Janine est sortie consciente, l’esprit clair, sur ses deux jambes. Elle avait été surprise par cet épisode, plein de rebondissements. Le lithium, ce médicament qui l’avait protégée durant trente ans, l’avait mise bien mal, au point d’avoir l’impression qu’elle avait failli y passer. Elle ne savait plus trop que penser de lui. Si elle désirait y revenir ou pas, indépendamment de l’avis des psychiatres.

Qui sait ce qu’elle a choisi depuis…

Annie, nue en isolement pour sa tentative de suicide

nue en isolement

Alors que je travaillais dans un hôpital de secteur psychiatrique, une patiente a été gravée dans ma mémoire. Je n’ai pourtant eu l’occasion de la voir qu’une seule fois, en chambre d’isolement (voir l’histoire de Piotr, dans des conditions similaires). Annie avait une grosse cinquantaine d’années, les cheveux longs, raides, de couleur poivre et sel. Le sel commençait nettement à dominer sur le poivre. Elle présentait un embonpoint certain, l’air fatigué, anxieuse. Une brosse à dent n’avait pas souvent dû rencontrer les siennes.

Dans sa chambre d’isolement, il n’y avait qu’un matelas. Pas de draps ni de couvertures, aucun objet risquant d’être détourné de ses fonctions pour être utilisé à “mauvais escient”.

Annie était en effet suicidaire et pour la protéger d’un geste agressif envers elle-même, tout objet pouvant avoir un rôle potentiel dans un passage à l’acte avait été retiré.

Elle se trouvait donc intégralement nue en isolement, recroquevillée en position fœtale sur son matelas en plastique non déchirable et non inflammable.

Au cours de l’entretien et en consultant son dossier médical, il semblait évident qu’Annie souffrait d’un trouble bipolaire de type 1 (voir l’histoire de Colas, souffrant de trouble bipolaire de type 2). Elle faisait des épisodes maniaques délirants avec insomnie totale, agitation, au cours desquels elle faisait n’importe quoi. A côté de cela, elle avait des dépressions sévères pendant lesquelles elle délirait aussi, avec des idées suicidaires et des tentatives de passage à l’acte qui nécessitaient de la protéger.

“Une” chose cependant me froissait dans sa prise en charge. Son traitement depuis 30 ans était de l’Haldol, un antipsychotique dit de première génération (voir cet article sur les antipsychotiques). Un traitement très efficace contre la schizophrénie, les épisodes délirants de manière générale ou dans le contexte des épisodes maniaques sur des durées restreintes. Mais qui est moins indiqué comme traitement de fond d’un trouble bipolaire. Même à l’époque où cette maladie se nommait maladie maniaco-dépressive ou encore avant psychose maniaco-dépressive. En effet, dans le trouble bipolaire, un traitement régulateur de l’humeur est mieux indiqué pour soigner au mieux ce type de pathologie.

Annie était hospitalisée cette fois-ci pour une dépression sévère avec un délire de ruine et des idées suicidaires très présentes ayant occasionné déjà deux tentatives de passage à l’acte pour cet épisode (voir le passage à l’acte de Nicolas dans le service). Une première fois elle avait tenté de mourir en prenant tous ses traitement au domicile, ce pourquoi elle avait d’abord été hospitalisée aux urgences puis en réanimation quelques jours avant son transfert dans l’hôpital psychiatrique. Elle était restée suicidaire et avait à nouveau tenté de se tuer dans le service à l’époque où elle était en chambre normale. Elle avait utilisé ses draps pour se pendre et avait été rattrapée de justesse avant que les choses ne dégénèrent.

C’est pour ces raisons qu’elle se retrouvait donc face à moi ce jour-là, nue comme un ver, dans cette pièce sombre et inhospitalière.

Elle était encore suicidaire et malgré la détresse qui se lisait dans son visage et qu’elle exprimait par la crainte de rester seule, encore une fois, il fallait reconduire cette fichue prescription d’isolement thérapeutique. Pour la sauver contre son gré. Et l’empêcher de mourir.

En espérant qu’elle croise vit la route d’un·e psychiatre qui changera son traitement et lui mettra un régulateur de l’humeur…

Victor ou des JO (jeux olympiques) à l’HO (hospitalisation d’office)!

JO à HO

Victor m’a marquée pour plusieurs raisons. Il avait eu un destin brisé et il illustrait le principe souvent vérifié que l’intensité de la maladie mentale est inversement proportionnelle à l’intensité des décompensations somatiques par ailleurs.

Je l’ai rencontré à l’hôpital psychiatrique lorsque j’étais interne. Victor était là depuis déjà quelques semaines et connaissait bien les lieux. Ce n’était pas son premier séjour, loin de là. Il souffrait d’une schizophrénie paranoïde avec un délire de persécution mais avait eu une vie riche en émotions. Gymnaste de haut niveau lorsqu’il était plus jeune, Victor avait été sélectionné pour participer aux jeux olympiques. Il s’était longuement préparé mais peu avant d’y aller il s’était mal réceptionné sur un saut et s’était fracturé les deux poignets. Abattu de cette malchance, Victor avait déclenché sa maladie peu de temps après et n’avait jamais pu revenir à sa profession. Il restait très costaud, très actif, mais il délirait souvent et retournait régulièrement à l’hôpital.

Victor, comme beaucoup de patients souffrant de schizophrénie, n’avait pas toujours conscience qu’il était malade et refusait par moments de conserver un traitement indispensable au long cours pour éviter les rechutes. Il revenait donc souvent dans ce lieu qu’il était en mesure de faire visiter aux nouveaux arrivants comme un guide de musée.

Quelques années avant, Victor avait été hospitalisé sous contrainte en HO (hospitalisation d’office, devenue depuis SPDRE pour Soins Psychiatriques à la Demande d’un Représentant de l’Etat). Il avait eu la bonne idée de participer au défilé militaire du 14 juillet et ce n’est qu’au bout de plusieurs minutes que la sécurité a pu constater qu’il n’avait pas le même uniforme que le reste du groupe dans lequel il s’était faufilé. Ayant une arme blanche sur lui, Victor fut rapidement pris en charge par l’Infirmerie de la Préfecture de Police de Paris (I3P dans le jargons des psychiatres) après avis du Préfet. Puis transféré sur son secteur en HO dès que la situation fut tirée au clair.

Contrairement à d’autres, il avait agi dans un contexte délirant et n’avait pas eu l’intention de tuer le président. Après ces frasques, Victor resta un bon moment hospitalisé et il lui fut donné un traitement dit retard (voir cet article sur les traitements antipsychotiques).

Il s’agissait d’injections intramusculaires d’un traitement neuroleptique dispensées toutes les quatre semaines. Cela permet aux patients qui ont tendance à souvent oublier les médicaments ou qui sont réfractaires à une prise quotidienne de pouvoir être tout de même pris en charge de manière efficace, tout en se sentant malades moins souvent. Le rappel de la conscience de la maladie n’est plus quotidien mais mensuel. Ce qui pour certains est beaucoup plus acceptables. Pour d’autres, cette modalité d’administration est mal vécue car elle peut rappeler les injections intramusculaires des traitements dispensés dans le contexte de passages à l’acte agressifs ou de refus de traitements par la bouche. Mais ce sont biens deux choses différentes. Même si cela peut déclencher des souvenirs avec des similitudes existantes.

Victor avait donc à la suite de cette hospitalisation des injections retard pour lesquelles il allait au centre médicopsychologique (CMP) toutes les 4 semaines. Cela se passait bien. Plusieurs années durant. Jusqu’à l’oubli d’un rendez-vous. Et par un concours de circonstances, malgré les relances du CMP, il s’est passé plusieurs semaines sans que Victor puisse bénéficier de son traitement. Il a rechuté, avec un délire de persécution assez floride qui a nécessité de le réhospitaliser. Très volubile, comme une pile électrique, son esprit partait dans tous les sens et il interprétait tout ce qui pouvait y avoir dans son environnement. Parfois très drôle, souvent incompréhensible, l’arborescence de sa pensée rendait Victor touchant. Son imagination débordait, suintait de cet esprit confus. Médicalement, nous avons sur le moment vu devant l’agitation et la vitesse de sa pensée et de son expression  un trouble schizoaffectif avec un épisode d’allure maniaque qui se manifestait. En ajoutant un traitement régulateur de l’humeur à cet effet, Victor a pu décélérer progressivement. Mais un épisode intercurrent retint mon attention. Un jour Victor eut une plainte inhabituelle. Une douleur abdominale violente, intense, avec de la fièvre. Après un examen clinique et une prise de sang, on posa le diagnostic de pancréatite aiguë. Devant la chronologie, nul doute qu’il s’agissait d’un effet indésirable du traitement thymorégulateur que nous avions introduit peu de temps avant. J’avoue que ce jour là je ne fus pas peu fière d’avoir eu l’idée de doser les enzymes du pancréas ayant permis de trancher. Parce que sur le Vidal, cet effet indésirable était marqué comme rare à l’époque (peu fréquent maintenant, avec précision du risque d’une “évolution fatale” si le traitement n’est pas arrêté précocement). Nous l’avons donc arrêté avec vélocité et hydraté Victor avec une perfusion contenant entre autre des antalgiques.

Ce qui me frappa par dessus tout était l’état psychiatrique de Victor quand il a commencé à avoir cette pancréatite. Méconnaissable, il était devenu posé, cohérent, lucide, capable de critiquer son délire avec justesse. Ce qui met en lumière ce que j’évoquais en début d’article et que j’ai eu l’occasion de voir dans de nombreuses circonstances: une personne avec une maladie psychiatrique aiguë, décompensée, a tendance à s’améliorer quand elle se retrouve avec une maladie somatique (physique, non psychiatrique) intercurrente. Avec dans certains cas des impressions de guérison complète. J’avais déjà eu une description dans cet article (Hara Kiri) de cette situation.

Des hypothèses de recherche sur une origine immuno-inflammatoire de certaines maladies psychiatriques tendent à compléter les interactions supposées entre l’état physique et la présence de maladies dites somatiques et l’état psychique avec la présence de maladies psychiatriques.

Faut-il pour autant imaginer provoquer des maladies physiques volontairement pour étudier le processus scientifiquement? Nul doute qu’aucun comité d’éthique ne pourrait laisser passer ce type de protocole pour tenter d’évaluer cette hypothèse.

Et heureusement!

Bipolaire: Colas, ses hauts et ses bas

Bipolaire

En psychiatrie comme dans les autres disciplines médicales, j’ai été amenée en tant que médecin à devoir faire le diagnostic de maladies chroniques. Une maladie chronique n’est jamais drôle, quelle qu’elle soit. Mais en psychiatrie, cela va souvent au delà. Un certain nombre de questionnements existentiels apparaissent généralement.

Cela faisait déjà quelques mois que je suivais Colas dans un contexte anxieux. Il avait déjà fait des dépressions au cours de sa vie et s’était présenté dans un moment où cela allait mieux. Il voulait cependant travailler sur lui et comprendre ses difficultés d’autant qu’il avait une famille un peu compliquée.

Nicolas faisait partie de ces personnes que l’on pouvait trouver assez agaçantes à l’école. Toujours le premier, et en même tant toujours catastrophé par sa scolarité, la pression des devoirs, des examens et des craintes itératives sur son avenir. Il souffrait déjà précocement de ce que l’on appelle l’anxiété de performance. Doutant toujours de lui, Colas était toujours convaincu que ce qu’il faisait ne suffisait pas, qu’il courait droit à l’échec. Du coup lorsque ses petits camarades lui demandaient ce qu’il pensait des examens qu’il passait, il avait toujours de la peine à s’évaluer et croyait sincèrement avoir raté. Mais il finissait souvent par avoir les meilleurs résultats. Perfectionniste à souhait, il ne pouvait se contenter de résultats moyens. Il a donc fini par majorer son école d’infirmier.

Quand Colas est venu me voir, nous avons donc commencé par travailler sur ce sujet. Apprendre à rater, faire moins bien, se satisfaire du nécessaire comme le dit si bien mon ami Baloo quand il veut nous apprendre à être heureux. Colas s’est assoupli. Il a pu petit à petit être moins exigeant avec lui-même. S’accorder des petits plaisirs, puis des plus gros. Au travail, il a pu se détendre, commencer par rigoler un peu avec ses collègues, ne plus se flageller à la moindre mini erreur, même sans conséquence.

Comme cela allait mieux, progressivement, nous avons pu diminuer les antidépresseurs.

Parallèlement à cela, Colas me confiait ses histoires de famille. La maladie de sa mère dont sa soeur avait aussi hérité. Et sa satisfaction d’être passé à travers les mailles du filet. Sa mère est bipolaire, maladie aussi nommée psychose maniaco-dépressive ou maladie maniaco-dépressive à une époque que les jeunes psychiatres ne peuvent pas connaître.

Cette fameuse maladie qui peut donner des périodes d’humeur élevée appelées manies ou hypomanies en fonction de l’intensité, alternant avec des périodes de dépression, et des périodes où tout va bien, quand même.

Sa mère avait déjà été hospitalisée à de nombreuses reprises et avait un diagnostic de bipolarité de type 1, ce qui correspond à l’option avec phases maniaques.

  • “Elle est bien cognée”,  comme il avait l’habitude de dire. “Avec le délire et tout ce qui va avec”.

De fait, il avait dû gérer sa mère à de nombreuses reprises. De part son métier, il était l’interlocuteur de choix pour tous les soucis médicaux de la famille. Et toutes les semaines, il y avait du nouveau. La hotline Colas fonctionnait à plein régime sur les périodes où il ne travaillait pas. Car partir de la ville de ses parents n’avait pas suffi à ce qu’on ne lui délègue plus tout ce qui avait trait de près ou de loin à ce qui se rapporte à la santé. Physique comme mentale. Il aidait sa famille comme il aidait ses malades. Dévoué, corvéable à merci, sans fixer de  limites.

Là aussi nous avons essayé de travailler sur l’aptitude à se protéger, savoir dire non et ne pas se laisser envahir pour garder la tête hors de l’eau et éviter une éventuelle rechute de dépression.

Et puis peu à peu j’ai vu Colas s’animer plus, faire de nombreux projets, de loisirs, de voyages, de formations supplémentaires. Il me confiait dormir moins, se sentir irritable, moins se concentrer au travail, faire des blagues un peu plus de que de coutume, être de plus en plus speed jusqu’à ce que sa copine ne le lui signale de même que ses collègues.

Je n’avais probablement pas voulu le voir, mais en reprenant ses antécédents, cela lui était déjà arrivé. Colas connaissait bien la maladie de sa mère et avait perçu que certains éléments ressemblaient. Même s’il se défendait de lui ressembler, comme il ne ressemblait pas non plus à sa soeur.

  • “Je n’ai jamais été hospitalisé. Cela n’a rien à voir”, tentait-il de se convaincre.

Nous avons évalué l’index de bipolarité. La barre était franchie.

Nous avons conclu qu’il avait ce diagnostic et qu’il faudrait probablement et assez rapidement introduire un traitement régulateur de l’humeur. Je lui ai dit que nous y réfléchirions d’ici à la prochaine séance.

Je l’ai revu et nous avons longuement discuté. Du diagnostic de bipolarité de type deux que l’on pouvait évoquer, car les symptômes étaient d’allure maniaque mais de faible intensité, mêlés à des symptômes dépressifs, d’où le diagnostic précis d’épisode hypomane avec caractéristiques mixtes. Des traitements possibles, de leurs effets indésirables, des délais d’efficacité, de l’évolution de la maladie et de la durée de la prise de traitement…

Et puis de l’acceptation.

Alors j’ai vu les yeux de Colas s’embuer.

Comment accepter un tel couperet. Malade psychique. Pire que les maladies vénériennes. Honteuses. A cacher. Comment accepter ce qu’on ne peut partager, que l’on doit garder secret. Comment savoir qui l’on est, comment faire confiance à ses pensées, ses émotions, quand on sait qu’elles sont faillibles et qu’elles peuvent vous trahir.

Tels étaient les questionnement de Colas. Qui s’enchaînaient avec une célérité à la hauteur de celle du cow-boy solitaire tirant plus vite que son ombre.

Nous avons choisi un traitement ensemble en fonction du profil d’efficacité et d’effets indésirables tolérables.

J’ai fait l’ordonnance.

Et nous avons pris rendez-vous rapidement pour en rediscuter et mettre en place un processus d’Education Thérapeutique

Pharmacologie pratique ou pourquoi les hospitalisations durent plus longtemps en psychiatrie

pharmacologie

La pharmacologie a pour vocation d’étudier ce que les molécules des médicaments font pour permettre à ceux qui les utilisent de bénéficier de leur action. Je vous présenterai ici une courte version pratique qui a pour vocation à expliquer pourquoi l’influence du mode d’action des médicaments utilisés en psychiatrie conditionnent en partie la durée des hospitalisations.

La Durée Moyenne de Séjour

Les services qui accueillent des patients polytraumatisés qui doivent consolider un grand nombre de fractures avec des durées d’immobilisation parfois impressionnantes, les services de greffe, ceux de rééducation, de soins de suite et réadaptation, certaines situations complexes peuvent avoir des durées moyennes de séjour (DMS), comparables à celles de la psychiatrie.

Cette fameuse DMS offre des données chiffrées adorées de la classe politique et des directions d’hôpital, dans l’optique de toujours vouloir la réduire. Deux jours pour un accouchement normal, cinq jours pour une pneumopathie non compliquée, neuf jours pour une arthropathie de genou, vingt-sept jours pour une dépression, (http://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/191-la-prise-en-charge-de-la-depression-dans-les-etablissements-de-sante.pdf)

Il faut savoir que si la durée d’une hospitalisation est tellement différente de celles de séjours d’autres services  c’est que la plupart des traitements psychiatriques mettent du temps avant d’agir.  

Le DÉLAI D’ACTION

On a l’habitude de dire qu’il y a  un DÉLAI D’ACTION avant que les molécules ne soient efficaces. Il faut le temps aux molécules d’arriver au cerveau et de modifier les récepteurs à la surface des neurones, en changeant l’expression de nos gènes sur les cellules cibles. Autant dire que ce n’est pas la vitesse du texto malgré une vitesse de conduction des neurones de l’ordre de fractions de secondes.

Sachant qu’il s’agit d’un DÉBUT d’action, qui s’amplifie ensuite jusqu’à efficacité optimale. C’est pour cette raison qu’il faut attendre un bon moment avant de savoir si le traitement marche ou pas.

Ce délai est de 4 à 6 semaines pour les traitements antipsychotiques (anciennement neuroleptiques) qui ont pour vocation principale de stopper les délires et les hallucinations. Ces médicaments ont évidemment d’autres rôles, comme gérer des troubles du comportement, diminuer l’angoisse, améliorer le sommeil ou encore beaucoup d’indications moins fréquentes mais néanmoins indispensables.

Les antidépresseurs mettent quant à eux environ 3 semaines avant que les effets thérapeutiques ne pointent le bout de leur nez. On les donne dans les dépressions mais aussi tout ce qu’on appelle les troubles anxieux, les troubles obsessionnels compulsifs et là encore dans d’autres indications connues des médecins.

Les régulateurs de l’humeur ou thymorégulateurs peuvent mettre plusieurs mois avant d’agir pour certains. Ils se donnent dans les maladies bipolaires (ou psychose maniacodépressive ou maladie maniacodépressive) mais aussi lors de certains troubles de la personnalité où l’humeur nécessite d’être régulée.

D’autres molécules comme les anxiolytiques ont des délais d’action très courts, ce qui  aide énormément pour apaiser le temps que les traitement de fond puissent agir, mais qui peut aussi les rendre beaucoup plus attrayants dans un contexte d’addiction.

Les Effets Indésirables

Pendant ce délai ou le temps est long, on peut parfois “se divertir” par l’apparition de certains effets secondaires dont certains sont transitoires tandis que d’autres sont plus durables. Dans certains cas, on sait à l’avance que les effets indésirables de dureront pas. Dans d’autres cas, il nous laissent la surprise et seul le suivi attentif des patients nous permettra de savoir de quoi il en retournera.

Le fait est que si les effets indésirables ne sont pas graves ou gênants ou quand on sait qu’ils sont transitoires, on attend au moins la durée du délai d’action pour savoir si le traitement sera efficace chez la personne à qui on le donne. Si passé ce délai, rien ne se passe, on estime que le médicament n’est pas utile  à cette posologie (dose) et soit on l’arrête si la posologie est déjà optimale, soit on l’augmente si c’est possible. A ce rythme, on comprend mieux pourquoi le temps est l’allié du psychiatre et que celui-ci doit apprendre avec son patient ce qui le fait nommer ainsi: la patience!