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Amandine ou comment le boulot tue les cadres infirmières

Amandine ou comment le boulot tue les cadres infirmières

 

Amandine était la cadre du service où je travaillais à l’époque. La (le) cadre d’une unité d’hospitalisation est un(e) Infirmièr(e) Diplômé(e) d’Etat (IDE) qui a passé une année de plus sur les bancs de l’école des cadres (Institut de Formation des Cadres de Santé IFCS) et a travaillé au moins quatre ans de bons et loyaux services en tant qu’IDE.

Les cadres ont comme boulot de superviser les autres IDE. Avec pas mal de responsabilités administratives et organisationnelles, ce qui en fait un poste clef à l’hôpital pour que le fonctionnement soit optimal dans un service.

Cela va de la gestion des plannings des infirmièr(e)s à la présence dans les réunions de service, en passant par les commandes de matériel, la coordination des entrée et sorties des patients ou encore dépanner les autres IDE sur les tâches cliniques du quotidien. Liste non exhaustive bien sûr. Évidemment, d’un service à l’autre, cela dépend beaucoup de l’activité clinique et en chirurgie, en service de médecine ou en psychiatrie, il peut y avoir de sacrées nuances.

Le caractère de la (du) cadre influe beaucoup sur la fonction et l’ambiance qu’il peut y avoir dans une équipe infirmière.  

Amandine faisait partie de ces gens qu’on dit investis au travail. Alors elle n’y rechignait pas. Toujours prête à aider. Mais aussi dans une forme de stress permanent. Je ne crois pas l’avoir vue autrement que courir, ne tenant que rarement en place. Passant d’une activité à une autre avec une célérité digne des coureurs de fractionné.

Dans le jargon psychiatrique, on pouvait dire qu’elle avait une personnalité de type A. Cela signifie qu’elle était en permanence en hyperactivité, dans un sentiment d’urgence, un énervement facile et un hyperinvestissement professionnel. A côté de cela, elle pouvait être considérée par les autres comme un peu “pète-sec” car elle démarrait au quart de tour quand les choses ne se passaient pas comme elle le désirait. Son désir de perfection était parfois fatiguant pour tout le monde car la barre était mise haute pour elle comme pour les autres.

Bref, elle savait se mettre la pression et la mettre à toute l’équipe mais le travail était bien fait.

Elle était toujours la première à accepter de reprendre les astreintes des autres quand ils avaient un empêchement. De ce fait, son mari et ses trois enfant pâtissaient un peu de ce surinvestissement et auraient aimé la voir un peu plus. Cette situation était en partie due au manque d’effectif car seuls trois des cinq postes de cadre du service étaient pourvus à l’époque. Il fallait travailler quasi deux fois plus pour faire fonctionner la boutique. Car la (le) cadre, comme la (le) médecin, n’est pas censé(e) compter ses heures, mais faire le job.

Comme fréquemment dans ces circonstances, se griller une petite clope permettait d’avoir un argument pour se poser deux minutes quelques fois dans la journée. Bien sûr, cela augmente le stress mais la dépendance donne l’illusion de soulager et de gérer le stress. Elle avait déjà fait une alerte cardiaque quelques années avant, avec un infarctus du myocarde sur des artère coronaires un tantinet bouchées. De ce fait et du fait de sa personnalité, elle avait un grand risque que cela se renouvelle.

Un soir qu’elle était rentrée tard chez elle après avoir géré une situation compliquée dans le service, elle a eu à nouveau mal à la poitrine. Son fils a alerté les secours pendant que son mari tentait de faire quelque chose. Mais il n’était pas soignant. Et ne connaissait pas les gestes élémentaires de réanimation. Quand les pompiers puis le SAMU sont arrivés, il était déjà trop tard. La vie l’avait fuie. Elle avait quarante-six ans.

J’y ai souvent pensé. Avec amertume. Parce qu’il est facile de s’investir à fond dans son travail. De s’y plonger corps et âme. De se faire vampiriser. Nous avons des emplois prenants. Des vies entre nos mains, des destinées à recaler. Cela peut être grisant, nous inciter à toujours en faire plus. Parfois nous en perdons l’essentiel: nous sommes là pour vivre. Et la vie ne se résume pas à l’action permanente. Être, simplement être, par moments, est capital. Et pour aider les autres, il est nécessaire de d’abord s’aider soi-même. Connaître ses limites. Et ne jamais les dépasser. Ce n’est pas de l’égoïsme. Bien au contraire, il s’agit d’altruisme de fond. Pour tenir la route, il faut s’économiser. Alors pour Amandine, vivons pleinement et apprenons à gérer notre stress pour être en mesure de soutenir les autres.

Le psychiatre et la mort: lutte au quotidien

 

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