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Hara-kiri

Hara-kiri

On dit souvent en psychiatrie que globalement les différents troubles qui existent se répartissent de manière à peu près équivalente aux quatre coins de la planète. Oui, globalement. Mais une des choses qui par contre est très différente est l’expression de ces troubles et les croyances qui peuvent être données face à elles.

L’expression émotionnelle

J’ai eu ainsi l’occasion de voir ce que la coloration ethnique pouvait donner dans un contexte particulier. Chez les asiatiques en général, notamment les japonais, l’expression des émotions est très mal vue, et un signe de mauvais self-contrôle. On se doit en toute circonstances de rester calme, malgré les tourments que l’on peut ressentir. Il s’agit bien évidemment de principes éducatifs, qui disparaissent souvent chez les jeunes générations “intégrées” à la société occidentale. Mais pas toujours…

Ainsi, lorsqu’un accident de la voix publique arrive en France, nous aurons droit à une agitation, un flot de parole d’intensité et de hauteur variée. Et des gens qui se mettent sur la figure, s’insultent dans un certain  nombre de cas. Très loin de ce qui se passe au Japon, où les protagonistes sortent de leur voiture pour signifier qu’il y a un problème, constatent les dégâts éventuels et remontent dans leurs voitures respectives. Sans un bruit. Sans aucune expression émotionnelle. Comme le maquillage des clowns, figés dans des émotions qu’ils ne traversent pas, l’air neutre quoiqu’il leur arrive.

Ginko

Alors quand Ginko, vingt-deux ans, étudiant sage et discipliné, qui était plutôt apprécié de ses camarades de faculté de mathématiques, a commencé à déprimer, son visage n’a pas beaucoup changé et personne ne s’est rendu compte de l’étendue de sa souffrance. Il broyait du noir à longueur de journée et aurait pu aisément tromper de bons joueurs de poker sur son jeu.

Et pourtant, il n’avait pas un jeu facile à vivre. Il venait de se faire larguer par sa petite copine avec qui il était resté trois ans. Mais comme il était très secret, ses parents n’étaient pas trop au courant. Et peu de gens avaient eu l’occasion qu’il se confie à eux.

Seul son discours aurait pu laisser présager que les choses commençaient à tourner au vinaigre. Il commençait en effet à faire des remarques dont il n’avait pas l’habitude antérieurement. Très pessimiste. Sans pour autant que cela le concerne. C’était juste la manière dont il commençait à voir le monde. Presque sur un versant apocalyptique, de plus en plus convaincu que les choses se dégradaient.

Hara-kiri

Alors quand il s’est retrouvé aux urgences avec le sabre qui ornait le salon planté dans son thorax , après avoir fait hara-kiri, tout le monde fut très étonné: sa famille comme ses amis. Pas de conflits connus ni de déshonneur à l’horizon qui puisse pour eux justifier un tel geste.

Par chance, il était meilleur mathématicien que samouraï et son maniement de sabre ne lui permit pas de faire les mouvements nécessaires pour que l’éventration le conduise à la mort. Les chirurgiens qui l’opérèrent en urgence permirent de le sauver et il fut hospitalisé dans le service de psychiatrie où je travaillais à ce moment.

Peu d’asiatiques se plaignent et l’expression émotionnelle peut ne quasiment pas exister. Ginko était de ceux-là. Il donnait froid dans le dos car je me sentais démunie face à lui. C’est comme si je ne pouvais rien me mettre sous la dent en tant que psychiatre pour évaluer la souffrance et prévoir s’il y avait un risque de récidive ou pas. Avec l’impression de lutter avec un cure-dent contre la maladie psychiatrique armée du même sabre avec lequel il avait tenté de s’ôter la vie.

Reboot?

Une autre manière de voir les choses pourrait être de dire qu’il avait peut-être des symptômes dépressifs détectables avant son geste, mais que l’électrochoc de celui-ci a fait comme une RAZ, un reboot qui lui a permis de sortir de la dépression. J’avais déjà vu cela pour d’autres patients malgré des tentatives de suicide d’une telle gravité que le passage en réanimation était souvent le dénominateur commun.

Le fait est que Ginko semblait n’avoir aucun des habituels symptômes de dépression recherchés à l’examen psychiatrique. Après l’avoir gardé un certain temps en évaluation à l’hôpital, plus pour se rassurer que pour faire quelque chose, il sortit et continua le suivi en consultation. A ce jour, il va toujours bien, illustrant la difficulté de notre métier dans l’évaluation émotionnelle de nos patients dans certains cas.

La paranoïa nuit gravement à la santé d’autrui

paranoïa

Norbert était là depuis déjà quelques années quand je suis arrivée dans ce service de psychiatrie fermé pour ma première année de psychiatrie. C’était un petit monsieur de soixante-huit ans, le dos voûté, les cheveux gris blancs. L’air triste, il errait entre sa chambre et les parties communes, comme une âme en peine, sans parvenir à s’arrêter pour discuter avec d’autres patients ou avec les soignants. Norbert semblait expier ses péchés qu’il continuait à raconter avec les mêmes détails que ceux rapportés la première fois qu’il fut confronté à ce qui fit basculer sa vie.

La vie d’avant

Norbert avait été marié et eu deux enfants avec sa femme. N’étant pas le boute-en-train que celle-ci aurait désiré, au bout d’un certain temps, elle décida de plier bagage avec les enfants quand ils ont eu six et dix ans.

D’une personnalité plutôt rigide et méfiante, il ne comprit pas trop mais finit par accepter. Norbert ne voyait ses enfants qu’un week-end sur deux et la moitié des vacances mais cela lui suffisait. Et il faut le dire, cela l’avait même arrangé. L’éducation des marmots n’avait pas été son truc.

Resté célibataire pendant des années, Norbert avait réussi à se faire mettre le grappin dessus par une femme plus jeune que lui de dix ans. Isabelle était veuve depuis deux ans au décès de son mari d’un cancer fulgurant du pancréas. Chacun vivait chez soi mais ils se retrouvaient régulièrement l’un chez l’autre pour passer un moment ensemble, partager un repas et se regarder un film à la télévision.

Peu à peu, Isabelle avait pris une place importante dans sa vie et le rythme qu’il avait acquis ronronnait dans une habitude rassurante, ne laissant pas la place à l’imprévu, tout se répétant à l’identique d’une semaine sur l’autre. Leurs vies étaient réglées comme un métronome qui ne pouvait plus tellement tolérer le contretemps. Cela dura quelques années d’un bonheur qu’il jugeait parfait.

Le basculement

C’est dans ce contexte que la mère âgée de sa compagne tomba malade. Comme elle vivait à 200 km, Isabelle dût aller sur place et s’absenter pour s’occuper d’elle. Il se retrouva alors seul quelques semaines.

Dans leurs habitudes, c’est Isabelle qui faisait les courses pour Norbert. Elle avait fait une réserve avant de partir car elle ne savait pas trop pour combien de temps elle partait.

Norbert était depuis un certain temps assez fragile et avait une certaine tendance à voir des signes là où tout le monde n’en voyait pas, à comprendre des évidences qui ne l’étaient que pour lui et à avoir des certitudes en interprétant des situations.

L’entretien de la psy

Je reprends là le dialogue que nous avons eu la première fois que je l’ai vu en entretien pour reprendre son histoire:

  • La dernière fois que je suis sorti en dehors de mon appartement, j’ai tout de suite compris que quelque chose se tramait. Quand je suis arrivé à l’angle de la rue de l’épicerie, je l’ai vu. Quand je l’ai regardé, il a automatiquement tourné la tête. C’était certain. Il avait compris que je savais.
  • De quoi parlez-vous Norbert? Que vous saviez quoi?
  • Et bien il avait compris que je voyais où il voulait en venir, pour le complot. Ils voulaient me piéger, je les ai bien vus venir de toute façon.  Ils m’ont pris pour un bleu mais je ne suis pas né de la dernière pluie. Ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire la grimace.
  • Qu’aviez-vous vu précisément?
  • Ce n’était pas la première fois. Déjà à deux pâtés de maisons, quand je suis passé devant la cabine téléphonique et que l’homme qui y était s’est arrêté de parler, il aurait fallu être un nouveau-né pour ne pas comprendre qu’il parlait de moi. Alors quand l’autre a tourné la tête, j’ai saisi qu’il voulait cacher son téléphone. Ils me surveillaient, y a pas à tortiller du cul pour chier droit.

Conviction délirante

  • Dans ce que vous me dites, je ne vois pas les éléments de certitude qui vous semblent si évidents. En tous cas vous vous animez aux souvenirs de cette période…!
  • Je m’en souviens comme si c’était hier. Je les revois précisément, leurs visages, leurs sourires narquois qui me narguaient et me faisaient bien saisir que j’étais déjà fait comme un rat, que le piège allait se refermer contre moi.
  • Qu’est-ce qui s’est passé ensuite Norbert?
  • Sachant l’ampleur du complot, je me suis dit que le plus sûr était de rester à la maison. Je me suis ensuite calfeutré dans mon appartement. J’ai coupé toutes les lignes. Ils me les avaient mises sur écoute évidemment. Et j’ai attendu.
  • C’est tout?
  • Je savais qu’ils allaient tenter quelque chose. Alors quand elle  est rentrée j’ai été triste mais encore une fois j’ai compris. Ils avaient réussi à l’embrigader et elle venait pour m’éliminer, croyant que je ne me méfierais pas. Alors là je suis devenu fou de colère et de tristesse mêlées. Je n’ai pas hésité très longtemps.

L’irréparable

  • Qu’avez vous-fait?
  • J’ai pris le couteau à découper et je l’ai frappée. Je ne voulais pas qu’elle risque de me faire du mal. Je suis si fragile.  
  • Vous l’avez assénée de 17 coups de couteau, c’est beaucoup non?
  • Elle bougeait encore, elle m’avait trahi, alors que je l’aimais. On était si heureux. Pourquoi a-t-il fallu que sa mère soit malade. Encore un prétexte ça. Elle avait déjà été contactée avant.
  • Vous n’avez pas été en prison pour votre crime. Pourquoi croyez-vous avoir bénéficié de cette grâce?
  • Ils savent que je ne suis pas responsable. Tout cela est de la faute de leur organisation. Ils m’ont piégé. Et maintenant ce n’est pas mieux. Je suis la depuis six ans maintenant. Régulièrement je suis reconvoqué par le juge mais il me laisse ici. Avec les fous. Mais je sais ce que j’ai vu et vécu.

Norbert a ainsi commis l’irréparable dans un contexte de délire paranoïaque. Six ans après, le délire est aussi important malgré les traitements qui n’ont pas l’air d’avoir d’effet sur lui. Il reste aussi convaincu qu’au premier jour. Alors il ne sort pas.

Je suis passée quelques années après. Il n’était plus là. Un arrêt cardiaque lui avait permis de sortir du service.

Les pieds devant…

Première confrontation avec la folie furieuse ou comment j’ai cru que j’allais me faire tuer en voulant sauver quelqu’un

Couteau

Lors de mon premier stage d’interne, dans un hôpital général qui possédait un service de psychiatrie, j’ai été confrontée à quelque chose qui m’a longtemps semblé incroyable. Je faisais la visite avec le psychiatre de liaison (le psychiatre qui se charge de donner des avis psychiatrique chez les patients hospitalisés dans les services de médecine), qui remplaçait mon chef de service habituellement en charge de ce moment didactique et important pour les patients.

Ce psychiatre est appelé par une infirmière au sujet de quelqu’un travaillant à l’hôpital qui souhaitait le voir (et qu’il avait déjà vu une fois ou deux) . Il disparaît alors quelques instants, avant de revenir en courant, l’air affolé et nous criant d’appeler rapidement la sécurité et les réanimateurs. Il s’en charge finalement et je cours avec mon co-interne voir ce qui se passe.

Là, je tombe nez-à-nez avec un employé de l’hôpital, en tenue, et à genoux avec le ventre ensanglanté et un couteau planté dont le manche dépasse. Je me précipite pour tenter de le secourir et me penche vers lui, l’air inquiet et compatissant. A cet instant, il se redresse et retire le couteau de son ventre pour me menacer avec.

Ni une ni deux, je fais un bond vers l’arrière et commence à placer le caddie de linge propre qu’il nous avait apporté. Je tente de le raisonner et de le convaincre de nous donner son arme pour que l’on puisse le soigner et évaluer l’ampleur des dégâts qu’il a causés mais il ne semble pas sensible à mes arguments.

« Ils font tout pour me pousser à bout, je le sais, ils se sont ligués contre moi. Ils savent que je suis fragile et que je peux craquer facilement. »

Il pense en effet que le responsable de la lingerie où il travaille, en accord avec les autres employés, le mettent en difficulté en lui reprochant de mal faire son travail et l’accablant de tous les maux.

Le petit jeu qu’il vient de faire une première fois sera répété à plusieurs reprises avec le couteau rentrant et sortant du nouvel orifice qui semblait maintenant faire partie de son corps. Je me rapproche, il me menace et quelques temps après il remets le couteau dans son ventre…

Peu après, le réanimateur arrive, avec sa capote de l’hôpital, sorte de long manteau permettant de passer d’un bâtiment de l’hôpital à un autre par les froides soirées d’hiver. Ayant juste compris que quelqu’un avait une plaie à l’arme blanche il était venu rapidement pour évaluer les dégâts.

Se trouvant nez à nez avec l’énergumène, il augure de la même danse que j’avais pu faire au départ, avec un mouvement de recul pour éviter la lame qui allait lui chatouiller le visage. A la manière d’Indiana Jones avec son fouet, il se met en tête d’essayer de désarmer notre forcené avec sa capote, qu’il agite sans succès en direction de l’arme qui reste solidement dans les mains de son propriétaire. A plusieurs reprises, il tente, puis finit par abandonner devant l’inefficacité de sa technique.

En parallèle de cela, les infirmières sont mises à contribution pour préparer de quoi sédater notre gentil paranoïaque, à savoir quelques ampoules de molécules qui auront pour objectif de le rendre un peu plus docile. Mais tant qu’il a son arme, impossible de l’approcher sans risquer de se faire blesser avec.

La situation commençant à devenir difficile, la police est appelée. Quinze minutes après qui semblent des heures, deux groupes de chacun six policier arrivent de chaque côté du forcené, à distance, tentant eux aussi dans un premier temps de parlementer et de lui faire lâcher son arme.

En vain! Nos vaillants petits soldats carapacés, outre leurs armes de service et autres matraques, disposaient d’un engin à l’époque nouveau et controversé: un tazer! Cependant, ils ne s’en servaient pas, attendant pour cela les ordres d’un officier de police judiciaire (OPJ) qui avait l’air de prendre un peu de temps avant de se décider.

Enfin, la décision tombe, et quelques secondes après, un grand bruit, un cri, le couteau qui tombe et notre gentil paranoïaque qui suit le couteau. Ni une ni deux, le couteau est éloigné, le forcené maîtrisé, mis sur un brancard, injecté des ampoules dispensatrices de sommeil et contentionné sur son brancard.

Il est ensuite conduit en urgence au bloc opératoire pour explorer sa plaie et vérifier s’il s’est perforé des organes vitaux. Chance pour lui, son ventre gras a eu suffisamment de volume pour qu’il ne parvienne même pas à passer la barrière du péritoine qui protège les organes de la cavité de l’abdomen. Après la sortie du bloc, il est rapidement transféré sur son secteur psychiatrique en hospitalisation sous contrainte pour éviter qu’il ne soit dangereux pour d’autres personnes et qu’il soit protégé de lui-même et soigné.

Quand j’y repense, je me dis que cela aurait été vraiment bête de me faire éventrer dès mes premiers mois de balbutiements psychiatriques.