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DJ Astair et le nerf auriculotesticulaire

DJ

 

Florent, alias DJ Astair, dix-neuf ans, est rentré dans le service de psychiatrie de l’hôpital général accompagné de ses parents inquiets. Casque de DJ sur les oreilles comme beaucoup de jeunes de son âge, son attitude désinvolte contrastait avec la mine affolée de ses ascendants. Bien que l’hospitalisation soit libre, on sentait le poids de l’argumentaire parental dans l’acceptation de ce passage en villégiature psychiatrique. Florent avait dit oui à ses parents pour les rassurer, mais n’avait nulle crainte quant à lui. A l’aise dans ses larges baskets dont les couleurs avaient l’effet d’un bon café bien serré sur le cerveau de celui qui les apercevait, il était venu pour l’expérience, curieux de ce que nous pourrions apporter à son existence déjà riche.

Florent avait arrêté les études après le bac car il s’était lancé dans une carrière de DJ et de musicien autodidacte. Il n’avait jamais fait de solfège, d’école de musique ou de conservatoire. Il n’avait jamais pris le moindre cours avec un professeur quel qu’il soit. Mais Florent écoutait beaucoup de musique et avait le feeling. En bon geek, il savait aussi trouver les informations adéquates sur le net et apprendre à l’aide de tutoriels. Alors Florent s’était investi corps et âme dans l’apprentissage de la musique électronique à l’aide de logiciels spécifiques, composant les différentes voix qu’il surajoutait pour créer une musique cohérente, envoûtante, dans le désir de faire vibrer d’autres humains aux sons qu’il avait d’abord imaginés dans son esprit. Sa démarche artistique lui conférait une incroyable prestance. On pouvait sentir qu’elle l’animait et offrait à son existence un sens profond.

Vous vous demanderez judicieusement ce qui pouvait le conduire en nos murs et inquiéter cette mère et ce père aux sourcils froncés de préoccupations lointaines à l’esprit de ce jeune homme. Lui-même n’en était pas gêné plus que cela, mais ses parents avaient compris que quelque chose se passait d’étrange chez leur rejeton. Florent leur avait fait part de perceptions qu’il pouvait avoir pour le moins questionnantes. Revisitant les manuels d’anatomie, il avait cartographié les différents liens entre les organes, avec associations  prêtant au sourire.

Ainsi, il était convaincu qu’un axe de symétrie était censé se trouver dans l’organisme et que le sien avait un léger décalage sur la droite de quelques degrés qui le poussait en situation parfois inconfortable, l’obligeant par moments à développer une énergie non négligeable de recalage perceptuel. Par ce focus mental, son axe passait de celui de la tour de Pise à celui de la tour Eiffel. A nouveau droit dans ses baskets fluos.  

Plus marquant encore, il percevait le trajet de son nerf auriculo-testiculaire. En temps habituel, cela lui accordait la possibilité de se caresser délicatement l’oreille pour ressentir une simulation plus lointaine. Mais avec son désaxage symétrique, ce nerf entre autre se coinçait sur les structures adjacentes de manières désagréable par moments.

Ces perceptions anormales et le discours interprétatif qu’il avait sur une kyrielle d’autres sujets laissait penser à un épisode psychotique aigu ou l’instauration d’un épisode chronique débutant. Avec cette fameuse crainte pour les psychiatres et les parents de l’entrée dans la schizophrénie…

Après quelques entretiens, Florent admit qu’il prenait des toxiques psychodysleptiques qui avaient cette influence sur sa créativité et ses perceptions. LSD, cannabis, MDMA faisaient partie de ce qu’il consommait régulièrement. (Comme un autre jeune avec le cinéma dans cet article)

 

Après quinze jours d’hospitalisation avec un traitement antipsychotique (voir ici ces traitements), son axe de symétrie était revenu à la normale et lorsqu’il se grattait l’oreille, rien ne bougeait dans son caleçon. Le sevrage lui avait rendu ses perceptions. Quid de la créativité? Je ne l’ai pas su, mais j’espère que cela n’a pas eu d’incidence sur sa musique, qui ne m’avait pas laissée indifférente!

Je ne peux m’empêcher de rebondir sur  le questionnement de la créativité et de la psychose  avec cet article de France Info, reprenant des données d’un article scientifique de Nature Neuroscience.

Cannabis, Facebook et cinéma

Cannabis Facebook et cinéma

La première fois que je l’ai vu, il était mal voire pas rasé, sentait le tabac froid avec une telle intensité que mon bureau s’emplit de ces effluves en moins de deux minutes. Vingt-deux ans, le dos voûté, ses petits yeux interrogatifs croisant parfois mon regard, Jérôme avait décidé de faire une thérapie pour faire le point sur sa “vie de raté”. Pour parvenir à se comprendre et changer la donne.

Il avait débuté des études d’informatique mais était recalé cette année du fait de ne pas avoir rendu un mémoire. Jérôme passait donc le plus clair de son temps chez lui à fumer des joints et être dans son petit monde. Il avait des amis qu’il avait par moments du mal à fréquenter. Sa sociabilisation sous cannabis n’étant pas la meilleure. Certains d’entre eux faisaient partie du monde artistique.

Cinéma

Ainsi, a-t-il pu avoir la chance de participer au tournage du dernier film d’un grand réalisateur. En tant que figurant, certes, mais notre apprenti acteur avait pu voir un peu les dessous de cet univers. Le réalisateur offrait des consommations gratuites dans des vrais bars pour rendre plus vraie l’ambiance. Jérôme ne se fit pas prier et devint un peu entreprenant avec l’une des filles avec qui il avait eu la chance de partager ce moment convivial. Après quelques verres de trop, il ne se fit plus servir et fut congédié le lendemain.

  • Je me suis pas fait virer, hein! Mais bon, j’ai senti assez rapidement que l’assistante réalisatrice m’avait dans le nez. Ma gueule lui a pas plu, alors y a des chances que j’apparaisse pas au montage…

Cela l’avait pas mal secoué et Jérôme avait décidé quelques temps d’arrêter de fumer des joints. Enfin, jusqu’à la prochaine occasion d’en racheter… Soit moins de dix jours après!

Le délire

La dernière consultation où j’ai vu Jérôme, il m’a confié avoir traversé une période sacrément difficile depuis la consultation précédente. Il était convaincu qu’il était dans un film en cours de tournage, dont il était la caméra, le point de vue.

  • J’avais la sensation d’être dans la matrice et de chercher le lapin blanc. Que j’allais être contacté par Morpheus. C’était pas angoissant du tout. Je sentais qu’il était bienveillant. Tout prenait sens, avait une logique. Tout pouvait s’expliquer.

Il avait une diction rapide et s’animait par moments en évoquant son vécu expérientiel. Je commençais à me familiariser avec l’haleine de tabac froid et de cette odeur âcre que ses vêtements exhalaient aussi.

Facebook et l’amour

  • Le point de départ de tout ça, c’est quand même cette fille, Maud. J’ai fait connaissance avec elle dans un bar et on s’est échangés nos Facebook. J’ai commencé à discuter avec elle sur ce réseau social où je me suis inscrit justement pour ça. J’suis pas trop réseaux sociaux, mais pour draguer, si t’as pas un Facebook, c’est comme pour l’histoire de la Rolex à cinquante ans. Après j’ai dû être trop insistant, alors elle m’a bloqué. La loose…!

Cela avait été alors pour lui une grosse source de souffrance et de frustration et il avait commencé à décrypter tous les signes potentiels qu’il pouvait tout autour de lui.

  • Sur Facebook j’ai bien compris que tout faisait référence à Maud, que tout ce que les gens pouvaient dire aboutissait à elle, qu’elle était mon programme, mon aboutissement, la fin de mon film.

Il semblait obnubilé par cette fille qui ne montrait pas le moindre intérêt pour lui.

  • Dehors, c’était pareil, je sentais que Maud avait semé des indices partout pour que je puisse la retrouver, comprendre des choses sur elle. Bref, que je puisse être plus proche.

Les parents et le médecin traitant

En jeune adulte fraîchement et partiellement émancipé, il revenait régulièrement chez ses parents le week-end. Lessive, quelques tupperwares pour la semaine faisaient partie des agréments de ne pas complètement couper le cordon.

  • J’ai été chez mes parents pendant quelques jours et ils m’ont trouvé bizarre. Je leur ai raconté ce que je vivais, ce que je ressentais en ce moment. Ma mère a été voir son médecin généraliste et il m’a dit que je faisais une bouffée délirante aiguë ou épisode psychotique bref.

Et là, je me disais, alléluia! Magnifique travail du médecin traitant qui le connaît depuis qu’il babille. Mon travail sera plus simple.

  • Je me suis bien fait enguirlander, mais la vérité j’ai vraiment eu la sensations qu’ils étaient tous inquiets pour moi. C’est vrai que là, depuis que j’ai à nouveau arrêté les joints, je critique un peu cette période. Maintenant je m’en fiche de finir le film. Adviendra ce qui adviendra.

Critique partielle de son délire. Le mi-figue mi-raisin de la réassurance de la psychiatre.

Le cannabis

  • Et donc vous avez arrêté complètement les joints?
  • Enfin presque, j’en fume plus que deux trois par jour, rien à voir avec ce que je fume d’habitude!

C’était couru d’avance. Malgré le désir d’y croire. Là, je me dis que je ne suis pas plus avancée. Car la grosse question dans ce genre de cas de figure, c’est de savoir s’il débute une schizophrénie où si c’est “seulement” les joints qui le font délirer gentiment. Vu la motivation à arrêter de fumer,  ce sera difficile de faire sans un petit séjour dans un établissement public de santé. Après contact, ses parents étant à plus d’une heure de là où vit Jérôme, ils préfèrent qu’il soit hospitalisé près de chez eux. Avec l’aide du médecin traitant.

On croise les doigts. J’espère que les symptômes vont régresser à l’arrêt complet du cannabis…

Raël et la Slovénie

 

Raël

Parfois, le destin nous amène sur des routes qui nous permettent de croiser des personnes auxquelles on ne s’attendrait pas. Certes, je n’ai pas une imagination débordante, mais croiser un prophète en chair et en os n’est pas chose dénuée d’intérêt pour une psychiatre.

Vacances en Slovénie

J’étais en vacances avec mon homme en Slovénie, où travaillait un ami. Il avait eu la bonne idée de partir en vacances en Hongrie pendant la durée de notre séjour. Pour compenser l’oubli de notre venue, il avait eu l’extrême gentillesse de nous prêter son appartement de Ljubljana, la capitale de ce charmant petit pays. Nous avons profité un temps de la capitale et des environs et avons ensuite décidé de parcourir une partie du pays les sacs sur le dos. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés au niveau de la minuscule côte slovène de moins de cinquante kilomètres sur l’Adriatique. Nous randonnions tranquillement quand des sonorités familières nous chatouillèrent les oreilles. Quelqu’un parlait au micro en français!! En Slovénie…

Intrigués que nous étions d’entendre notre langue dans ce pays, nous nous dirigeâmes vers le lieu à l’oreille, débouchant sur un gigantesque chapiteau, entouré de barrières reliées par des cordons de sécurité rouge et blanc. Il s’agissait d’un gros événement dont nous ne comprenions pas l’ampleur.

L’université d’été des Raéliens

En se rapprochant (en short, T-shirt, chaussures de randonnée et sac de vingt kilos sur le dos…), un responsable de la sécurité se dirigea vers moi pour me demander ce que je venais faire avec mon attirail. Auparavant, j’avais pu voir sur l’entrée du chapiteau les grosses lettres qui signifiaient les raisons de ce rassemblement: l’université d’été de Raël se tenait ici. Mon homme préférait rester un peu plus loin, mais je décidais de me lancer.

Je me présentais donc comme une française intéressée par la question et demandais s’il était possible d’assister un peu aux conférences qui se tenaient là. Voyant mon intérêt non simulé, le responsable de la sécurité  me dirigea vers un collègue “commercial” qui me vendit les deux premiers livres de Raël pour quelques euros et je fus autorisée à entrer pour assister à la conférence qui avait déjà commencé.

Raël et les neurosciences

Il s’agissait d’un neuroscientifique francophone qui parlait du Human Brain Project ayant pour objectif de simuler le cerveau humain par des supercalculateurs. Vulgarisé pour que cela soit compréhensible, les références étaient claires, réelles, ce que je pouvais attester car je travaillais justement à l’époque dans le domaine de la recherche en neuroimagerie.

Raël avait engagé une caution scientifique apportant des données réelles de la science pour crédibiliser son discours obscurantiste sectaire. Il intervenait dans la foulée pour parler des relations humaines, de la communication et de l’amour sur des choses triviales et de bon sens. Pas de quoi se mettre grand chose sous la dent comparativement au discours prôné par cet homme se targuant d’être le dernier prophète sur Terre. Comme il n’était pas habillé en tenue officielle, il était interdit de le prendre en photo. Je fus donc très frustrée de ne pas ramener ce type de souvenir de mon voyage. J’ai pu parler quelques instants avec l’orateur neuroscientifique mais comme il était pressé je n’ai pu lui demander s’il cautionnait les théories fumeuses de son hôte.

Ayant peur que mon homme ne perde patience et reparte sur le chemin que nous avions prévu de faire, je repartis avec les livres et les souvenirs de cette hasardeuse rencontre.

Raël et la psychiatrie

Raël (Claude Vorillon dans la vie civile) avait tout de même eu la chance d’être enlevé par les Elohims (extraterrestres d’une lointaine galaxie beaucoup plus avancés sur le plan technologique), qui l’avaient invité à un banquet où il avait pu manger aux côtés de tous les prophètes des religions et croyances planétaires. Il décrit son expérience d’enlèvement exactement comme un patient souffrant d’une bouffée délirante pourrait percevoir son hospitalisation dans un service de psychiatrie sous contrainte, gommant les contours de la réalité avec imagination pour la rendre plus agréable.

Ainsi, je vois Raël comme quelqu’un ayant eu l’expérience du délire, des hallucinations, dans un épisode bref d’allure maniaque, avec une grande mégalomanie. Derrière, une fois le délire retombé et se sachant doué dans les relations sociales, je pense qu’il a perçu l’ampleur du potentiel  de crédulité de certains en créant sa propre “religion” (évidemment secte en réalité), qui se veut l’aboutissement des grandes religions monothéistes.

Manipulateur, il a ainsi décidé de mettre son imagination au service de son propre profit. Il prône la libre sexualité, demande des contributions multiples à ses adeptes, pour construire l’ambassade qu’il voulait placer à Jérusalem en vue d’accueillir les Elohim, a des projets farfelus de clonage.

Bref, c’est un opportuniste qui a trouvé son filon pour vivre aux dépens des autres.