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La violence de l’amour et le double sourire

double sourire

Antoine est un rescapé de la violence de l’amour. De l’intensité que les émotions non réciproques peuvent provoquer. Parce que l’amour, lorsqu’il est partagé, amène son lot d’affects positifs, la plupart du temps. Alors que son caractère unilatéral, qu’il soit dès le départ ou qu’il change en cours de route, provoque souvent un certain nombre de remous qui parfois assaille sa victime de manière dévastatrice. Si la tendance de personnalité le favorise, la dépression peut se greffer sur un chagrin d’amour. Et quand le tempérament tire sur l’impulsivité, un geste grave peut émailler le parcours de l’énamouré déçu.

En l’occurrence, Antoine s’est senti déshonoré que Sylvia le quitte. Personne n’avait le droit de lui faire ça. Le larguer. Lui. Le directeur général d’une boîte d’une trentaine de salariés. Dont Sylvia faisait partie. Il avait pensé qu’il ne pourrait plus jamais revenir au travail et la revoir alors qu’ils n’étaient plus ensemble.

Après deux ans de relations oscillant entre l’harmonie et le chaos, il avait tout de même réussi à accepter qu’elle vienne chez lui avec sa fille. Malgré toute les précautions qu’il avait réussi à imposer dans leur couple lorsqu’ils étaient au travail, Antoine était certain que des proches collaborateurs avaient fini par être au courant de leur relation. Et ça il ne le supportait pas. Il préférait qu’on le croie célibataire, libre, disponible à chaque instant. Pour ne pas rater une occasion. On ne sait jamais. Des fois qu’un plan cul d’un soir puisse se faire en toute discrétion.

Antoine s’est dit qu’il ne pouvait plus rester sur Terre dans ces conditions. Vrai célibataire. Ce n’était pas acceptable. Alors il a pris un couteau de boucher dans le tiroir de sa cuisine. Cet homme pragmatique a regardé la lame et s’est dit que ce serait douloureux. A ce moment, il s’est souvenu du vieux rhum que lui avait ramené sa soeur deux ans auparavant de la Guadeloupe. Promptement, Antoine s’est servi un premier verre, qu’il a tenté de savourer.

Mais il était encore craintif quant à ce qu’il allait ressentir. Il s’est donc resservi. Un deuxième. Puis un troisième. Les autres, il ne les as pas comptés. Mais le courage a commencé à diffuser plus facilement dans ses veines, jusqu’au moment où Antoine a reposé la main sur le couteau. Et d’un geste unique, rapide et puissant, le couteau a fait sur son cou le mouvement que le violoniste fait subir à l’archet sur son instrument.

De la peau, des muscles, une jugulaire, les cartilages de la trachée. Une belle plaie qu’il avait pu tailler dans sa chair presque sans la sentir, formant un double sourire. C’était donc vrai, à ce point, l’efficacité anesthésiante de l’alcool…

C’était fait. Maintenant, il n’y avait plus qu’à attendre. Bientôt, tout cela n’existerait plus. Peu à peu, il se sentait partir, comme s’il s’endormait. Puis un voile noir s’abattit sur ses yeux dont les paupières lui semblaient déjà si lourdes. Inconscient.

Brièvement, Antoine s’est réveillé un moment dans la flaque de sang qui se vidait de sa gorge, avant de reperdre connaissance.

Heureusement que Sylvia avait encore les clefs de chez lui. Et de bons réflexes. Bien que la scène qu’elle vit se fixa à jamais sur ses rétines et dans sa mémoire, la bouche ouverte et les yeux écarquillés, elle fit le 15 sur le clavier de son téléphone comme le nouveau-né gonfle ses poumons en quittant la douceur et la chaleur du ventre de sa mère. Spontanément. Sans réfléchir. Antoine avait de la chance d’habiter dans une zone  bien dotée sur le plan hospitalier. Le SAMU fut rapide. Et la régulation avait prodigué les bons conseils.

Il a repris conscience définitivement en réanimation chirurgicale, les yeux encore collants, la bouche pâteuse. Antoine se sentait sec, vidé de l’intérieur. Il avait affreusement mal à la gorge et sentait que cela tirait terriblement au niveau de son cou.

Antoine apprit un peu plus tard qu’il avait eu droit à quelques poches de transfusion en plus de l’hydratation massive dont il avait bénéficié.

Après récupération en réanimation, Antoine a été transféré dans notre service de psychiatrie, où je l’ai rencontré. Il avait des RDV réguliers avec les chirurgiens, soit dans leur service soit dans le nôtre, notamment pour suivre l’évolution de la cicatrice.

J’ai d’abord été surprise par le contraste entre son apparente froideur et l’intensité des émotions qu’il pouvait décrire lorsqu’il parlait de sa relation avec Sylvia.  L’expressivité de ses émotions n’existait pas ou plaquait-il des mots relatifs à des émotions qu’il ne ressentait pas? Etait-il joueur de poker, sachant masquer ce qui se passait en lui ou manipulait-il en faisant état d’émotions feintes?

Dans tous les cas, la souffrance était là, présente, au point qu’il ait décidé de mourir de manière assez impressionnante. Sa cicatrice me faisait penser au Joker de Batman, au sourire berbère. Certains ont un double menton. Lui, avait un double sourire (quand le supérieur se mettait en action!)

D’emblée, je ne me suis pas sentie à l’aise avec lui. Il y avait un truc que je ne sentais pas. Bizarrement, j’avais l’impression qu’il était là par erreur. Très rapidement, il n’a plus présenté de symptômes dépressifs. Il n’avait déjà plus d’idées suicidaires à notre première entrevue (ce qui m‘a rappelé Gingko et son Hara Kiri qui m’avait bluffée). Etait-ce encore une fois l’action de la réanimation? Avait-il reçu par hasard de la Kétamine lors de sa chirurgie, décrite comme efficace contre la dépression et les idées suicidaires rapidement après la perfusion et durant jusqu’à parfois deux semaines? Je ne le savais pas et avoue que ces questions n’étaient pas présentes au moment où je le voyais.

Antoine me paraissait en fait le prédateur. Je ne parvenais pas à voir en lui la victime mais l’auteur du cauchemar qui avait amené Sylvia à prendre la décision courageuse de s’en séparer. Elle m’avait appelée pour s’enquérir des nouvelles de son ex compagnon et m’avait dressé le tableau d’un personnage soufflant le chaud et le froid, capable d’attentions magnifiques comme d’un désintérêt cassant et méprisant, pouvant être violent aussi bien verbalement que physiquement. Sylvia m’avait bien sûr précisé de ne surtout pas dire qu’elle avait appelé. Elle ne désirait plus le voir et faisait des démarches pour changer de travail.

Je percevais qu’Antoine désirait paraître au mieux avec moi, faire bonne impression. J’étais décisionnaire de sa prise en charge psychiatrique, avec ce fameux pouvoir de le faire rester ou sortir de nos lits.

On pouvait dire assez facilement qu’Antoine avait une personnalité narcissique. Je ne rentrerai pas dans le débat sur le pervers narcissique, assez à la mode qui a été l’occasion à un certain nombre de collègues de rédiger des ouvrages à ce sujet. Cependant, au vu des éléments fournis par Sylvia, il n’était pas impossible qu’il puisse rentrer dans la description de ce type d’individus. Dont la jouissance de la souffrance de l’autre fait partie du profil. Je vous avouerai que ce n’est pas évident à aborder en entretien. En tous cas, à l’époque, je ne me sentais pas en mesure de pouvoir le faire.

Nous avons pu établir que son état émotionnel était meilleur sur une période assez longue. Sa cicatrice était belle. Antoine tolérait bien l’antidépresseur que ma collègue qui l’avait vu en liaison dans le service de réanimation avait introduit et dont je n’avais fait qu’ajuster la posologie. Nous lui avions trouvé un collègue pour le voir régulièrement à sa sortie.

Bref, il était sortant.

Sera-t-il une nouvelle fois victime de l’amour? En fera-t-il d’autres?

Philippe privé de suicide: le réa Voldemort a encore frappé!

Voldemort

Philippe est arrivé dans le service avec une colère que je n’avais encore jamais vue pour ce genre de motif. Il en voulait à mort au réanimateur qui la lui avait volée, justement. C’était SA mort. Et ce réanimateur était un véritable Voldemort. De quel droit un inconnu avait-il pu avoir l’indécence de faire échouer un projet qu’il avait mis tant de temps à programmer. Philippe fulminait contre cette ingérence et n’avait que faire du principe de non assistance à personne en danger. Mourir était son choix. Et il pensait avoir suffisamment réfléchi pour qu’il puisse se réaliser. Il avait tout perdu. Alors à quoi bon rester sur cette planète qui n’avait plus rien à lui proposer…

Philippe faisait partie de ces gens dont la vie avait été faite de choix pas toujours évidents. Il était d’une génération et d’un milieu pour laquelle l’homosexualité ne pouvait être assumée. Dans ces conditions, cet homme sage mais non téméraire n’avait pas l’intention de lutter contre la société dans laquelle il vivait. Frustré mais conciliant, il s’était donc marié et avait eu trois enfants. Je ne sais pas si Philippe a été un bon père. Il ne le savait pas non plus dans l’absolu, mais il se souvenait avoir participé à l’éducation de ses enfants et avoir été présent quand ils en avaient eu besoin. Jusqu’à ce que la période sociale soit plus propice à son coming out. A ce moment là, ses enfants avaient plus de vingt ans tous les trois. Mais le divorce fut mal pris. L’une de ses fille et son fils coupèrent les ponts. L’autre de ses filles garda le contact, cependant distendu par les milliers de kilomètres qui les séparaient. Elle travaillait aux Etats Unis.

Philippe n’était pas du genre à butiner. Il était tombé amoureux d’un homme, Gérard, avec qui il avait rapidement partagé sa vie. Des années de bonheur absolu. Jusqu’à l’arrivée du SIDA. Qui décima bon nombre de ses amis de l’époque. A petit feu, mais beaucoup plus vite qu’il ne se serait imaginé, Gérard s’est éteint de cette maladie pour laquelle les traitements n’existaient pas encore.

Après un long deuil, il avait rencontré Maxime. Philippe avait à nouveau pu vivre une heureuse vie de couple. Jusqu’à l’année précédant son admission à l’hôpital. Car pour le coup, il avait eu l’occasion de fréquenter ce genre de lieux publics des mois durant pour Maxime, atteint d’un cancer du pancréas. A l’époque, on disait qu’au moment du diagnostic, le pronostic n’était pas de six mois. Maxime en avait tenu neuf. Mais dans quelles conditions. Philippe avait été un soutien indéfectible jusqu’à la fin, mais il s’était effondré à la mort de Maxime, trois mois avant son geste suicidaire. Ce deuil était de trop pour lui.

En conséquence, Philippe s’était soigneusement préparé. Il avait attendu un déplacement de son sympathique voisin, seul contact restant qui venait régulièrement le voir chez lui. Cet homme méticuleux avait accumulé trois mois de traitement pour le cœur et la dépression. Philippe avait même prévu qu’il y aurait de grandes chances pour qu’il vomisse avec ce cocktail là. Alors il avait demandé à la pharmacie un traitement contre les vomissements. Sans ordonnance, et devant les questions du pharmacien, il avait bredouillé un oui mal assuré lorsque celui-ci lui avait parlé des vomissements du mal de transports. Philippe s’est retrouvé avec de la Cocculine pour lutter contre les vomissements liés à une ingestion massive de médicaments.

Motivé par la délivrance de cette existence qui n’avait plus de sel pour lui, Philippe avait méthodiquement absorbé plus d’une centaine de comprimés. Il aurait dû mourir. Mais c’était sans compter sur trois paramètres, qui réunis, lui occasionnèrent la vie sauve. D’abord, son voisin eut une annulation de son vol et rentra donc plus tôt que prévu. Suffisamment pour le retrouver allongé dans son vomi et les blisters des comprimés qu’il avait consommés. L’inefficacité de la Cocculine était ce deuxième paramètre nécessaire, une partie des médicaments étant ressortis. Le troisième paramètre était l’efficacité des secours et la vitesse de son transfert en réanimation. Qui le garda quinze jours entre la vie et la mort, avant de nous le transférer pour prise en charge de sa dépression sévère, issue de ce deuil pathologique.

Philippe vouait une haine sans équivoque à Voldemort et l’équipe de réanimation qui l’avaient sauvé, en permettant une élimination plus rapide des médicaments qu’il avait ingurgités et en soignant la pneumonie d’inhalation due à la fausse route du vomi dans ses poumons. Il développait une énergie psychique massive dans cette émotion, tandis que nous nous employions à le mobiliser autrement. Pendant que le traitement antidépresseur faisait son job, nous avons contacté les différents membres de son entourage, familial et amical. Son ex femme avait gardé une certaine tendresse pour lui et ils avaient gardé contact. Elle ne lui avait finalement pas gardé tant rigueur d’avoir éclaté la cellule familiale et avait beaucoup œuvré pour mobiliser leurs enfants à une reprise de contact. Ainsi, Philippe put avoir la surprise de revoir sa fille venue directement de New York et son fils, à son chevet. Devant la mort ratée de leur père, ils avaient réalisé la vanité de sa mise au ban depuis toutes ces années.

Les émotions déclenchées par ce réajustement relationnel ne laissèrent pas indifférent Philippe. Avec l’aide de la chimie, peu à peu, la tonalité de son discours put changer. Sans oublier son Maxime pour autant, il comprenait que la perte de cet être cher n’avait pas vidé complètement son existence.

En définitive, cette histoire avait permis à Philippe de reprendre contact avec ses enfants qui ne l’avaient pas vu depuis des années et l’avaient quasiment renié. Lui qui pensait que la vie n’avait plus rien à lui offrir a pu voir que les choses ne sont pas figées, écrites dans le marbre.

Finalement, peut-être que ce réanimateur Voldemort n’était pas tellement un salaud…

Pour lire d’autres articles en lien avec le suicide voir:

https://lafolieordinaire.fr/index.php/2016/08/11/tentative-de-suicide-dun-infirmier-de-lhopital/

https://lafolieordinaire.fr/index.php/2016/08/07/le-psychiatre-et-la-mort/

https://lafolieordinaire.fr/index.php/2017/01/14/hara-kiri-2/

https://lafolieordinaire.fr/index.php/2017/09/28/depression-severe-pendaison-service/

Dépression sévère et pendaison dans le service

dépression sévère et pendaison

 

Par moments il arrive que dans une institution certains souvenirs traumatisants remontent à la surface. Il y a parfois des moyens assez radicaux de les aider à faire ce cheminement, en répétant une situation qui n’aura pas alors que des airs de déjà-vu.

Nicolas est venu dans le service de psychiatrie générale où je travaillais à l’époque, pour une dépression sévère. Très sévère. Une de celles où l’on n’est plus que l’ombre de soi-même. Manger, se laver, s’habiller, lire, entrer en relation avec les autres. Tout semble si difficile à penser que l’action reste en suspens. A peine capable de la planifier qu’elle se meurt dans les méandres de notre cerveau. Ce cerveau trop préoccupé à penser à mal, ruminant les erreurs du passé, s’auto flagellant, se culpabilisant en n’étant plus en mesure de voir un avenir possible. Ce qui peut conduire dans ce cas à avoir le désir de mourir, pour abréger ces souffrances qui ne peuvent être tolérées durablement.

Cela pourrait correspondre à une “banale” histoire d’un quotidien de service de psychiatrie, les soignant·e·s ayant leurs ressources pour prendre le recul nécessaire à la bonne prise en charge des personnes en souffrance psychique. Cependant, Nicolas n’est pas n’importe qui. Comme on le dit parfois dans le jargon hospitalier, il est “connu du service”. Ce n’est pas la première fois qu’il vient. Et tou·te·s ceux·elles qui travaillaient à l’époque de sa précédente venue s’en souviennent. Ce qui remue de sacrés souvenirs.

Moi, jeune interne à peine débarquée dans le service, je ne pouvais qu’observer de l’extérieur cette situation peu commune. Et voir la détresse de Roberto, l’infirmier, et Anne-Sophie, l’aide-soignante, qui avaient été confronté·e·s au plus près à la prise en charge de Nicolas. Inexpérimentée et encore assez peu au fait des techniques psychothérapeutiques, je ne comprenais pas bien l’enjeu de leur positionnement.

Au départ, ils voulaient insister auprès de mon chef pour que Nicolas ne soit pas hospitalisé chez nous, en évoquant leur inaptitude à pouvoir s’en occuper. Je ne voyais pas trop la différence avec les autres patient·e·s dont nous nous occupions. Outre le fait qu’il soit agent de la police nationale et donc disposant d’une arme à feu de service avec laquelle il pourrait passer à l’acte éventuellement si l’envie lui prenait. Tout en sachant que comme il avait été amené par des collègues, il avait évidemment été transitoirement allégé de ce fardeau.

En fait, rapidement, ils s’expliquèrent. Lors de son hospitalisation précédente deux ans auparavant, Nicolas avait eu une symptomatologie à peu près équivalente. Et des idées suicidaires massives. Il avait donc mis à exécution son projet et avait soigneusement attendu la fin d’un tour infirmier pour se pendre dans sa chambre hospitalière avec ses draps. Heureusement que le protocole de surveillance était optimal et que la préparation du geste de Nicolas avait été suffisamment longue.

Roberto et Anne-Sophie l’ont dépendu. Ils ne savent pas exactement combien de temps il est resté accroché. Il était bleu. Ils ont fait les gestes de premier secours, appelé le réanimateur de garde. Il a nécessité un transfert rapide en réanimation où il est resté  une dizaine de jours.

Nicolas s’en est sorti. Vivant. Sonné. N’ayant plus envie de mourir. Il n’a pas été repris après le passage en réanimation et a poursuivi les soins psychiatriques dans un autre établissement mais a tout de même continué à être suivi par mon chef. Les membres de l’équipe ne se sentaient pas de gérer à ce moment là un retour dans l’unité.

Pour cette deuxième hospitalisation dans le service, toute l’équipe a remué ces souvenirs, et je revois encore Roberto avec la terreur dans les yeux. Il avait été arrêté deux mois à la suite de cet événement. Ce vieil infirmier avait passé des nuits et des nuits à faire tournoyer les images de Nicolas cyanosé dans sa tête. Il avait mis du temps pour digérer cette histoire et revenir travailler.  A quelques années de la retraite, Roberto ne voulait pas être confronté à d’autres traumatismes dont il ne savait s’il s’en remettrait. Anne-Sophie avait eu moins de mal à accepter la situation. Elle avait probablement un peu plus de ressources pour voir l’issue favorable de cette histoire. Mais elle était solidaire de Roberto et se souvenait des difficultés qu’il avait traversées.

Alors ils demandèrent au chef de service s’il n’y avait pas une autre solution. Si Nicolas ne pouvait pas être accueilli dans un autre lieu.  Comme ils avaient fait à la suite du geste précédent. Mon chef refusa en expliquant que c’était son patient, son service et que la problématique était différente cette fois-ci.

Nicolas avait été victime d’une “agression à l’encontre des forces de l’ordre” et avait été marqué par cet événement. Il avait commencé à sombrer dans l’alcool et était devenu imbibé du matin jusqu’au soir, en exercice, avec des sanctions disciplinaires qui l’avaient mis en position délicate d’une injonction de soin. Lentement mais sûrement, la dépression s’était à nouveau installée. Nicolas en était arrivé à être à nouveau avec un ralentissement tel qu’il semblait sortir d’une vieille fabrique d’automates rouillés à qui la fluidité manquait, tant motrice que psychique. Il était arrivé ivre, dysarthrique, balbutiant une pâtée de mots incompréhensibles, accompagné de collègues bienveillants en uniforme.

Nous avons procédé pendant une dizaine de jours au traitement du sevrage alcoolique. Durant cette période, théoriquement, on ne peut juger de l’humeur. Cependant, devant la chronologie – Nicolas avait commencé à boire APRES que la dépression ait débuté selon des sources sûres – et devant les antécédents que je vous ai évoqué plus haut, le doute restait relativement ténu. Alors nous avons introduit un traitement contre la dépression en plus des anxiolytiques. Une fois la moindre émanation énolique évaporée, Nicolas persistait dans un humeur basse malgré un traitement conséquent. Il allait falloir faire preuve de patience. Comme je le précise dans cet article , les traitements psychiatriques de fond ont un délai d’action.

On dit parfois que la patience est la meilleure amie des psychiatres. Il faut avouer, le temps passant, parfois les gens vont mieux car le traitement est efficace. D’autres fois, parce qu’on s’occupe d’eux, qu’on va les voir, qu’on leur parle, qu’on les chouchoute. Dans certaines situations c’est juste le cours évolutif de la maladie.

Pour Nicolas, je ne sais pas si c’est l’augmentation du traitement, les murs de l’hôpital, les entretiens avec la psychologue ou le sourire des soignants qui a eu le plus d’influence. Mais il est sorti de sa dépression progressivement. L’angoisse profonde s’est dissipée. L’agression qu’il avait vécu n’avait plus la même portée. La chape de plomb qui lui recouvrait les épaules s’est peu à peu évaporée. La gravité qui l’envahissait a peu à peu cédé sa place à une légèreté. Les envies, le plaisir sont revenus à pas de félins, discrètement, mais sûrement. Nicolas pouvait à nouveau se projeter dans l’avenir.

Après un âpre combat, on pouvait dire pour la deuxième fois: Nicolas 2, dépression 0!