Alors que je travaillais dans un hôpital de secteur psychiatrique, une patiente a été gravée dans ma mémoire. Je n’ai pourtant eu l’occasion de la voir qu’une seule fois, en chambre d’isolement (voir l’histoire de Piotr, dans des conditions similaires). Annie avait une grosse cinquantaine d’années, les cheveux longs, raides, de couleur poivre et sel. Le sel commençait nettement à dominer sur le poivre. Elle présentait un embonpoint certain, l’air fatigué, anxieuse. Une brosse à dent n’avait pas souvent dû rencontrer les siennes.
Dans sa chambre d’isolement, il n’y avait qu’un matelas. Pas de draps ni de couvertures, aucun objet risquant d’être détourné de ses fonctions pour être utilisé à “mauvais escient”.
Annie était en effet suicidaire et pour la protéger d’un geste agressif envers elle-même, tout objet pouvant avoir un rôle potentiel dans un passage à l’acte avait été retiré.
Elle se trouvait donc intégralement nue en isolement, recroquevillée en position fœtale sur son matelas en plastique non déchirable et non inflammable.
Au cours de l’entretien et en consultant son dossier médical, il semblait évident qu’Annie souffrait d’un trouble bipolaire de type 1 (voir l’histoire de Colas, souffrant de trouble bipolaire de type 2). Elle faisait des épisodes maniaques délirants avec insomnie totale, agitation, au cours desquels elle faisait n’importe quoi. A côté de cela, elle avait des dépressions sévères pendant lesquelles elle délirait aussi, avec des idées suicidaires et des tentatives de passage à l’acte qui nécessitaient de la protéger.
“Une” chose cependant me froissait dans sa prise en charge. Son traitement depuis 30 ans était de l’Haldol, un antipsychotique dit de première génération (voir cet article sur les antipsychotiques). Un traitement très efficace contre la schizophrénie, les épisodes délirants de manière générale ou dans le contexte des épisodes maniaques sur des durées restreintes. Mais qui est moins indiqué comme traitement de fond d’un trouble bipolaire. Même à l’époque où cette maladie se nommait maladie maniaco-dépressive ou encore avant psychose maniaco-dépressive. En effet, dans le trouble bipolaire, un traitement régulateur de l’humeur est mieux indiqué pour soigner au mieux ce type de pathologie.
Annie était hospitalisée cette fois-ci pour une dépression sévère avec un délire de ruine et des idées suicidaires très présentes ayant occasionné déjà deux tentatives de passage à l’acte pour cet épisode (voir le passage à l’acte de Nicolas dans le service). Une première fois elle avait tenté de mourir en prenant tous ses traitement au domicile, ce pourquoi elle avait d’abord été hospitalisée aux urgences puis en réanimation quelques jours avant son transfert dans l’hôpital psychiatrique. Elle était restée suicidaire et avait à nouveau tenté de se tuer dans le service à l’époque où elle était en chambre normale. Elle avait utilisé ses draps pour se pendre et avait été rattrapée de justesse avant que les choses ne dégénèrent.
C’est pour ces raisons qu’elle se retrouvait donc face à moi ce jour-là, nue comme un ver, dans cette pièce sombre et inhospitalière.
Elle était encore suicidaire et malgré la détresse qui se lisait dans son visage et qu’elle exprimait par la crainte de rester seule, encore une fois, il fallait reconduire cette fichue prescription d’isolement thérapeutique. Pour la sauver contre son gré. Et l’empêcher de mourir.
En espérant qu’elle croise vit la route d’un·e psychiatre qui changera son traitement et lui mettra un régulateur de l’humeur…
Cette nudité me gêne profondément par rapport au RESPECT de sa personne … !?!
C’est pour cette raison que j’ai tenu à en parler..
Si les gens veulent mourir, peut être ont ils leurs raisons.
Maintenir à tout prix en vie contre son gré, c’est inhumain.
Chacun a son histoire propre.
On devrait essayer de comprendre le pourquoi plutôt que de vouloir à tout prix maintenir en vie quelqu’un qui ne peut plus.
Lorsque les raisons qui poussent à vouloir mourir sont des pathologies psychiatriques bien connues et traitables, il est évidemment indispensable de les en empêcher. La grande majorité du temps, une fois mieux, les gens nous remercient d’avoir insisté malgré l’inconfort du moment! La crise suicidaire, comme l’indique le nom, est un instant transitoire. Qui a toujours une fin…