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Louis ou comment passer de la prison à l’hôpital psychiatrique

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A l’hôpital psychiatrique, on rencontre parfois des personnages qui nous font froid dans le dos. En début de semestre en tant que jeune interne dans une structure accueillant des patients hospitalisés sous contrainte (pour rappel, le fonctionnement de la psychiatrie en France), j’ai eu l’occasion de croiser la route de Louis.

Volumineux bonhomme  de cent-vingt kilos pour un mètre soixante-dix, il pouvait parfois donner l’impression qu’il allait se mettre à rouler. Chacun de ses pas faisait perler une goutte sur sa tempe et il semblait mesurer chaque effort avant de le faire. Ses yeux oscillaient entre des moments de regards taurins et d’autres où une malice perverse nous était jetée à la figure.

J’avais hérité à mon arrivée dans le service des soins de ce charmant monsieur dont on m’avait dit qu’il ne fallait jamais que je le voie seule et que je devais me méfier de lui. Je ne voyais pas pourquoi avant de lire les transmissions de mon prédécesseur à son sujet. Et pourtant, il ne payait pas de mine, et si je m’étais contentée de le juger sur son apparence, j’aurais pu me dire qu’il avait l’air de ne pas avoir inventé la poudre. Et pourtant…

Louis était là depuis dix ans alors qu’il ne présentait pas de symptômes psychiatriques depuis longtemps mais il avait réussi à berner son monde. Il était initialement en prison pour le viol et le meurtre  par décapitation de deux petites filles, avant de les jeter à la rivière. En bon psychopathe pervers. Froidement. Il avait été rattrapé par la justice et envoyé justement en prison, pour 20 ans (seulement). En y repensant, bien des années après, Louis me fait penser au personnage principal de Blast de Manu Larcenet. Avec les blasts, la drogue et le côté romanesque en moins…

Trouvant le temps long et croyant que l’hôpital psychiatrique était la panacée, il a réussi à berner deux experts psychiatres en mimant les symptômes de la schizophrénie, ce qui lui a permis pour bénéficier de soins “adaptés” d’être transféré à l’hôpital psychiatrique. Ne pouvant être brillant sur la durée, il mit la puce à l’oreille aux quelques générations de psychiatres du service où il était hospitalisé et le diagnostic fut corrigé. Même en arrêtant les traitements contre la schizophrénie, les symptômes délirants, les voix ne reprirent pas. Louis restait le personnage glacial, pédophile, dont l’oeil pétillait quand il passait devant la télévision du salon et que s’y trouvait une pauvre et innocente petite fille.

En tant qu’auteur de violences sexuelles, pour éviter qu’il ne récidive et sous injonction de soins, il bénéficiait d’un traitement hormonal de castration chimique. Mais Louis m’avoua un jour que cela ne marchait pas et qu’il bandait toujours autant quand il pensait à des gamines pré-pubères.

Personne ne venait le visiter. Ses parents étaient morts et il avait une sœur qui vivait à plus de mille kilomètres. Louis voulait se faire transférer dans l’hôpital psychiatrique le plus proche de chez elle mais il avait déjà essuyé un refus. Il attendait le résultat de sa procédure d’appel.

Au bout d’un moment, Louis commença à déprimer un peu. Il devenait plus irritable, dormait moins bien et ruminait autour de sa sortie et de son transfert potentiel. Cet homme avait déjà fait dix ans de prison et avec le système de remise de peine pour “bonne conduite”, il aurait probablement pu déjà être libéré. Alors que là, il n’avait aucune perspective de sortie. Les seuls moments où il franchissait le pas du service, passant le sas de sécurité entre les deux lourdes portes, c’était accompagné de deux soignants pour bénéficier de séances d’ergothérapie dans le bâtiment voisin. Louis en profitait sur le trajet pour humer l’air au parfum de liberté, auquel il avait droit une fois par semaine.

Ce pédophile meurtrier avait voulu faire le malin pour échapper à la justice. Il serait peut-être sorti à l’heure qu’il est (enfin bon, je n’espère pas, mais lui en était convaincu). Au vu des dernières confidences qu’il m’avait faites, Louis risque soit de rester indéfiniment à l’hôpital, soit de retourner en prison dans une des unités spécifiques aux auteurs de violences sexuelles. J’espère vraiment que ce prédateur sexuel ne puisse être libéré un jour. Même s’il court moins vite qu’il y a vingt ans.

Je ne suis pas impulsif, j’ai juste un tempérament slave

 

tempérament slave

Dans un des services de secteur ou j’ai travaillé, j’ai eu l’occasion de suivre un patient assez impressionnant, Mr Jkastouh. Il s’agissait d’un colosse de plus de deux mètres originaire des pays de l’est. C’est toujours une formulation un peu floue qui peut pour les français englober tous les pays d’Europe (si l’on excepte la Belgique, les Pays Bas, le Luxembourg, le Royaume Uni, l’Irlande, l’Espagne et le Portugal). En l’occurrence, je le voyais bien serbe. Mais bon, sans certitude. Ce dont je me souviens, c’est qu’il était hospitalisé depuis longtemps dans un contexte de schizophrénie résistante avec un traitement assez lourd.

En plus des manifestations psychotiques de la schizophrénie, il avait aussi des traits de personnalité psychopathique (aussi appelée antisociale), association que dans notre jargon nous nommons la schizophrénie héboïdophrène. Enfin bon, avant l’ère du DSM5.

Bref, ce n’était pas un enfant  de cœur, mais tout n’était pas fait de manière vraiment consciente.  La maladie lui donnait des “circonstances atténuantes”. Pour impressionner les nouveaux arrivants, les femmes et les plus jeunes, il avait pris l’habitude de raconter ses frasques et ses virées dans les bars.

Mr Jkastouh avait eu plus jeune une pratique intensive de sport de combat violent et il aimait à rappeler qu’il faisait de la boxe thaïlandaise et du Krav maga.

Il avait un lever de coude relativement dynamique, mais une génétique favorable à une certaine tolérance et un corps suffisamment vaste pour diluer une partie de l’alcool qu’il buvait.

Tout n’avait pas vocation à finir au fond de l’urinoir et une bonne partie montait tout de même à la tête, avec des manifestations de violence caractérisée qui pouvait sembler gratuite à certains moments. L’histoire qu’il avait tendance à raconter le plus souvent avait sympathiquement commencé par une beuverie fraternelle au bar avec d’autres piliers, quand il s’est senti attaqué au sujet de sa mère. Un grand classique indémodable…

Ni une ni deux, il a commencé par donner quelques coups, puis utiliser le mobilier du bar. Et c’est avec un sourire jusqu’au oreilles qu’il était fier de dire:

  • J’ai pété une table, trois chaises et quelques gueules. Quand les flics sont arrivés, il a fallu qu’ils soient quatre pour réussir à me contenir. Mais une fois arrivé au poste, j’leur ai sorti mon ordonnance et j’leur ai dit que j’étais suivi en psychiatrie. Y z’allaient quand même pas me foutre en tôle!

Quand ma chef de l’époque m’avait dressé le tableau de son histoire au moment où j’arrivais dans le service, elle avait évoqué les différents symptômes qu’il pouvait présenter. Parmi ceux-ci, elle avait dit:

  • Mr Jkastouh est un peu impulsif
  • Mais pas du tout Docteure, je suis pas du tout impulsif, j’ai juste un tempérament slave! Et j’suis pas méchant. Faut juste pas me chercher. J’vous conseille pas de parler de ma mère. Vous les psy vous avez qu’ce mot là à la bouche. Alors vous l’savez maintenant: on en parle pas avec moi!

Et de préciser:

  • J’ai fait de la box thaï et de l’ultimate fighting, alors j’ai peur de personne. J’ai donné plus de coups que j’en ai reçus.

Au vu de la tête du bonhomme, on ne peut manquer le fait qu’il ait reçu un bon nombre de coups. Dur d’imaginer qu’il ait pu en donner plus que cela!

Je n’ai évidemment jamais vu ce patient seule. Bien qu’à force de prendre des coups, d’avoir des poussées récurrentes de sa maladie et de recevoir des médicaments apaisants il paraissait plus inoffensif qu’il ne l’évoquait, je ne voulais pas risquer de me faire aplatir ou de voir sortir des bouts de mon cerveau par mes oreilles…