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Chloé et le TOC d’homosexualité

TOC homosexualité

 

Chloé, vingt-cinq ans,  est venue me voir au cabinet dans un contexte de crainte d’être homosexuelle. Elle se sentait jusque là intrinsèquement hétérosexuelle mais en est venue à avoir peur d’être attirée par les personnes du même sexe.

L’argent, la drogue et le porno

Plus jeune adolescente, comme beaucoup de ses copines, Chloé a eu des petites aventures ou du plaisir était ressenti lorsque quelqu’un d’autre qu’elle s’occupait de son corps, fut-il du même sexe. Tout plaisir était bon à prendre et cela ne lui posait pas de problème. Chloé avait aussi pu expérimenter de faire des fellations dans les WC du collège. Simplement, sans prise de tête. Sans sensation d’implication quelconque des conséquences potentielles. Elle avait eu un copain qui l’avait “débridée” et fait son éducation sexuelle à grand renfort de référentiel pornographique et avait vu pas mal de films dès cette époque.

Son père étant un chef d’entreprise gagnant bien sa vie, Chloé s’est sentie dans une aisance financière qui ne lui a pas permis de percevoir l’intérêt de l’investissement dans un avenir professionnel. L’avenir lui était dépeint comme doré quoiqu’elle fasse. Elle savait que tout pouvait lui être payé. De ce fait elle s’est déscolarisée après le collège, ne voyant pas ce que l’école pourrait lui apporter. Elle avait commencé au collège à fumer du cannabis, boire de l’alcool et prendre d’autres drogues comme de l’ecstasy ou de la cocaïne. Chloé pouvait le faire, alors elle le faisait. Elle ne se mettait pas de limites. Jusqu’à avoir la sensation progressive de se sentir prisonnière de cette vie. De subir les choses plutôt que de les décider.

Les difficultés psychologiques pour lesquelles Chloé est venue me consulter ont commencé quand elle a décidé de se sevrer des drogues qu’elle avait tendance à surconsommer. L’ecstasy n’était plus devenue que festive. Ce ne fut pas difficile. Le cannabis fut plus complexe car elle en fumait beaucoup, de même que l’alcool, qu’elle buvait quotidiennement. Chloé a pu arrêter tout sans aide extérieure. Seule. Par la force de sa détermination à se sortir de cela.  A ce moment, a débuté une anxiété un peu diffuse.

Le déclenchement du TOC

Peu après voire concomitamment,  elle a eu une aventure avec un homme probablement délicat, qui constatant qu’elle ne se lubrifiait pas d’excitation à le voir dressé devant elle, lui a dit:

  • T’es sèche comme un ruisseau au cœur de l’été, tu serais pas lesbienne par hasard?

Ceci l’a profondément choquée, questionnée dans son être, avec début d’un doute d’une profondeur qu’elle n’avait jamais vécu. Abyssale. Ce connard indélicat, qui aurait pu juste être considéré comme un goujat allait remettre en question le système de croyance jusque-là stable dans l’esprit de Chloé. La prétention de cet homme confiant en lui qui devait forcément amener à l’excitation de sa partenaire allait tellement de soi qu’elle ne put douter du caractère anormal de ne pas mouiller face à ce beau garçon.

Alors a commencé cette perpétuelle interrogation:

  • Quel sexe est l’objet de mon désir? Suis-je hétérosexuelle, homosexuelle, bisexuelle?

Nous avons alors commencé à travailler ensemble sur le sujet. Car cette interrogation, cette crainte, cette pensée, fait partie de ce que l’on appelle les obsessions qui rentrent dans la classification des troubles obsessionnels compulsifs.

L’obsession étant une idée pénible, une pensée, une image, un désir impulsif venant à l’esprit de manière répétitive, pouvant sembler apparaître contre la volonté, être considérée répugnante, dénuée de sens, ne pas correspondre à sa personnalité.

Du fait d’avoir eu des expériences sexuelles satisfaisantes avec des hommes, bien qu’ayant déjà eu des rapports lesbiens plus jeune, Chloé ne s’était jamais posé la question de son orientation sexuelle. Sur fond anxieux du fait des différents sevrages, c’est la fameuse phrase du pauvre type qui a tout déclenché, créant le doute qui caractérise les obsessions.

En permanence. Nuit et jour. Elle était envahie par ce questionnement chaque seconde de sa vie.

Chloé regardait déjà pas mal de porno, mais cette addiction flamba net. Elle consommait et se masturbait par moments plusieurs heures par jour. Cependant, le désir diminuait avec la fréquence des stimulations. Alors elle essaya de diversifier ce qu’elle regardait. Avec des vidéos lesbiennes. Et l’excitation se majora. Renforçant ses doutes.

La folie du doute

Chloé décida donc de passer à l’acte et de rencontrer une jeune fille via Tinder. Pour vérifier si elle trouvait cela plaisant ce qui l’aurait aidée à trancher, savoir, conclure. Bref, pour se séparer de ce doute qui caractérise tant les TOCs que les aliénistes du dix-neuvième siècle appelaient cette pathologie “la folie du doute”. Chloé n’a pas ressenti le désir vers cette autre femme qu’elle put tout de même trouver jolie. Mais celle-ci lui donna du plaisir. Tout se mélangea dans sa tête. Alors elle revit cette amante une deuxième fois. Mais ne fut pas plus avancée.

En parallèle, je me suis évertuée à lui faire comprendre que la thérapie avait pour objectif de lui permettre un assouplissement de son système de valeurs. Qu’elle était peut-être bisexuelle ou hétérosexuelle mais que cela n’avait aucune importance.

Devant l’intensité de l’angoisse, et à un moment ou ma disponibilité ne m’a pas permis de réagir suffisamment vite, sa médecin généraliste décida de lui mettre un traitement par antidépresseur. Qui sont connus pour donner chez les femme des troubles du désir et une anorgasmie (l’incapacité à pouvoir ressentir un orgasme) comme effets indésirables.

Cela lui permit d’être un peu soulagée, de pouvoir penser à autre chose, trouver un emploi de quelques heures par semaine dans une boutique de prêt-à-porter comme vendeuse pour “passer un peu le temps” . Chloé allait mieux.

L’attouchement par sa généraliste

Mais un jour, elle m’appelle en urgence pour me parler d’une expérience, lors même qu’elle doit me voir le lendemain. Déjà en consultation, j’entends à demi-mot ce qu’elle me dit et raccroche assez rapidement en lui rappelant que demain n’est pas très loin.

Le lendemain, je tombe de ma chaise lorsqu’elle m’évoque son expérience…

Elle était allée voir sa médecin généraliste qui la suivait entre autre pour des kystes à répétition des grandes lèvres. Comme les consultations précédentes, Chloé s’était déshabillée pour pouvoir être examinée sur le plan gynécologique. Sa médecin commença de manière rigoureuse puis se mit à la masturber. Chloé lui dit :

  • Arrêtez! Vous allez m’exciter…

La médecin continua après avoir retiré ses gants. Chloé hallucina, se sentant désemparée. Ne sachant comment réagir, elle se leva, ce qui ne changea rien. Elle essaya de remettre sa culotte sans  pouvoir ôter les doigts qui s’affairaient toujours. Trois minutes. Une éternité avant que sa médecin ne s’arrête.  Passage de la carte vitale. Prise du RDV suivant. Sortie du cabinet.

Elle venait de se faire attoucher par sa médecin généraliste. Alors qu’elle avait un envahissement de sa psyché d’obsessions autour de l’homosexualité.

Et après?

Elle devait aller à la piscine après sa consultation. Machinalement, Chloé y est allée. Elle nagea intensément, encore groggy de ce qui venait de lui arriver.

Chloé composa le numéro de sa mère en sortant de la piscine. Elle avait besoin de se confier. Celle-ci lui conseilla de porter plainte auprès de la police. Elle fut mal accueillie, non considérée et on lui demanda de revenir le lendemain. Sur le trajet du retour, elle eut envie de mourir. Au volant de sa voiture, des images passaient où elle se voyait accidentée. Elle n’en avait pas le désir , mais ces idées suicidaires lui traversaient l’esprit.

Chloé m’a appelée en rentrant chez elle. J’étais en consultation. Elle voulait savoir si j’avais une disponibilité. Nous avions RDV le lendemain. Je n’avais pas de créneau de libre le jour-même. Chloé est venue le lendemain pour me raconter ce témoignage effarant. J’ai du ramasser mes bras sur le sol du cabinet. Elle était très gênée, ne sachant que faire dans cette situation. Cette jeune fille avait clairement identifié que ce qu’elle avait vécu n’aurait jamais dû arriver mais elle avait peur de briser une vie professionnelle. Dilemme pour sa conscience. Pour l’aider à trancher, je lui ai dit de repasser voir la police pour au moins déposer une main courante.

Qu’en pensez-vous?

Vincent et la Nuit au Musée

la Nuit au Musée

Travailler dans un lieu classé n’est pas toujours facile. Et être le concierge de ce type de lieu a quelques avantages et bien évidemment des inconvénients. Vincent avait cette chance d’avoir un logement de fonction dans un petit mais beau musée bien placé dans la ville. Il aimait son travail mais il en ressentait de plus en plus les pressions. Vincent avait pas mal de difficultés à passer outre et être zen. D’un naturel anxieux, il avait commencé un suivi à la consultation de l’hôpital pour des éléments de phobie des chats remontant assez loin dans son histoire de vie.

C’était plus un prétexte pour commencer à se faire aider sur un sujet précis, mais très vite les consultations tournèrent plutôt autour du travail. Il ressentait la pression de ses supérieurs hiérarchiques qui lui en demandaient toujours plus. Ils révisaient sa fiche de poste régulièrement “pour le faire devenir fou”. Concierge sur le musée la journée avec d’autres collègues, il restait la seule personne sur place la nuit. A y dormir et devoir rester vigilant au cas où il se passerait quelque chose. Conscient du risque potentiel, il faisait sa petite ronde tous les soirs mais se couchait globalement sur ses deux oreilles. Mais ça, bien sûr, c’était avant le drame…

LA nuit qui fit tout basculer

Il fallait que cela arrive, alors c’est arrivé. Un soir, des visiteurs probablement impatients de connaître la nouvelle exposition avant l’heure, se sont dit que les visites nocturnes du musée pourraient être une bonne idée. Et ils ne se sont pas privés. Entrant dans les locaux en faisant suffisamment de bruit, ils réveillèrent en sursaut Vincent. Celui-ci prit son courage à deux mains pour appeler la police.

Connaissant les recoins du musée, il tenta d’abord de voir qui cela pouvait être puis se ravisa en réfléchissant aux conséquences potentielles si ses fervents visiteurs nocturnes, probablement passionnés d‘histoire, se retrouvaient être armés. La crainte d’une balle perdue, qu’il ne gagnerait pas à connaître, le mit mal à l’aise et distilla le courage qu’il avait. Alors il abandonna, dans l’attente de la cavalerie.

Les sirènes retentirent une vingtaine de minutes après, lui donnant l’impression de nombreuses heures, qu’il passa sur le qui-vive, calfeutré dans son appartement de fonction, se demandant si ses hôtes intempestifs iraient lui demander un café avant de partir malgré l’heure tardive.

Avec le barouf des gardiens de la paix, il était peu probable que les voleurs restent. Après leur avoir ouvert et parcouru le musée en la présence rassurante des forces de l’ordre, nulle personne dans les murs et Vincent constata que rien n’avait été volé.

L’insomnie, reine de la nuit

Qu’étaient-ils venus faire? Quel avait été leur projet? Y sont-ils parvenus et sinon pourquoi? Avait-il rêvé ou halluciné? Autant de questions qui tournaient dans la tête de Vincent qui commençait à ne plus pouvoir trouver le sommeil dans son antre historique.

Quand venait la nuit, le monde devenait peuplé de rôdeurs qui l’empêchaient de fermer l’oeil. Dormir était devenu l’assurance de la réitération de cette intrusion, qu’il considérait quasiment comme un viol.

Rapidement, ses troubles du sommeil s’aggravèrent et la situation se compliqua d’une dépression. Il fallut introduire un traitement antidépresseur et il aurait fallu faire un arrêt de travail. Mais comment arrêter quelqu’un dont le lieu de travail est aussi le lieu d’habitation, responsables tous deux de la symptomatologie? Vincent se trouvait confiné dans son logement de fonction et à chaque sortie, il croisait des collègues lui rappelant son métier, et à chaque fois que la nuit tombait, il savait que les conditions de la montée d’angoisse restaient réunies, car les budgets de l’état ne permettaient pas d’engager quelqu’un pour faire le vigile dans le musée.

Après quelques temps, il fallut se rendre à l’évidence que cela n’arrangeait pas les choses et il retourna au travail. Les antidépresseurs lui permirent de remonter un peu la pente, mais la crainte restait.

Et la crise dans tout ça

Pour compléter, l’Etat étant dans la recherche des dépenses inutiles, il recevait des pressions pour passer des concours qui lui permettraient de passer de catégorie C à catégorie B, en lui disant qu’ils pouvaient presque lui donner du fait de son ancienneté.

  • Mais je l’sais bien moi pourquoi ils font ça. Ils me prennent pour un crétin mais j’suis au courant que j’y aurai plus droit à mon logement de fonction si j’passe en catégorie B. Ils m’augmenteront de deux cent euros sur ma paie, mais qui va devoir se trouver un appart? C’est bibi. Et c’est pas avec deux cent euros que je vais me loger dans le centre-ville…

Alors, il hésitait. D’un côté, perdre son logement de fonction revenait à perdre une qualité de vie non négligeable. De l’autre côté, cela l’aiderait probablement à gérer ses problèmes de sommeil liés au contexte.

Quand j’ai quitté l’hôpital, il n’avait toujours pas tranché…

Première confrontation avec la folie furieuse ou comment j’ai cru que j’allais me faire tuer en voulant sauver quelqu’un

Couteau

Lors de mon premier stage d’interne, dans un hôpital général qui possédait un service de psychiatrie, j’ai été confrontée à quelque chose qui m’a longtemps semblé incroyable. Je faisais la visite avec le psychiatre de liaison (le psychiatre qui se charge de donner des avis psychiatrique chez les patients hospitalisés dans les services de médecine), qui remplaçait mon chef de service habituellement en charge de ce moment didactique et important pour les patients.

Ce psychiatre est appelé par une infirmière au sujet de quelqu’un travaillant à l’hôpital qui souhaitait le voir (et qu’il avait déjà vu une fois ou deux) . Il disparaît alors quelques instants, avant de revenir en courant, l’air affolé et nous criant d’appeler rapidement la sécurité et les réanimateurs. Il s’en charge finalement et je cours avec mon co-interne voir ce qui se passe.

Là, je tombe nez-à-nez avec un employé de l’hôpital, en tenue, et à genoux avec le ventre ensanglanté et un couteau planté dont le manche dépasse. Je me précipite pour tenter de le secourir et me penche vers lui, l’air inquiet et compatissant. A cet instant, il se redresse et retire le couteau de son ventre pour me menacer avec.

Ni une ni deux, je fais un bond vers l’arrière et commence à placer le caddie de linge propre qu’il nous avait apporté. Je tente de le raisonner et de le convaincre de nous donner son arme pour que l’on puisse le soigner et évaluer l’ampleur des dégâts qu’il a causés mais il ne semble pas sensible à mes arguments.

« Ils font tout pour me pousser à bout, je le sais, ils se sont ligués contre moi. Ils savent que je suis fragile et que je peux craquer facilement. »

Il pense en effet que le responsable de la lingerie où il travaille, en accord avec les autres employés, le mettent en difficulté en lui reprochant de mal faire son travail et l’accablant de tous les maux.

Le petit jeu qu’il vient de faire une première fois sera répété à plusieurs reprises avec le couteau rentrant et sortant du nouvel orifice qui semblait maintenant faire partie de son corps. Je me rapproche, il me menace et quelques temps après il remets le couteau dans son ventre…

Peu après, le réanimateur arrive, avec sa capote de l’hôpital, sorte de long manteau permettant de passer d’un bâtiment de l’hôpital à un autre par les froides soirées d’hiver. Ayant juste compris que quelqu’un avait une plaie à l’arme blanche il était venu rapidement pour évaluer les dégâts.

Se trouvant nez à nez avec l’énergumène, il augure de la même danse que j’avais pu faire au départ, avec un mouvement de recul pour éviter la lame qui allait lui chatouiller le visage. A la manière d’Indiana Jones avec son fouet, il se met en tête d’essayer de désarmer notre forcené avec sa capote, qu’il agite sans succès en direction de l’arme qui reste solidement dans les mains de son propriétaire. A plusieurs reprises, il tente, puis finit par abandonner devant l’inefficacité de sa technique.

En parallèle de cela, les infirmières sont mises à contribution pour préparer de quoi sédater notre gentil paranoïaque, à savoir quelques ampoules de molécules qui auront pour objectif de le rendre un peu plus docile. Mais tant qu’il a son arme, impossible de l’approcher sans risquer de se faire blesser avec.

La situation commençant à devenir difficile, la police est appelée. Quinze minutes après qui semblent des heures, deux groupes de chacun six policier arrivent de chaque côté du forcené, à distance, tentant eux aussi dans un premier temps de parlementer et de lui faire lâcher son arme.

En vain! Nos vaillants petits soldats carapacés, outre leurs armes de service et autres matraques, disposaient d’un engin à l’époque nouveau et controversé: un tazer! Cependant, ils ne s’en servaient pas, attendant pour cela les ordres d’un officier de police judiciaire (OPJ) qui avait l’air de prendre un peu de temps avant de se décider.

Enfin, la décision tombe, et quelques secondes après, un grand bruit, un cri, le couteau qui tombe et notre gentil paranoïaque qui suit le couteau. Ni une ni deux, le couteau est éloigné, le forcené maîtrisé, mis sur un brancard, injecté des ampoules dispensatrices de sommeil et contentionné sur son brancard.

Il est ensuite conduit en urgence au bloc opératoire pour explorer sa plaie et vérifier s’il s’est perforé des organes vitaux. Chance pour lui, son ventre gras a eu suffisamment de volume pour qu’il ne parvienne même pas à passer la barrière du péritoine qui protège les organes de la cavité de l’abdomen. Après la sortie du bloc, il est rapidement transféré sur son secteur psychiatrique en hospitalisation sous contrainte pour éviter qu’il ne soit dangereux pour d’autres personnes et qu’il soit protégé de lui-même et soigné.

Quand j’y repense, je me dis que cela aurait été vraiment bête de me faire éventrer dès mes premiers mois de balbutiements psychiatriques.