Gérald et Cécile
Parfois, dans le métier de psychiatre, on est confronté à des situations de travail lors même que nous n’y sommes pas. De cette façon, j’ai eu l’occasion de me retrouver mêlée au coeur d’un conflit de couple absolument sans le vouloir. Un ami, Gérald était depuis un bon moment avec une femme, Cécile avec qui les choses ne se passaient pas de manière paisible. Couple haut en couleurs, on pouvait dire qu’ils ne devaient pas s’ennuyer. Gérald était lui même suivi par un collègue analyste depuis quelques temps du fait de la souffrance que représentait cette relation. Au bout d’un certain nombre de remises en questions, il décida finalement d’en rester là, malgré la conscience que cette rupture n’allait pas être évidente. Euphémisme. Cela fut long et très compliqué, avec de nombreux rebondissements.
Cécile avait eu l’occasion de me connaître lors de soirées en commun et savait que j’étais psy. On avait un peu sympathisé et j’avais dû donner mon numéro de téléphone. Quelle ne fut pas mon erreur! Je me suis retrouvée l’oreille et l’épaule réconfortante, et elle tentait tant bien que mal que je joue un rôle auprès de son ex pour retrouver de l’estime à ses yeux. C’est ainsi que je pus me rendre compte de l’ampleur des symptômes qu’elle pouvait présenter et qui avait dû épuiser mon ami.
Dans notre jargon psychiatrique, on évoque la pathologie qu’elle présentait par le nom de personnalité limite ou personnalité borderline.
Les symptômes du trouble de la personnalité limite ou borderline
Le premier symptôme visible dans ce contexte est ce que l’on appelle le vécu abandonnique de la séparation. En gros, c’est cette recherche effrénée d’éviter qu’on ne les abandonne avec moult tentatives de récupérer les morceaux de la relation quand cela se passe. Cécile harcelait Gérald, qui avait dû changer de ligne téléphonique, essayait de me presser à influer en sa faveur. J’appris ainsi que l’abandon originel avait bien été réel car elle était adoptée et ne connaissait pas ses parents biologiques.
L’un des autres symptômes est l’alternance d’idéalisation et de dévalorisation de l’entourage, dont ses parents adoptifs et son frère faisaient partie. Ils étaient tour à tour hissés au rang de héros nationaux et redescendaient honnis comme des traîtres la semaine suivante, au gré des interactions qui ne pouvaient qu’être houleuses.
Un autre symptôme relève de l’identité sexuelle, avec un questionnement récurrent. Cécile m’avait fait part de son questionnement et sa démarche bouleversante d’essai antérieur avec une autre femme, ne semblant pas complètement fixée malgré son amour intense pour mon ami.
Elle avait des préoccupations corporelles et faisait du sport de façon intensive, avec un régime alimentaire “adapté” pour ne développer que la masse musculaire.
Cécile pouvait rentrer dans des rages folles et se mettre en danger. Ainsi, elle avait déjà jeté l’ordinateur par la fenêtre de l’appartement (au 5ème étage) à l’époque où le couple était encore ensemble. Cécile avait même déjà cogné sa tête contre une vitre, qui en se brisant lui avait laissé un souvenir durant plusieurs mois. Elle conduisait vite, couchait parfois avec n’importe qui.
Du temps où ils étaient encore ensemble, Cécile avait déjà fait plusieurs tentatives de suicide.
Comment faire?
C’est aussi pour cette raison que je ne me sentais pas de ne pas répondre à ses appels répétés. Qui frisaient parfois au harcèlement. J’ai des souvenirs de gardes que je faisais, où je me faisais réveiller par Cécile alors même que le service était plutôt calme. Du fait de cette position difficile et non choisie, je l’ai dirigée progressivement vers des collègues de son secteur, où une hospitalisation permit d’apaiser la situation. Un suivi régulier ambulatoire a pu se mettre en place par la suite, me soulageant grandement de cette responsabilité qui m’embarrassait.
Elle a ensuite pu se remettre à nouveau en couple, d’abord sans oublier mon ami, puis s’est plus investie. Je l’ai maintenant perdue de vue. Cécile n’a plus besoin de moi!