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Yohan, Religiosité et Délire mystique

religiosité et délire mystique

Un des sujets sur lesquels il est parfois glissant de s’aventurer pour un·e psychiatre est la religion. Psychiatrie et religion ne font pas toujours bon ménage. Freud  avait choisi de s’y attaquer et la comparait à la névrose obsessionnelle. Encore une fois, tout est une question de curseur. Des croyances et/ou une pratique religieuses intenses peuvent faire sens dans un cadre qui reste logique. Si l’on exerce dans un des métiers de la religion. Par exemple prêtre, imam, rabbin, moine d’obédience diverse.

Elle peut aussi soutenir des croyants qui y voient un moyen d’expliquer le monde, se rassurer, se socialiser et apporter un bain culturel qui permet l’identification à un groupe. Dans d’autres cas, l’intensité de la croyance et de la pratique peut mettre la puce à l’oreille des psychiatres qui peuvent y voir le signe d’un passage de religiosité au délire mystique. La grande difficulté des psychiatres réside donc dans la différenciation de ce qui reste “normal” de ce qui relève du “pathologique”. Avec toute la prudence requise…

Yohan est venu dans le service de psychiatrie de l’hôpital général pour se reposer et que l’on puisse évaluer les difficultés qu’il pouvait présenter depuis déjà quelques années. Destiné à être un érudit des textes kabbalistiques et talmudiques, Yohan était à vingt-deux ans un jeune homme qui semblait perdu, pétri d’incertitudes. Il avait déjà pourtant pas mal d’expérience.

Parti aux Etats-Unis pour ses études de la Kabbale, Yohan avait dû revenir précipitamment une première fois car cela ne se passait pas bien. Son sommeil s’était déréglé et il percevait une angoisse profonde qui rendait stériles ses réflexions. Yohan s’était mis à délirer de plus en plus bruyamment jusqu’à ce que cela devienne évident pour ses encadrants qui ont joint ses parents en vue d’un rapatriement et des soins de retour en France. Il avait donc déjà été hospitalisé une première fois sur un autre hôpital et eu des médicaments antipsychotiques ( cf article).

La Kabbale. Ces textes mystiques et ésotériques sont censés amener à la voie de la connaissance, du monde, de soi, par l’intermédiaire de certaines clefs de lecture, de réflexions. Désireuse d’amener à une certaine sagesse, elle passe par la récurrence de questionnements qui pourraient se poursuivre jusqu’à l’infini. Intéressant pour le sage en devenir, mais perturbant pour l’anxieux.

C’était donc la deuxième fois que Yohan se faisait hospitaliser pour des raisons similaires. Pour une deuxième tentative d’études aux Etats-Unis, il avait à nouveau eu besoin de se faire rapatrier en France en catastrophe car ses perceptions le mettaient encore en difficulté. Yohan se sentait investi d’une mission divine mais restait dans le doute sur les modalités de l’exploitation de cette mission (voir cet article sur un autre type de délire mystique). Il se savait dans le devoir de le faire, mais ne savait comment, ce qui le torturait de l’intérieur.

Ce jeune homme sentait en lui ses raisonnements ne pas aboutir, se perdre dans les méandres de sa pensée, devenant stérile et improductif. Il ruminait donc nuit et jour, en étant pétri d’une angoisse existentielle. Le moulin de son esprit était alimenté par un souffle perpétuel qui ne lui laissait aucun repos, même dans son court sommeil.

Yohan était ainsi obligé par des forces supérieures à s’astreindre à continuer à étudier. Mais il ne parvenait à maintenir son attention sur les ouvrages ouverts devant lui. Chaque mot le ramenait à une association d’idée qui le perdait de sa lecture initiale. Il sautait de cette manière d’une pensée à une autre, comme prisonnier d’un saute-mouton éternel. Sans parvenir à un quelconque repos idéique.

Même dans l’interaction, Yohan n’était pas toujours avec son interlocuteur, paraissant encore en proie aux tourments internes. Il fallait par moment répéter nos questionnements pour qu’il puisse ébaucher une réponse qui finissait parfois dans l’abîme. Comme si le pont de la communication entre nous s’effondrait, me laissant dans l’attente d’une fin de phrase qui ne venait pas.

Dans le jargon psychiatrique, on nomme cette problématique générale trouble du cours de la pensée. Et plus spécifiquement comme un barrage. Elle illustre  la désorganisation psychique que l’on retrouve dans les troubles psychotiques de type schizophrénie. Et s’ajoute au délire mystique qui signe le passage d’un investissement religieux au delà de la “norme”. Avec les collègues psychiatres, nous craignons donc ce que l’on nomme souvent comme une “entrée dans la schizophrénie”.

En France, nous nommons un premier épisode délirant aigu bouffée délirante aiguë. Une belle formule poétique la décrit comme un “coup de tonnerre dans un ciel serein”. Les classifications américaines parlent dorénavant de trouble psychotique bref si cela dure moins d’un mois et de trouble schizophréniforme si cela dure de un à six mois. Nous avons l’habitude de dire avec approximation statistique qu’il y a une possibilité sur trois que cet épisode reste unique. Pour le reste, cela annonce une entrée ultérieure dans un trouble psychiatrique chronique.

Comme la schizophrénie (voir cet article sur un patient avec des hallucinations aguicheuses. Ou celui-là dans un délire plus agressif aussi en rapport avec la religion). Comme le trouble schizoaffectif (voir cet article sur ma journée la plus folle de ma vie en compagnie de deux patients à l’enterrement de leur mère). Ou encore le trouble bipolaire (voir cet article sur l’épisode maniaque de Janine ou celui-ci sur les hauts et bas de Colas).

Pour Yohan, nous n’étions pas certain·e·s. Toutefois il semblait qu’il y avait de grandes chances pour que la chronicité se soit installée. Et que l’on puisse nommer la schizophrénie comme le plus probable des diagnostics à retenir.

J’étais en fin de stage d’interne. Quand je suis partie, le traitement antipsychotique et anxiolytique avait été instauré depuis quelques semaines. Yohan était plus apaisé. Il parvenait à dormir et se reposer. Sa pensée était moins hachée. La douleur morale ne se lisait plus sur son visage. Il n’avait plus la conviction de son rôle mystique. Bref, il était beaucoup mieux. Une certaine désorganisation persistait encore a minima. Mais on pouvait dire qu’il avait bien répondu au traitement antipsychotique. Je ne sais pas ce que Yohan est devenu. J’espère cependant qu’il aura pu trouver ce qui lui permettra de cheminer dans la vie avec le moins de difficultés possibles.

Avec, ou sans religion!

Victor ou des JO (jeux olympiques) à l’HO (hospitalisation d’office)!

JO à HO

Victor m’a marquée pour plusieurs raisons. Il avait eu un destin brisé et il illustrait le principe souvent vérifié que l’intensité de la maladie mentale est inversement proportionnelle à l’intensité des décompensations somatiques par ailleurs.

Je l’ai rencontré à l’hôpital psychiatrique lorsque j’étais interne. Victor était là depuis déjà quelques semaines et connaissait bien les lieux. Ce n’était pas son premier séjour, loin de là. Il souffrait d’une schizophrénie paranoïde avec un délire de persécution mais avait eu une vie riche en émotions. Gymnaste de haut niveau lorsqu’il était plus jeune, Victor avait été sélectionné pour participer aux jeux olympiques. Il s’était longuement préparé mais peu avant d’y aller il s’était mal réceptionné sur un saut et s’était fracturé les deux poignets. Abattu de cette malchance, Victor avait déclenché sa maladie peu de temps après et n’avait jamais pu revenir à sa profession. Il restait très costaud, très actif, mais il délirait souvent et retournait régulièrement à l’hôpital.

Victor, comme beaucoup de patients souffrant de schizophrénie, n’avait pas toujours conscience qu’il était malade et refusait par moments de conserver un traitement indispensable au long cours pour éviter les rechutes. Il revenait donc souvent dans ce lieu qu’il était en mesure de faire visiter aux nouveaux arrivants comme un guide de musée.

Quelques années avant, Victor avait été hospitalisé sous contrainte en HO (hospitalisation d’office, devenue depuis SPDRE pour Soins Psychiatriques à la Demande d’un Représentant de l’Etat). Il avait eu la bonne idée de participer au défilé militaire du 14 juillet et ce n’est qu’au bout de plusieurs minutes que la sécurité a pu constater qu’il n’avait pas le même uniforme que le reste du groupe dans lequel il s’était faufilé. Ayant une arme blanche sur lui, Victor fut rapidement pris en charge par l’Infirmerie de la Préfecture de Police de Paris (I3P dans le jargons des psychiatres) après avis du Préfet. Puis transféré sur son secteur en HO dès que la situation fut tirée au clair.

Contrairement à d’autres, il avait agi dans un contexte délirant et n’avait pas eu l’intention de tuer le président. Après ces frasques, Victor resta un bon moment hospitalisé et il lui fut donné un traitement dit retard (voir cet article sur les traitements antipsychotiques).

Il s’agissait d’injections intramusculaires d’un traitement neuroleptique dispensées toutes les quatre semaines. Cela permet aux patients qui ont tendance à souvent oublier les médicaments ou qui sont réfractaires à une prise quotidienne de pouvoir être tout de même pris en charge de manière efficace, tout en se sentant malades moins souvent. Le rappel de la conscience de la maladie n’est plus quotidien mais mensuel. Ce qui pour certains est beaucoup plus acceptables. Pour d’autres, cette modalité d’administration est mal vécue car elle peut rappeler les injections intramusculaires des traitements dispensés dans le contexte de passages à l’acte agressifs ou de refus de traitements par la bouche. Mais ce sont biens deux choses différentes. Même si cela peut déclencher des souvenirs avec des similitudes existantes.

Victor avait donc à la suite de cette hospitalisation des injections retard pour lesquelles il allait au centre médicopsychologique (CMP) toutes les 4 semaines. Cela se passait bien. Plusieurs années durant. Jusqu’à l’oubli d’un rendez-vous. Et par un concours de circonstances, malgré les relances du CMP, il s’est passé plusieurs semaines sans que Victor puisse bénéficier de son traitement. Il a rechuté, avec un délire de persécution assez floride qui a nécessité de le réhospitaliser. Très volubile, comme une pile électrique, son esprit partait dans tous les sens et il interprétait tout ce qui pouvait y avoir dans son environnement. Parfois très drôle, souvent incompréhensible, l’arborescence de sa pensée rendait Victor touchant. Son imagination débordait, suintait de cet esprit confus. Médicalement, nous avons sur le moment vu devant l’agitation et la vitesse de sa pensée et de son expression  un trouble schizoaffectif avec un épisode d’allure maniaque qui se manifestait. En ajoutant un traitement régulateur de l’humeur à cet effet, Victor a pu décélérer progressivement. Mais un épisode intercurrent retint mon attention. Un jour Victor eut une plainte inhabituelle. Une douleur abdominale violente, intense, avec de la fièvre. Après un examen clinique et une prise de sang, on posa le diagnostic de pancréatite aiguë. Devant la chronologie, nul doute qu’il s’agissait d’un effet indésirable du traitement thymorégulateur que nous avions introduit peu de temps avant. J’avoue que ce jour là je ne fus pas peu fière d’avoir eu l’idée de doser les enzymes du pancréas ayant permis de trancher. Parce que sur le Vidal, cet effet indésirable était marqué comme rare à l’époque (peu fréquent maintenant, avec précision du risque d’une “évolution fatale” si le traitement n’est pas arrêté précocement). Nous l’avons donc arrêté avec vélocité et hydraté Victor avec une perfusion contenant entre autre des antalgiques.

Ce qui me frappa par dessus tout était l’état psychiatrique de Victor quand il a commencé à avoir cette pancréatite. Méconnaissable, il était devenu posé, cohérent, lucide, capable de critiquer son délire avec justesse. Ce qui met en lumière ce que j’évoquais en début d’article et que j’ai eu l’occasion de voir dans de nombreuses circonstances: une personne avec une maladie psychiatrique aiguë, décompensée, a tendance à s’améliorer quand elle se retrouve avec une maladie somatique (physique, non psychiatrique) intercurrente. Avec dans certains cas des impressions de guérison complète. J’avais déjà eu une description dans cet article (Hara Kiri) de cette situation.

Des hypothèses de recherche sur une origine immuno-inflammatoire de certaines maladies psychiatriques tendent à compléter les interactions supposées entre l’état physique et la présence de maladies dites somatiques et l’état psychique avec la présence de maladies psychiatriques.

Faut-il pour autant imaginer provoquer des maladies physiques volontairement pour étudier le processus scientifiquement? Nul doute qu’aucun comité d’éthique ne pourrait laisser passer ce type de protocole pour tenter d’évaluer cette hypothèse.

Et heureusement!

Chef étoilé avec le statut de travailleur handicapé

chef étoilé

J’avais hérité de la prise en charge de Brandon car mon prédécesseur à l’hôpital général l’avait eu dans ses lits dans un contexte de ce qui pouvait ressembler à un épisode dépressif. Au moment de ma prise de possession de son dossier médical, j’avais pu avoir le raisonnement raccourci qu’il souffrait d’une schizophrénie. Au vu de certains éléments précisés dans le dossier sur un délire de persécution évoqué au cours de l’hospitalisation. Et plus basiquement sur le traitement dont il bénéficiait. Antipsychotique à bonne dose (voir ici si vous voulez en connaître plus sur ces médicaments) et une léchouille d’antidépresseur.

Mais ça, c’était avant de mieux le connaître et de récupérer tous les éléments de son suivi.

Brandon était un jeune homme de vingt ans, dont le suivi psychiatrique avait débuté assez tôt dans l’enfance avec pas mal de problèmes dans l’acquisition des apprentissages et dans les relations sociales. Tenir “bêtement” un stylo entre ses doigts pour écrire peut sembler enfantin à la majorité de la population au point de ne pas même se poser la question que cela peut poser problème. Pourtant cela avait déjà été compliqué pour ce jeune homme dans son développement et il avait pris du retard pour tout un tas de choses, qu’il avait fini par acquérir malgré tout. Juste du retard. Mais un retard qui avait mobilisé du monde. Car si on est en retard comme le lapin d’Alice, à l’école, on ne peut plus rentrer dans les bonnes cases. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose? Je ne sais pas. Mais lorsque l’entourage est vigilant, cela permet de déclencher tout un tas de mesures comme la prise en charge au centre médico-psychologique. Le suivi avec la pédopsychiatre, l’orthophoniste, la psychologue, la psychomotricienne. Ca faisait du monde pour un petit Brandon qui se débattait dans ses apprentissages.

En fonction des lieux par lesquels il était passé, Brandon avait pu être considéré comme un enfant présentant une dysharmonie évolutive, un retard des acquisitions, un retard global de développement, un retard mental, un trouble envahissant du développement (TED, désormais nommé TSA pour Trouble du Spectre Autistique, dont vous pourrez avoir un autre exemple ici). Pour moi comme pour lui, c’était flou mais à prendre en considération pour ne pas le mettre dans une case uniquement au regard de la symptomatologie actuelle mais en prenant en compte tout son parcours de troubles neurodéveloppementaux.

Car en consultation, au début du suivi, j’avais cette sensation et les dernières notes du dossier qui m’avaient orientée vers un diagnostic. Je pensais Brandon souffrant de schizophrénie (ici pour une histoire de patient atteint de schizophrénie, ici pour une autre, et là pour une  encore, et si vous en voulez encore ici aussi), car il me parlait de son sentiment de persécution encore un peu présent, notamment dans la rue, où il avait la sensation que les gens le regardait de travers et allaient l’agresser. Alors Brandon jetait souvent des regards en coin, jusqu’à parfois se retourner pour vérifier qu’il n’était pas suivi. Il avait par ailleurs des tics vocaux à type de gloussement et des rires incontrôlés qui laissaient parfois flotter un sentiment de bizarrerie lors des consultations (voir ici pour une autre histoire de tics intégrés dans un syndrome de Gilles de la Tourette).

A l’époque, j’avais pu prendre du temps pour lui et accepter d’aller en réunion discuter de la suite de son suivi pluridisciplinaire. J’ai pu visiter la structure qui l’accompagnait en parallèle de mes consultations. Il s’agissait d’un hôpital de jour pour jeunes adultes qui avait dans ses locaux un Etablissement et Service d’Aide par le Travail (ESAT), anciennement appelé CAT (Centre d’Aide par le Travail). Et pas n’importe quel ESAT. Un beau restaurant.

Or Brandon m’avait déjà confié que son avenir, il le voyait lumineux comme les étoiles qu’il rêvait de voir un jour accrochées sur la plaque de son restaurant. Chef étoilé! Ni plus ni moins.

Même si c’était par l’intermédiaire d’un établissement protégé, Brandon pouvait travailler. Et part l’intermédiaire de la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées), il avait la Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH). Un statut protégé qui permet normalement de pouvoir trouver aussi du travail dans le milieu dit « ordinaire » avec parfois des postes dédiés.

Au fil du suivi de Brandon, j’ai pu rentrer un peu dans l’intimité du vécu d’un commis de cuisine. La rigueur de l’apprentissage. Les difficultés inhérentes à sa dyspraxie. Les moqueries des camarades, pourtant parfois tout aussi en difficultés. La confection des entrées, celles des plats et enfin les sacro-saints desserts! Avec les références des émissions de télévision type Top Chef, j’avais la crainte de voir Brandon exploser en vol du fait de la pression potentiellement mise dans le milieu de la restauration. Heureusement que la bienveillance des encadrants permettait d’éviter la mise en oeuvre de manière trop rigide de ce schéma classique de rapport de force et de hiérarchie.

Brandon a peu à peu appris son métier. Il a eu des moments de découragement. Un sentiment récurrent d’incompétence et d’irréalisme de ses espoirs. Mais il n’a rien lâché. Malgré les difficultés, les nombreux écueils, il a poursuivi son objectif d’apprentissage de la cuisine.

J’espère qu’il pourra ouvrir son enseigne et réaliser son rêve. Ce fameux rêves plein d’étoiles…

Les antipsychotiques

antipsychotiques

Cela faisait un petit moment que je me disais qu’il fallait que je parle un peu de pharmacologie. Des médicaments psy. Pour informer un minimum.  Aujourd’hui j’ai décidé de vous introduire au traitement qui concerne le plus ce que l’on peut considérer comme la Folie: les antipsychotiques.

Les antipsychotiques peuvent être classés de plusieurs manières différentes. Actuellement, une des manières les plus fréquentes est encore de les diviser en deux classes. Les antipsychotiques de première génération ou neuroleptiques (qui prennent le nerf) et les antipsychotiques de deuxième génération. Je ne vous embarrasserai pas des autres manières de les classifier qui ne sont pas encore usuelles ni de celles qui ne sont plus usitées.

Les antipsychotiques de première génération (APPG) ont été inventés d’abord. Vous me direz que c’est logique, ce à quoi je répondrai que vous avez raison et que vous êtes brillants. Il n’y a pas de petit raisonnement et il faut savoir flatter son lectorat. Dans cette classe médicamenteuse, les molécules sont relativement nombreuses. J’ai longtemps hésité à vous assommer en vous les citant toutes. Et puis je me suis dit, pourquoi pas, ils le méritent bien. Alors, voilà, je vous sers la liste:

  • Chlorpromazine (LARGACTIL®)
  • Cyamémazine (TERCIAN®)
  • Dropéridol (DROLEPTAN®)
  • Flupentixol (FLUANXOL®)
  • Fluphénazine (MODECATE®/MODITEN®)
  • Halopéridol (HALDOL®)
  • Lévomépromazine (NOZINAN®)
  • Loxapine (LOXAPAC®)
  • Penfluridol (SEMAP®)
  • Perphénazine (TRILIFAN RETARD®)
  • Pimozide (ORAP®)
  • Pipampérone (DIPIPERON®)
  • Pipotiazine (PIPORTIL®)
  • Propériciazine (NEULEPTIL®)
  • Sulpiride (DOGMATIL®)
  • Zuclopenthixol (CLOPIXOL®)

Maintenant que vous vous sentez plus avancés, que cela vous semble sympathique de frayer avec des jolis noms de molécules, vous devez vous demander si elles sont encore toutes utilisées. J’ai envie de vous répondre que cela dépend des moeurs des psychiatres. Pour une plus grande facilité, je vais utiliser les noms commerciaux bien qu’on nous incite à plutôt user des noms de molécules (“dci” pour dénomination commune internationale). Ce n’est pas parce que je suis une vendue, que j’ai des parts de marché, que j’ai des conflits d’intérêts mais uniquement parce que je suis paresseuse et que vous aurez remarqué que les noms commerciaux ont moins de lettres que la dci.  

Pour ma part, au cours de ma courte carrière de jeune psychiatre, j’ai utilisé ou vu utiliser toutes ces molécules sauf le DROLEPTAN, le SEMAP, le TRILIFAN et le DIPIPERON. Parce que certains psychiatres avaient des habitudes et nous conseillaient ou imposaient d’utiliser plutôt ceci ou cela. Quand j’ai eu le choix de décider ce que je pouvais prescrire, j’ai restreint mes prescriptions de cette classe à LARGACTIL, TERCIAN, HALDOL et LOXAPAC. Du fait d’une utilisation plus facile et de moins d’effets indésirables. C’est évidemment discutable car tout peut être discuté à l’aune de chaque nouvelle publication scientifique, recommandation de bonne pratique, conseil de collègue avisé, voire communication de laboratoire pharmaceutique philanthropique (non, là, quand même…)

Fait-on toujours les meilleurs soupes dans les plus vieux pots? Non, évidemment, pas toujours. Mais certaines molécules sont d’une grande aide quand les autres ont été tentées sans succès.

Les indications de ces traitements sont globalement toutes pour aller à l’encontre des symptômes de la schizophrénie et des troubles délirants chroniques ou aigus, y compris les phases maniaques du trouble bipolaire.

Ces APPG ont certains effets indésirables plutôt neurologiques. Neuroleptiques, ils prennent le nerf et dans les débuts de leur conception, ces effets indésirables étaient donc recherchés puisqu’ils rentraient dans la définition de la classe médicamenteuse. On a l’habitude de dire qu’ils donnent un syndrome parkinsonien.

Les étudiants en médecine de la région parisienne bénéficient dans leur apprentissage de la neurologie d’un moyen mnémotechnique assez facile qui a tendance à rester encore des années après. Il s’agit de RATP. Pour Rigidité, Akinésie, Tremblements, troubles Posturaux. Bon, oui . Cela vaut ce que ça vaut. Il manque la bradykinésie (les mouvements sont plus lents), l’hypokinésie (les mouvements sont moins fréquents) et le déficit d’initiation (les personnes atteintes ont plus facilement tendance à suivre qu’à générer elles-mêmes les mouvements). Mais cela permet d’avoir une idée et des souvenirs.

Ainsi, une personne atteinte de maladie de Parkinson pourra se retrouver rigide, comme un peu amidonnée, ambiance Robocop pour celles et ceux qui étaient en âge d’aller au cinéma à la fin des années quatre-vingt. Bon, aussi pour ceux qui aiment les remake avec celui de 2014,  mais j’avais déjà autre chose à faire que d’aller au cinéma.

Les parkinsoniens sont aussi peu expressifs. Non pas qu’ils ne ressentent pas les émotions, mais les traits de leur visage ont aussi cette rigidité qui leur donne cette tonalité. Pour ce qui est des émotions, ils ont aussi cette tendance incontestable à faire plus facilement que la population générale des dépressions (et ainsi croiser la route des psychiatres).

Pour les tremblements, ils ont la particularité de donner l’impression d’émietter du pain. Ce qui permet en partie de différencier si les symptômes viennent d’une maladie de Parkinson ou d’un traitement par neuroleptiques, c’est le caractère asymétrique. Pour la maladie neurologique, il y a le plus souvent une asymétrie, alors que les traitements donnent  des effets indésirables relativement symétriques.

La marche se fait à petit pas comme s’il fallait assurer en permanence pour ne pas tomber. Les chutes sont des conséquences assez récurrentes au bout d’un certain temps, aussi en lien avec les troubles posturaux. Ceux-ci peuvent se matérialiser lors de changements de posture comme lorsque l’on doit faire des demi-tours ou se lever d’une chaise.

Il y a encore pas mal de symptômes mais je n’ai pas pour objectif de vous faire un cours sur la maladie de Parkinson. Et si des neurologues lisent ces lignes, n’hésitez pas à apporter des précisions si vous le trouvez nécessaire.

Pour revenir sur le moyen mnémotechnique, Parkinson et les transports en commun partagent plus de choses que ce que l’on peut imaginer.  Coincés dans le RER ou le métro, on a tendance à ne pas trop bouger. Ambiance, oui, j’ai un balais dans le fondement qui te montre que je ne suis pas open. Dans la proximité si intense, pour éviter le risque de se retrouver une main aux fesses, on préfère adopter un visage neutre, anémotionnel (oui, je sais, c’est un néologisme, mais j’ai décidé que je pouvais me l’autoriser aujourd’hui), voire hostile. Tout sourire pouvant parfois être compris par la possibilité de se faire draguer.

J’avoue que pour les tremblements, je ne pourrai que me raccrocher aux vibrations des rames qui pourraient donner un petit quelque chose. Et les troubles posturaux, évidents, sont surtout en lien avec les changements de cinétique. Qui ne s’est jamais retrouvé sur son voisin, contre la porte, voire par terre quand le chauffeur décide d’accélérer ou de freiner un peu trop vivement?

Il y a bien sûr aussi d’autres effets indésirables à ces APPG comme la tachycardie, les baisses de tension quand on se lève, la sécheresse de la bouche, les difficultés à uriner, la constipation, la somnolence, la prise de poids, des troubles de registre sexuel (baisse de désir, troubles de l’érection, sécheresse vaginale)…

Je ne serai volontairement pas exhaustive. Ce n’est pas le but. Passons donc à la suite. La nouveauté qui fait gagner un peu plus les laboratoires pharmaceutiques.

Voici donc les noms des molécules (dci) et des noms commerciaux des principaux médicaments sur le marché faisant partie des antipsychotiques de deuxième génération (APDG).

  • Amisulpiride (SOLIAN®)
  • Aripiprazole (ABILIFY®)
  • Clozapine (LEPONEX®)
  • Olanzapine (ZYPREXA®)
  • Rispéridone (RISPERDAL®)
  • Tiapride (TIAPRIDAL®)
  • Quetiapine (XEROQUEL®)

Parmi ces APDG, la Clozapine (LEPONEX) a une histoire particulière. Elle a rapidement été perçue comme la molécule la plus efficace dans le traitement de la schizophrénie. Mais elle a provoqué des accidents graves en faisant chuter le nombre de globules blancs (agranulocytose), qui l’ont faire retirer du marché. Par la suite, elle est revenue avec des consignes de prudence dans sa prescription. Depuis ce retour, elle doit être précédée d’une formule sanguine pour être délivrée par le pharmacien. Toutes les semaines pendant dix-huit semaines! Puis une fois par mois à la suite de ces dix-huit semaines. Un tantinet contraignant…

Les antipsychotiques de deuxième génération (APDG) devaient nous délivrer du mal. Le mal qui prend le nerf. Celui qui permet aux psychiatres de dire en voyant une personne:

  • Lui, il prend des neuroleptiques, cela se voit…

Les laboratoires ont donc axé leur recherches pour faire des molécules avec des effets neurologiques moins accentués. Je dis moins car certaines ont encore cette problématique qui existe. Et on peut rajouter une autre particularité qui n’était pas aussi présente avec les APPG comme effet indésirable. Ces molécules favorisent ce que l’on appelle le syndrome métabolique. Sans rentrer dans le détail technique de ce syndrome, il consiste en une prise de poids, avec augmentation du périmètre abdominal, une provocation de diabète ou a minima d’insulinorésistance, une perturbation du gras avec diminution du “bon” cholestérol (HDL cholestérol) et augmentation des triglycérides et une augmentation de la tension. Bref, cela augmente drastiquement le risque cardiovasculaire et donc de faire des attaques cardiaques (infarctus du myocarde) et cérébrales (accident vasculaire cérébral).

Alors on passe de Charybde en Scylla. En voulant fuir la “prise du nerf” on gagne les accidents vasculaires.  

Tant et si bien que l’élan qui avait amené à freiner promptement les prescriptions des APPG pour se ruer vers cette chance d’épargner le patient en leur dispensant des APDG, s’est assez vite ralenti à l’usage. D’abord étonnés de faire prendre trente kilos (oui, je dis bien trente!) à des jeunes femmes (oui, je sais, les hommes en prennent aussi, mais l’impact est souvent moins catastrophique. Bon, ok je sors), nous leur expliquions d’abord qu’il fallait moins manger, faire plus d’activité physique, avant de finir par reconnaître que ces molécules pouvaient faire prendre du poids indépendamment de l’augmentation de la faim qu’elles provoquaient. Le pire étant le ZYPREXA. Terriblement efficace, le plus proche cousin du LEPONEX, molécule la plus puissante sur le marché des antipsychotiques, est aussi celle qui a le plus de conséquences sur ce point là. C’est avec elle que j’ai vu les prises de poids de trente kilos.

Depuis, les règles de surveillance sont beaucoup plus strictes. Tous les éléments du syndrome métabolique doivent être surveillés, de même que de nombreux autres pour éviter de faire subir aux patients les conséquences par fois graves des traitements. Il ne faut pas oublier le principe de base “primum non nocere”. Un quelconque traitement se doit d’avoir une balance bénéfices/risques en faveur des premiers. Et c’est parfois là toute la difficulté. Si un médicament te sauve la vie (par exemple en empêchant que tu te suicides), peux-tu accepter qu’il te fasse changer de garde robe tous les trois mois? C’est évidemment propre à chacun. Mais cela fait réfléchir…

Pour ce qui est des autres effets indésirables, cela rejoint à peu près ceux des APPG, avec des variantes pour chaque molécule. Il faut noter que l’Aripiprazole (ABILIFY) est celui qui fait prendre le moins de poids de cette classe.

Dans la boîte à médocs, il y a aussi les antipsychotiques dits “retard” qui sont dispensés en injection intramusculaire.

  • Haloperidol  (HALDOL DECANOAS®)
  • Flupentixol  (FLUANXOL LP®)
  • Zuclopenthixol  (CLOPIXOL à action prolongée®)
  • Fluphénazine  (MODECATE®)
  • Olanzapine  (ZYPADHERA®)
  • Rispéridone  (RISPERDAL CONSTA LP®)
  • Palipéridone (XEPLION®)
  • Aripiprazole (ABILIFY MAINTENA®)

On y retrouve donc des APPG (les quatre premiers) et des APDG (les quatre suivants, sachant que la Palipéridone est un dérivé de la Risperidone). Les antipsychotiques retard sont très utiles pour de multiples raisons. Ils permettent de ne prendre qu’une injection de traitement tous les quinze jours ou quatre semaines au lieu de manger tous les jours ses cachets. Ils favorisent ce qu’on appelle l’observance du traitement. Cela signifie l’aptitude à bien suivre son traitement. Ne pas oublier de comprimés. Ne pas arrêter quand cela commence à nous courir sur le haricot de devoir toujours prendre ces fichus médicaments qui nous rappellent qu’on est malade. Alors qu’on a pas vraiment envie d’assumer ce rôle.

Ils permettent d’avoir une quantité de médicament dans le sang beaucoup plus constante avec moins d’effet pic sur les vingt-quatre heures. Par contre, ils nécessitent de se déplacer au centre médico-psychologique pour qu’un.e infirmier.e fasse l’injection dans le muscle glutéal (la fesse pour les non initiés à l’anatomie). Par ailleurs, il peut chez certains y avoir un effet de fin de dose quelques jours avant de devoir refaire une injection.

Certains patients ayant de mauvais souvenirs d’injections faites en urgence sont un peu moins chauds pour ces molécules mais globalement les traitements retard sont plutôt bien acceptés.

Voilà, vous savez maintenant (presque) tout sur les antipsychotiques. Et si vous en voulez plus, n’hésitez pas à demander. En commentaires, ou via les réseaux sociaux!

Louis ou comment passer de la prison à l’hôpital psychiatrique

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A l’hôpital psychiatrique, on rencontre parfois des personnages qui nous font froid dans le dos. En début de semestre en tant que jeune interne dans une structure accueillant des patients hospitalisés sous contrainte (pour rappel, le fonctionnement de la psychiatrie en France), j’ai eu l’occasion de croiser la route de Louis.

Volumineux bonhomme  de cent-vingt kilos pour un mètre soixante-dix, il pouvait parfois donner l’impression qu’il allait se mettre à rouler. Chacun de ses pas faisait perler une goutte sur sa tempe et il semblait mesurer chaque effort avant de le faire. Ses yeux oscillaient entre des moments de regards taurins et d’autres où une malice perverse nous était jetée à la figure.

J’avais hérité à mon arrivée dans le service des soins de ce charmant monsieur dont on m’avait dit qu’il ne fallait jamais que je le voie seule et que je devais me méfier de lui. Je ne voyais pas pourquoi avant de lire les transmissions de mon prédécesseur à son sujet. Et pourtant, il ne payait pas de mine, et si je m’étais contentée de le juger sur son apparence, j’aurais pu me dire qu’il avait l’air de ne pas avoir inventé la poudre. Et pourtant…

Louis était là depuis dix ans alors qu’il ne présentait pas de symptômes psychiatriques depuis longtemps mais il avait réussi à berner son monde. Il était initialement en prison pour le viol et le meurtre  par décapitation de deux petites filles, avant de les jeter à la rivière. En bon psychopathe pervers. Froidement. Il avait été rattrapé par la justice et envoyé justement en prison, pour 20 ans (seulement). En y repensant, bien des années après, Louis me fait penser au personnage principal de Blast de Manu Larcenet. Avec les blasts, la drogue et le côté romanesque en moins…

Trouvant le temps long et croyant que l’hôpital psychiatrique était la panacée, il a réussi à berner deux experts psychiatres en mimant les symptômes de la schizophrénie, ce qui lui a permis pour bénéficier de soins “adaptés” d’être transféré à l’hôpital psychiatrique. Ne pouvant être brillant sur la durée, il mit la puce à l’oreille aux quelques générations de psychiatres du service où il était hospitalisé et le diagnostic fut corrigé. Même en arrêtant les traitements contre la schizophrénie, les symptômes délirants, les voix ne reprirent pas. Louis restait le personnage glacial, pédophile, dont l’oeil pétillait quand il passait devant la télévision du salon et que s’y trouvait une pauvre et innocente petite fille.

En tant qu’auteur de violences sexuelles, pour éviter qu’il ne récidive et sous injonction de soins, il bénéficiait d’un traitement hormonal de castration chimique. Mais Louis m’avoua un jour que cela ne marchait pas et qu’il bandait toujours autant quand il pensait à des gamines pré-pubères.

Personne ne venait le visiter. Ses parents étaient morts et il avait une sœur qui vivait à plus de mille kilomètres. Louis voulait se faire transférer dans l’hôpital psychiatrique le plus proche de chez elle mais il avait déjà essuyé un refus. Il attendait le résultat de sa procédure d’appel.

Au bout d’un moment, Louis commença à déprimer un peu. Il devenait plus irritable, dormait moins bien et ruminait autour de sa sortie et de son transfert potentiel. Cet homme avait déjà fait dix ans de prison et avec le système de remise de peine pour “bonne conduite”, il aurait probablement pu déjà être libéré. Alors que là, il n’avait aucune perspective de sortie. Les seuls moments où il franchissait le pas du service, passant le sas de sécurité entre les deux lourdes portes, c’était accompagné de deux soignants pour bénéficier de séances d’ergothérapie dans le bâtiment voisin. Louis en profitait sur le trajet pour humer l’air au parfum de liberté, auquel il avait droit une fois par semaine.

Ce pédophile meurtrier avait voulu faire le malin pour échapper à la justice. Il serait peut-être sorti à l’heure qu’il est (enfin bon, je n’espère pas, mais lui en était convaincu). Au vu des dernières confidences qu’il m’avait faites, Louis risque soit de rester indéfiniment à l’hôpital, soit de retourner en prison dans une des unités spécifiques aux auteurs de violences sexuelles. J’espère vraiment que ce prédateur sexuel ne puisse être libéré un jour. Même s’il court moins vite qu’il y a vingt ans.

Je ne suis pas impulsif, j’ai juste un tempérament slave

 

tempérament slave

Dans un des services de secteur ou j’ai travaillé, j’ai eu l’occasion de suivre un patient assez impressionnant, Mr Jkastouh. Il s’agissait d’un colosse de plus de deux mètres originaire des pays de l’est. C’est toujours une formulation un peu floue qui peut pour les français englober tous les pays d’Europe (si l’on excepte la Belgique, les Pays Bas, le Luxembourg, le Royaume Uni, l’Irlande, l’Espagne et le Portugal). En l’occurrence, je le voyais bien serbe. Mais bon, sans certitude. Ce dont je me souviens, c’est qu’il était hospitalisé depuis longtemps dans un contexte de schizophrénie résistante avec un traitement assez lourd.

En plus des manifestations psychotiques de la schizophrénie, il avait aussi des traits de personnalité psychopathique (aussi appelée antisociale), association que dans notre jargon nous nommons la schizophrénie héboïdophrène. Enfin bon, avant l’ère du DSM5.

Bref, ce n’était pas un enfant  de cœur, mais tout n’était pas fait de manière vraiment consciente.  La maladie lui donnait des “circonstances atténuantes”. Pour impressionner les nouveaux arrivants, les femmes et les plus jeunes, il avait pris l’habitude de raconter ses frasques et ses virées dans les bars.

Mr Jkastouh avait eu plus jeune une pratique intensive de sport de combat violent et il aimait à rappeler qu’il faisait de la boxe thaïlandaise et du Krav maga.

Il avait un lever de coude relativement dynamique, mais une génétique favorable à une certaine tolérance et un corps suffisamment vaste pour diluer une partie de l’alcool qu’il buvait.

Tout n’avait pas vocation à finir au fond de l’urinoir et une bonne partie montait tout de même à la tête, avec des manifestations de violence caractérisée qui pouvait sembler gratuite à certains moments. L’histoire qu’il avait tendance à raconter le plus souvent avait sympathiquement commencé par une beuverie fraternelle au bar avec d’autres piliers, quand il s’est senti attaqué au sujet de sa mère. Un grand classique indémodable…

Ni une ni deux, il a commencé par donner quelques coups, puis utiliser le mobilier du bar. Et c’est avec un sourire jusqu’au oreilles qu’il était fier de dire:

  • J’ai pété une table, trois chaises et quelques gueules. Quand les flics sont arrivés, il a fallu qu’ils soient quatre pour réussir à me contenir. Mais une fois arrivé au poste, j’leur ai sorti mon ordonnance et j’leur ai dit que j’étais suivi en psychiatrie. Y z’allaient quand même pas me foutre en tôle!

Quand ma chef de l’époque m’avait dressé le tableau de son histoire au moment où j’arrivais dans le service, elle avait évoqué les différents symptômes qu’il pouvait présenter. Parmi ceux-ci, elle avait dit:

  • Mr Jkastouh est un peu impulsif
  • Mais pas du tout Docteure, je suis pas du tout impulsif, j’ai juste un tempérament slave! Et j’suis pas méchant. Faut juste pas me chercher. J’vous conseille pas de parler de ma mère. Vous les psy vous avez qu’ce mot là à la bouche. Alors vous l’savez maintenant: on en parle pas avec moi!

Et de préciser:

  • J’ai fait de la box thaï et de l’ultimate fighting, alors j’ai peur de personne. J’ai donné plus de coups que j’en ai reçus.

Au vu de la tête du bonhomme, on ne peut manquer le fait qu’il ait reçu un bon nombre de coups. Dur d’imaginer qu’il ait pu en donner plus que cela!

Je n’ai évidemment jamais vu ce patient seule. Bien qu’à force de prendre des coups, d’avoir des poussées récurrentes de sa maladie et de recevoir des médicaments apaisants il paraissait plus inoffensif qu’il ne l’évoquait, je ne voulais pas risquer de me faire aplatir ou de voir sortir des bouts de mon cerveau par mes oreilles…

Je suis le Ré, le Râ, le Tout Puissant

Râ

Certains patients sont des artistes. On a souvent fait des parallèles entre la folie et l’art et nombreux sont ceux qui ont bénéficié de circonstances atténuantes dans leurs dérapages. Nombreux aussi sont les artistes incompris, inconnus, dont l’art n’a parfois pas dépassé la salle d’art-thérapie de l’hôpital psychiatrique qui les a un temps hébergés dans les moments les plus critiques.

Ismaël

Sur un hôpital de secteur, en unité fermée, j’ai fait la connaissance d’Ismaël. Il était musicien, compositeur et interprète. Il avait à plusieurs reprises été invité sur des plateaux de télévision pour présenter ses compositions et était plutôt bon chanteur et guitariste.

Ismaël était aussi atteint d’une schizophrénie relativement grave qui le mettait dans des états assez impressionnants. Il y avait à la fois des éléments de mégalomanie et un délire imaginatif assez fourni. Il était ainsi volubile et l’opinion qu’il avait de lui même ne manquait pas de déformer ses chaussures et ses casquettes. D’une voix changeante, il se faisait le réceptacle d’autres personnages. Ismaël déclamait ainsi régulièrement en salle commune:

  • Je suis le Ré, le Râ, le Tout Puissant! Vous me devez tous la vie. Sans moi, vous auriez déjà été anéantis. Si je n’avais pas été l’interprète des Entités, que j’ai comprises et réussi à apaiser, elles auraient envahi notre planète.
  • Ismaël, arrêtez de crier, vous faites peur aux autres patients, tentions nous de raisonner pour éviter de voir des mouvements de foule parmi ses compagnons d’infortune.
  • Tremblez et respectez moi! Vous m’êtes tous redevables. Sans moi, pfiou! Écrasés, pulvérisés que vous auriez été…
  • Merci Ismaël, nous vous devons une fière chandelle, ajoutais-je pour tenter de l’apaiser. Ne voulez-vous pas qu’on en discute en entretien dans votre chambre ou dans mon bureau? Pour un peu plus de confidentialité…

Il pouvait être accessible encore au raisonnement malgré le caractère intimidant du ton qu’il prenait dans ces moments-là. Il n’avait jamais été agressif physiquement et était connu du service depuis de nombreuses années. Cela me rassurait un peu, mais je dois dire que je n’étais pas toujours à l’aise avec lui. Je ne faisais pas toujours la fière et il sentait par moments qu’il pouvait générer la peur chez les autres.

La fugue

Un jour, nous constatons la disparition d’Ismaël. Il avait réussi à fuguer on ne sait comment du service. Nous recevons alors un coup de fil le lendemain:

  • Allô, bonjour, c’est l’hôpital psychiatrique de Cannes. Vous connaissez Ismaël?
  • Oui, j’ai peur de demander pourquoi. Il est chez vous???
  • Effectivement. Après avoir voulu monter les marches en compagnie des stars, il a été empêché par la sécurité, conduit au poste de police, puis dans notre service une fois qu’il a expliqué avoir fugué du votre.

Cette hospitalisation coïncidait en partie avec les dates du festival de Cannes. Ayant déjà eu l’occasion d’y aller, il avait décidé d’y retourner pour être à une place à la hauteur de son talent.

  • Vous le récupérez quand?
  • Ben attendez, il faut que je voie avec ma cadre, que cela tombe à un moment où il y a un nombre de soignants suffisant.
  • Si ça peut être le plus rapidement possible, ça nous arrangerait. En ce moment c’est vraiment la galère. Comme chaque année on a 30% des hospitalisations pendant le festival qui correspondent à des hors secteur. Et on peut plus hospitaliser nos propres patients après.

Comme expliqué plus haut, le secteur est l’endroit d’hospitalisation en lien avec le lieu d’habitation. Si un patient ne peut être hospitalisé sur son secteur, celui-ci peut parfois négocier avec les autres un hébergement temporaire le temps qu’une place se libère.

Certains secteurs qui ont très peu de lits comparativement à la population qui en dépend et certains patients peuvent parfois rester toute la durée de l’hospitalisation chez un hôte accueillant avec ce statut de “hors-secteur”. Quand le patient est hospitalisé sous contrainte, si le patient est récupéré, des soignants de l’hôpital normalement en charge du patient doivent venir dans l’hôpital d’hébergement pour que le voyage soit sécurisé et qu’on évite une fugue.

Vu le contexte, il était indispensable que deux personnes aillent chercher Ismaël à Cannes. L’aide-soignant accompagnant l’infirmière chargé de cette mission dira:

  • C’est déjà pas mal, mais il aurait dû fuguer en Martinique, j’aurais pu passer dire bonjour à la famille!

Cannabis, Facebook et cinéma

Cannabis Facebook et cinéma

La première fois que je l’ai vu, il était mal voire pas rasé, sentait le tabac froid avec une telle intensité que mon bureau s’emplit de ces effluves en moins de deux minutes. Vingt-deux ans, le dos voûté, ses petits yeux interrogatifs croisant parfois mon regard, Jérôme avait décidé de faire une thérapie pour faire le point sur sa “vie de raté”. Pour parvenir à se comprendre et changer la donne.

Il avait débuté des études d’informatique mais était recalé cette année du fait de ne pas avoir rendu un mémoire. Jérôme passait donc le plus clair de son temps chez lui à fumer des joints et être dans son petit monde. Il avait des amis qu’il avait par moments du mal à fréquenter. Sa sociabilisation sous cannabis n’étant pas la meilleure. Certains d’entre eux faisaient partie du monde artistique.

Cinéma

Ainsi, a-t-il pu avoir la chance de participer au tournage du dernier film d’un grand réalisateur. En tant que figurant, certes, mais notre apprenti acteur avait pu voir un peu les dessous de cet univers. Le réalisateur offrait des consommations gratuites dans des vrais bars pour rendre plus vraie l’ambiance. Jérôme ne se fit pas prier et devint un peu entreprenant avec l’une des filles avec qui il avait eu la chance de partager ce moment convivial. Après quelques verres de trop, il ne se fit plus servir et fut congédié le lendemain.

  • Je me suis pas fait virer, hein! Mais bon, j’ai senti assez rapidement que l’assistante réalisatrice m’avait dans le nez. Ma gueule lui a pas plu, alors y a des chances que j’apparaisse pas au montage…

Cela l’avait pas mal secoué et Jérôme avait décidé quelques temps d’arrêter de fumer des joints. Enfin, jusqu’à la prochaine occasion d’en racheter… Soit moins de dix jours après!

Le délire

La dernière consultation où j’ai vu Jérôme, il m’a confié avoir traversé une période sacrément difficile depuis la consultation précédente. Il était convaincu qu’il était dans un film en cours de tournage, dont il était la caméra, le point de vue.

  • J’avais la sensation d’être dans la matrice et de chercher le lapin blanc. Que j’allais être contacté par Morpheus. C’était pas angoissant du tout. Je sentais qu’il était bienveillant. Tout prenait sens, avait une logique. Tout pouvait s’expliquer.

Il avait une diction rapide et s’animait par moments en évoquant son vécu expérientiel. Je commençais à me familiariser avec l’haleine de tabac froid et de cette odeur âcre que ses vêtements exhalaient aussi.

Facebook et l’amour

  • Le point de départ de tout ça, c’est quand même cette fille, Maud. J’ai fait connaissance avec elle dans un bar et on s’est échangés nos Facebook. J’ai commencé à discuter avec elle sur ce réseau social où je me suis inscrit justement pour ça. J’suis pas trop réseaux sociaux, mais pour draguer, si t’as pas un Facebook, c’est comme pour l’histoire de la Rolex à cinquante ans. Après j’ai dû être trop insistant, alors elle m’a bloqué. La loose…!

Cela avait été alors pour lui une grosse source de souffrance et de frustration et il avait commencé à décrypter tous les signes potentiels qu’il pouvait tout autour de lui.

  • Sur Facebook j’ai bien compris que tout faisait référence à Maud, que tout ce que les gens pouvaient dire aboutissait à elle, qu’elle était mon programme, mon aboutissement, la fin de mon film.

Il semblait obnubilé par cette fille qui ne montrait pas le moindre intérêt pour lui.

  • Dehors, c’était pareil, je sentais que Maud avait semé des indices partout pour que je puisse la retrouver, comprendre des choses sur elle. Bref, que je puisse être plus proche.

Les parents et le médecin traitant

En jeune adulte fraîchement et partiellement émancipé, il revenait régulièrement chez ses parents le week-end. Lessive, quelques tupperwares pour la semaine faisaient partie des agréments de ne pas complètement couper le cordon.

  • J’ai été chez mes parents pendant quelques jours et ils m’ont trouvé bizarre. Je leur ai raconté ce que je vivais, ce que je ressentais en ce moment. Ma mère a été voir son médecin généraliste et il m’a dit que je faisais une bouffée délirante aiguë ou épisode psychotique bref.

Et là, je me disais, alléluia! Magnifique travail du médecin traitant qui le connaît depuis qu’il babille. Mon travail sera plus simple.

  • Je me suis bien fait enguirlander, mais la vérité j’ai vraiment eu la sensations qu’ils étaient tous inquiets pour moi. C’est vrai que là, depuis que j’ai à nouveau arrêté les joints, je critique un peu cette période. Maintenant je m’en fiche de finir le film. Adviendra ce qui adviendra.

Critique partielle de son délire. Le mi-figue mi-raisin de la réassurance de la psychiatre.

Le cannabis

  • Et donc vous avez arrêté complètement les joints?
  • Enfin presque, j’en fume plus que deux trois par jour, rien à voir avec ce que je fume d’habitude!

C’était couru d’avance. Malgré le désir d’y croire. Là, je me dis que je ne suis pas plus avancée. Car la grosse question dans ce genre de cas de figure, c’est de savoir s’il débute une schizophrénie où si c’est “seulement” les joints qui le font délirer gentiment. Vu la motivation à arrêter de fumer,  ce sera difficile de faire sans un petit séjour dans un établissement public de santé. Après contact, ses parents étant à plus d’une heure de là où vit Jérôme, ils préfèrent qu’il soit hospitalisé près de chez eux. Avec l’aide du médecin traitant.

On croise les doigts. J’espère que les symptômes vont régresser à l’arrêt complet du cannabis…

Dieu le mâle et le Diable la femelle

Dieu et le Diable

Age et schizophrénie

Mehdi, un patient que j’ai vu en service fermé me restera particulièrement en mémoire. J’avais à l’époque un peu plus de vingt-cinq ans (mais tout de même moins de trente).

Et j’avais appris durant mes études que le pic de fréquence de déclenchement de la schizophrénie se situait entre dix-huit et vingt-cinq ans. Je me sentais sortie d’affaire. Même si je savais que la médecine et les statistiques qui en découlent ne sont pas des sciences exactes.

Mehdi avait trente ans et venait gâcher mon nid douillet de réassurance que je m’étais concoctée à coup de sirop d’articles scientifiques. Il avait trente ans et présentait depuis près d’un an une modification de sa personnalité, de son comportement et avait arrêté de travailler.

Les changements

C’était par ailleurs un gros consommateur de cannabis, dont l’usage s’était accéléré ces derniers mois. Il restait tour à tour cloîtré chez lui ou au contraire disparaissait de nombreux jours durant sans donner de nouvelles à son entourage. Celui-ci devenait de plus en plus inquiet à son égard.

Ses propos étaient délirants voire incompréhensibles à certains moments. Et surtout il avait une agressivité que personne ne lui connaissait jusque là. C’est dans ce contexte qu’il a été amené aux urgences. Ce avant d’être transféré dans notre unité fermée de secteur.

A l’hôpital

Mehdi nous mit rapidement dans le bain de ses nouvelles aptitudes. Il envoya au tapis deux aide-soignants en tentant de fuguer du service. Tout en vociférant des propos inquiétants. Après avoir déclenché l’alarme, du renfort vint des autres pavillons. Et nous pûmes non sans peine le maîtriser pour le conduire en chambre d’isolement.

Pour compléter, nous lui avons mis une contention physique. Afin d’éviter dans un premier temps de se prendre de nouvelles châtaignes. Il était particulièrement sportif. Et son physique athlétique lui conférait une dangerosité certaine en conditions de lutte.

Le délire

Son délire était particulièrement floride. Avec hallucinations acoustico-verbales. Il entendait les voix de trois hommes qu’il ne connaissait pas. Ils lui demandaient de faire du mal aux autres, l’incitant à la violence. Avec syndrome d’influence, ayant par moments l’impression d’être commandé par une force extérieure. Comme piloté par les petits aliens dans Men in Black.

Il présentait aussi un syndrome de référence. Avec interprétation que tout lui était personnellement dirigé, d’où que vienne l’information.

Il avait donc la chance de se faire draguer tous les jours par Louise Bourgoin. Elle faisait la météo de Canal +. Son show était entièrement dédié à Mehdi. Il comprenait aussi des messages cachés, codés pour qu’il les comprenne. Aussi bien à la télévision, la radio que les journaux.

Son attention était centrée sur ses perceptions déformées. Il en était arrivé à la conclusion qu’il était Dieu lui-même. Mehdi nous menaçait régulièrement de ses foudres divines tout en nous priant de le détacher.

Autant dire que nous avions une confiance aveugle…

Le traitement

Nous avons introduit des traitements antipsychotiques (neuroleptiques). Le but était de faire céder son délire. Et des traitements sédatifs pour l’apaiser. Mais il restait perché, toujours aussi véhément et délirant. Presque chaque tentative de le détacher se finissait mal. Il fallait inlassablement renouveler les prescriptions de contention physique et de chambre d’isolement.

C’est le patient que j’ai laissé le plus longtemps dans cette situation qu’on ne garde en général que quelques jours au plus. Il a fallu près d’un mois pour que son état mental puisse laisser envisager de le confronter aux autres patients sans qu’il ne risque de les envoyer aux urgences pour des fractures ou des plaies.

Lors d’un entretien

Un jour que je restais un peu plus longtemps à discuter avec lui. Pour essayer de percevoir une amélioration que nous attendions avec impatience, il me dit:

  • Vous savez docteure, les hommes ont tous une part de féminité en eux.
  • Ce n’est pas faux, lui répondis-je en me disant que s’il philosophait, c’est qu’il devait aller un peu mieux. Je commençais à réfléchir aux arguments biologiques qui pouvait sous-tendre ce genre de discours. Au livre humoristique mais néanmoins scientifique d’Alan et Barbara Pease “Pourquoi les hommes n’écoutent jamais rien et pourquoi les femmes ne savent pas lire les cartes routières ?” Il évoque un gradient de féminité quelque soit le sexe en fonction de l’imprégnation hormonale.
  • Oui, docteure, et moi, la femme qui est en moi, c’est le Diable!

Je n’ai pas su quoi répondre.

Tu es si sexy!

tu es si sexy

 

John est rentré dans le service de secteur où je travaillais pour une recrudescence délirante dans un contexte de schizophrénie connue et stabilisée depuis un moment.

Il voyait régulièrement sa psychiatre, prenait bien son traitement. Cet homme ne fumait pas de cannabis ni ne buvait d’alcool et consommait encore moins d’autres drogues. Il était bien inséré dans la société. John était marié depuis dix ans à une femme qu’il connaissait depuis encore plus longtemps. Il en était encore amoureux et avait l’air de bénéficier d’une réciprocité.

John travaillait dans une grande enseigne de bricolage et était parfaitement compétent dans son domaine d’outillage. Il avait le statut RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé). Mais il pouvait se targuer d’être l’un des meilleurs vendeurs du magasin.

Schizophrénie et travail

On pouvait dire qu’il avait de la chance. Car cette maladie grave et handicapante qu’est la schizophrénie ne permet qu’à moins de dix pour cent de personnes qui en sont atteintes en France de pouvoir travailler en milieu ordinaire. La grande majorité ne travaille pas. Et ceux qui le peuvent trouvent plus de facilité à trouver un emploi en milieu protégé. Principalement en ESAT: Établissements et Services d’Aide par le Travail, anciennement CAT: Centres d’Aide par le Travail.

Dans sa chance, il avait aussi pour lui d’échapper au caractère très désagréable des symptômes de sa maladie. Oui, il entendait des voix. Mais pas n’importe lesquelles! Il s’agissait de voix de jeunes femmes sexy qui lui susurraient des mots doux à l’oreille.

  • Oui, John, tu es le meilleur. Tu es le plus beau!
  • Tu me fais frémir. J’aime tes fesses et tes cuisses musclées!
  • Viens me rejoindre, je te ferai connaître l’Eden.
  • Tu es si sexy…

Quand il entendait ces voix au travail, il se retournait. John changeait de rayon pour essayer d’identifier ses mystérieuses admiratrices, sans jamais pouvoir les repérer. Cela le déstabilisait et sa hiérarchie commençait à trouver que son comportement devenait bizarre. 

Au domicile, il pensait que ses voisines étaient audacieuses. Car elles n’arrêtaient pas malgré la présence de sa femme, à qui il confia ses tourments érotiques. Elle lui confirma ne pas entendre ce qu’il percevait en sa compagnie. Alors il dut admettre qu’il y avait un problème de harcèlement sexuel sans harceleuse dûment présente. Il avait des difficultés à dormir, gêné par cette présence de plus en plus assidue qui le mettait en tension.

Hospitalisation

Ils firent appel à sa psychiatre qui nous l’envoya à l’hôpital pour modifier le traitement. Sans facteur déclenchant particulier, il fallait en effet constater une moindre efficacité du traitement qu’il recevait. Devant les tonalités érotomane et mégalomaniaque, nous devions aussi éliminer une phase maniaque que l’on peut retrouver chez certaines personnes atteintes de schizophrénie que l’on nomme alors trouble schizoaffectif. Ce n’était pas cela. Il avait juste le postérieur bordé de spaghettis et entendait des voix de naïades là où la majorité des patients atteints de schizophrénie entendent des choses menaçantes, désagréables ou tentant de leur faire faire des choses qu’ils ne désirent pas.

Après quelques semaines de changement de traitement, John et sa femme purent enfin dormir sur leurs quatre oreilles. Les naïades désertèrent et le train train quotidien put se réinstaller.

  • Je vous conseille ce tournevis, une bonne prise en main, une taille de cruciforme standard, bref l’idéal pour ce dont vous avez besoin…