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La Psychiatrie en France: le secteur, les CHU et le libéral

psychiatrie

Dans ce blog, il convient d’évoquer le fonctionnement de la psychiatrie en France. Il existe plusieurs systèmes qui cohabitent et sont complémentaires. J’aborderai-là une vision concise. J’aurai forcément oublié des rouages, des intervenants

Alors n’hésitez-pas à réagir!

Le secteur

Tout d’abord, il y a ce que l’on appelle “le secteur”. Ce terme regroupe pas mal de choses dans une organisation de la psychiatrie publique de premier recours. Chaque personne qui nécessite une prise en charge psychiatrique peut y recourir, les structures de soins dépendant de l’endroit où il habite. Ainsi, on y retrouve des centres hospitaliers spécialisés (CHS) pour ne plus dire hôpitaux psychiatriques ou asiles. Ils avaient été initialement construits à l’extérieur de la cité  pour ne pas importuner les bonnes gens, nécessitant parfois de faire de nombreux kilomètres pour pouvoir y accéder. La tendance actuelle va au rapprochement du lieu d’habitation. Ces CHS aussi appelés “l’intra” pour intrahospitalier permettent l’hospitalisation temps plein, parfois de nuit ou de jour, dans des unités ouvertes ou fermées en fonction des besoins inhérents à la pathologie pour laquelle les soins sont nécessaires.

Beaucoup  de soignants peuvent être impliqués dans les prise en charge: des psychiatres, des psychologues, des infirmier(e)s, des aide-soignant(e)s, des assistant(e)s sociales(aux), des secrétaires médicales, des ergothérapeutes, des kinésithérapeutes, des musicothérapeutes.

Toujours dans le secteur, il existe les structures extra hospitalières (l’extra), dont les premiers maillons sont les centres médico-psychologiques, où peuvent être présents les mêmes intervenants. Il y a aussi les centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), où les patients peuvent bénéficier d’activités structurées sur quelques heures; les Hôpitaux de jour (HDJ),  qui permettent  d’avoir des demi-journées ou des journées d’hospitalisation en dehors des murs de l’hôpital (parfois dedans tout de même…); et les Établissements de Soins et d’Aide par le Travail (ESAT, anciennement CAT), qui permettent aux patients de travailler dans un environnement protégé qui prend en considération que les rythmes de travail ne peuvent être aussi soutenus que dans l’univers productiviste du travail dit “normal”.

CHG et CHU

Ensuite, on retrouve les Centres Hospitaliers Généraux (CHG) et les Centres Hospitaliers Universitaires (CHU), qui comportent des services de psychiatrie non sectorisés (ils peuvent aussi l’être selon les hôpitaux), souvent des services d’urgence ou parfois seulement des psychiatres de liaison (psychiatres qui interviennent à la demande de leurs collègues non psychiatres dans des service non psychiatriques). Ils peuvent être des services de psychiatrie générale, ou être spécialisés dans certaines prises en charge uniquement, comme la dépression résistante, la schizophrénie résistante, les troubles obsessionnels compulsifs, les troubles bipolaires, les pathologies liées au suicide, les troubles du comportement alimentaires, les troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, les troubles du spectre autistique, etc. Il existe ainsi une forte tendance comme dans les autres disciplines médicales à la sur-spécialisisation de certains praticiens dans des domaines bien délimités. On aura ainsi des schizophrénologues, des bipolarologues, des autistologues ou encore des TOCologues. Qui verront tout par le spectre de leur sur-spécialité.

L’activité est aussi souvent alimentée par les services d’urgences locaux qui sont un peu ce que les tours de contrôle sont à l’aviation. Le rôle du psychiatre des urgences est ainsi de déterminer le plus rapidement possible l’orientation de son patient après avoir évalué la situation. Quel est le degré d’urgence? Consultation unique puis sortie ou hospitalisation? Quel lieu d’hospitalisation? Quel mode d’hospitalisation (libre ou sans consentement)? Faut-il un traitement rapide sur place? A-t-on besoin d’un traitement par la bouche si le patient accepte ou en intra-musculaire s’il le refuse? Faut-il le mettre en chambre d’isolement? Autant de questions qui permettent des prises de décision dans l’intérêt du patient. Même si par moment, c’est dur et qu’il n’est pas forcément volontaire dans les soins.

Les cliniques

Après cela, on retrouve les établissements privés ou cliniques qui nécessitent en général que les patients aient des mutuelles pour être pris en charge. Il en existe un nombre variable, plus ou moins spécialisées. Comparativement aux hôpitaux, les forfaits hospitaliers sont moins chers (la sécurité sociale débourse moins) mais il y a souvent rattrapage sur l’aspect hôtelier (chambres seuls payantes, repas plus chers, plus ou moins d’autres services). Contrairement à l’hôpital, il s’agit d’établissements à but lucratif à l’origine. Cependant, depuis quelques années, avec la loi HPST (Hôpital Patient Santé Territoire) puis la loi de Santé Touraine,  l’hôpital devient aussi une entreprise avec des objectifs de rentabilité. En règle générale, les cliniques psychiatriques, aussi parfois appelées Maisons de Santé n’accueillent pas de patients en soins sous contrainte. Certaines ont tout de même cette rare caractéristique. Les psychiatres qui y travaillent peuvent être libéraux ou salariés.

Les psychiatres de ville

Puis, il y a les psychiatres libéraux, dits “psychiatres de ville”, qui ont leur cabinets installés dans la cité. Ils peuvent être conventionnés en secteur 1 (remboursés intégralement), secteur 2 (avec dépassements d’honoraires en plus du tarif remboursé de la sécurité sociale) ou être non conventionnés (tout est à la charge du patient). Ils peuvent ne gérer que l’aspect médicamenteux ou aussi faire des psychothérapies, voire ne faire que des psychothérapies.

Les médecins généralistes

Enfin, ce serait inadéquat d’oublier ceux qui passent un tiers de leur temps à voir nos patients en première ligne et prescrivent quatre-vingt-dix pour cent des psychotropes consommés en France. Les médecins généralistes ont ce rôle majeur de dépistage et d’orientation de la majorité des personnes en souffrance. Sans eux, le système de soins psychiatriques serait beaucoup plus complexes à gérer. Ils ont aussi l’avantage d’être en amont du filtre de la stigmatisation, les personnes étant encore trop dans des considérations telles que « les psys c’est pour les fous »…

Tu es si sexy!

tu es si sexy

 

John est rentré dans le service de secteur où je travaillais pour une recrudescence délirante dans un contexte de schizophrénie connue et stabilisée depuis un moment.

Il voyait régulièrement sa psychiatre, prenait bien son traitement. Cet homme ne fumait pas de cannabis ni ne buvait d’alcool et consommait encore moins d’autres drogues. Il était bien inséré dans la société. John était marié depuis dix ans à une femme qu’il connaissait depuis encore plus longtemps. Il en était encore amoureux et avait l’air de bénéficier d’une réciprocité.

John travaillait dans une grande enseigne de bricolage et était parfaitement compétent dans son domaine d’outillage. Il avait le statut RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé). Mais il pouvait se targuer d’être l’un des meilleurs vendeurs du magasin.

Schizophrénie et travail

On pouvait dire qu’il avait de la chance. Car cette maladie grave et handicapante qu’est la schizophrénie ne permet qu’à moins de dix pour cent de personnes qui en sont atteintes en France de pouvoir travailler en milieu ordinaire. La grande majorité ne travaille pas. Et ceux qui le peuvent trouvent plus de facilité à trouver un emploi en milieu protégé. Principalement en ESAT: Établissements et Services d’Aide par le Travail, anciennement CAT: Centres d’Aide par le Travail.

Dans sa chance, il avait aussi pour lui d’échapper au caractère très désagréable des symptômes de sa maladie. Oui, il entendait des voix. Mais pas n’importe lesquelles! Il s’agissait de voix de jeunes femmes sexy qui lui susurraient des mots doux à l’oreille.

  • Oui, John, tu es le meilleur. Tu es le plus beau!
  • Tu me fais frémir. J’aime tes fesses et tes cuisses musclées!
  • Viens me rejoindre, je te ferai connaître l’Eden.
  • Tu es si sexy…

Quand il entendait ces voix au travail, il se retournait. John changeait de rayon pour essayer d’identifier ses mystérieuses admiratrices, sans jamais pouvoir les repérer. Cela le déstabilisait et sa hiérarchie commençait à trouver que son comportement devenait bizarre. 

Au domicile, il pensait que ses voisines étaient audacieuses. Car elles n’arrêtaient pas malgré la présence de sa femme, à qui il confia ses tourments érotiques. Elle lui confirma ne pas entendre ce qu’il percevait en sa compagnie. Alors il dut admettre qu’il y avait un problème de harcèlement sexuel sans harceleuse dûment présente. Il avait des difficultés à dormir, gêné par cette présence de plus en plus assidue qui le mettait en tension.

Hospitalisation

Ils firent appel à sa psychiatre qui nous l’envoya à l’hôpital pour modifier le traitement. Sans facteur déclenchant particulier, il fallait en effet constater une moindre efficacité du traitement qu’il recevait. Devant les tonalités érotomane et mégalomaniaque, nous devions aussi éliminer une phase maniaque que l’on peut retrouver chez certaines personnes atteintes de schizophrénie que l’on nomme alors trouble schizoaffectif. Ce n’était pas cela. Il avait juste le postérieur bordé de spaghettis et entendait des voix de naïades là où la majorité des patients atteints de schizophrénie entendent des choses menaçantes, désagréables ou tentant de leur faire faire des choses qu’ils ne désirent pas.

Après quelques semaines de changement de traitement, John et sa femme purent enfin dormir sur leurs quatre oreilles. Les naïades désertèrent et le train train quotidien put se réinstaller.

  • Je vous conseille ce tournevis, une bonne prise en main, une taille de cruciforme standard, bref l’idéal pour ce dont vous avez besoin…

La camisole ou quand les patients ne sont pas suffisamment attachants

Crazy with a straitjacket in a Psychiatric

Le contexte

Dans le même hôpital de l’infirmier que j’ai failli mettre en “iso”, j’ai été confrontée à une mise en image de l’imaginaire général colporté par les films sur la psychiatrie.

Je m’explique.

Dans les représentations artistiques (films, livres, séries, bandes dessinées), un patient agité à l’hôpital psychiatrique se verra souvent mettre en chambre capitonnée, en camisole en tissu avec les bras croisés. Voire un masque pour Hannibal Lecter dans “le Silence des Agneaux”. Peut-être que ces pratiques ont existé et/ou existent encore dans certains pays. Mais je n’avais jusqu’à présent jamais vu de choses de ce registre.

Les chambre d’isolement sont des sortes de cachots (euh, de chambres) globalement sensés être incassables et anti-fugue. On peut même les appeler « chambre à penser » quand on travaille avec les enfants…

Mais toutes celles que j’ai eu l’occasion de voir ne permettent pas de protéger contre des envies éventuelles de se fracasser le crâne contre les murs, très souvent en béton brut. Le capitonnage reste pour moi un effet cinématographique esthétique.

La contention physique et la camisole

Jusqu’à présent, les modes de contention physique (entendez par là la manière d’attacher un patient pour qu’il évite de se faire du mal ou d’en faire aux autres) que j’avais eu l’occasion de voir étaient plutôt high tech, avec des systèmes de sangles et d’attaches aimantées se fixant à des lits spéciaux disposant de systèmes d’accroche.

Tous les fabricants vendent maintenant la même chose en terme de système avec des variantes sur ce que l’on a besoin d’immobiliser. Bras, jambes, le plus fréquemment, abdomen souvent et parfois aussi la tête.

En pratique, il faut être quatre personnes au minimum, entraînées et ayant dans sa poche un diplôme d’ingénieur pour ne pas se tromper dans les “détails”  des processus d’attache. Les patients se détachent régulièrement en partie voire en totalité avec des surprises parfois désagréables. La plupart du temps, c’est parce que dans le feu de l’action, un “détail” nous a échappé…

En gros, ça coûte cher, c’est compliqué et chiant à mettre, pas super efficace. Mais il y a le tampon “Validé par l’Union Européenne” et les instances françaises sur le plan légal.

Avant, les camisoles en tissu étaient utilisées dans le même objectif. Avec une efficacité probablement meilleure et un côté vintage que je ne pensais pas voir au cours de ma carrière. Jusqu’à cette autre garde dans ce centre hospitalier spécialisé.

La situation

On m’avait aussi appelée pour isoler et contentionner un patient. C’était un grand gaillard atteint de schizophrénie. Il délirait plein pot et était agressif, insuffisamment géré par son traitement médicamenteux. Cet homme demandait lui même à être contentionné pour se protéger de ce qu’il pourrait faire. Car il savait qu’il pouvait être très violent et avait peur de ses propres réactions.

Mon rôle dans cette situation était uniquement de valider la prescription médicale d’isolement et de contention. Je n’avais pas vraiment de marge de manœuvre car les infirmiers avait géré l’urgence et achevaient de le contentionner.

Et là, horreur éthique: une sorte de pyjama de bébé allant des pieds jusqu’au cou, en une pièce de tissu renforcé. J’ai même eu droit à un semblant de cours de tricot par l’infirmier pour m’expliquer le type de tissu. Le tout rabattant les bras et les jambes attachés vers chaque pied de lit, telle une étoile de mer échouée sur la plage…

… avec une pièce de tissu manquant au niveau de la sphère génitale.

Pour permettre au patient de faire ses besoins naturels, il lui fallait avoir le sexe à l’air!

High tech et peu efficace ou vintage et éthiquement questionnant?

L’infirmier presque enfermé

lit de chambre d'isolement

Un soir de garde, je suis appelée dans un des services de secteur parfois un peu étranges où flotte une folie qui alterne entre une douceur étrange et une violence qu’il est parfois difficile à comprendre. L’infirmier que j’ai au téléphone depuis ma chambre de garde m’évoque un état d’agitation chez un patient avec la nécessité que je vienne prescrire un traitement sédatif et une chambre d’isolement (dite “iso” dans notre jargon).

Les « isos »

Il s’agit d’un hôpital pavillonnaire où les gardes sont parfois dures. Surtout le week-end, où en l’absence des médecins du service, les internes de garde doivent “faire le tour des isos”. A savoir aller dans chaque chambre d’isolement de l’hôpital pour réévaluer l’état clinique du patient qui s’y trouve. Puis revalider une poursuite de cette indication, ou considérer que la mesure est devenue caduque. Avec bien sûr la possibilité pour le patient de revenir dans une chambre “normale”.

La situation

Cette fois-ci, on me demande de la prescrire pour un début d’agitation. J’enfile mes chaussures et mon manteau, sort de ma chambre d’internat et dévale les escaliers. Je marche ensuite d’un bon rythme pour arriver au plus vite dans le pavillon du service. Ayant déjà les clefs, je me rends sur la situation. Je vois deux personnes qui en viennent aux mains, toutes deux agitées et habillées en civil. Sur l’allure et le comportement je commence à raisonner l’un.

– Allez monsieur, on se calme, dites-moi ce qui se passe?

– C’est moi qui vous ai appelé, je suis l’infirmier et c’est lui le patient!

Oh la boulette! Je tente de maîtriser la coloration pivoine qui me monte aux joues et me confonds en excuses.

– Désolée, sans la blouse ce n’était pas évident.

Voilà comment j’ai failli mettre l’infirmier dans la chambre d’isolement…

Au final, nous avons fumé le calumet de la paix. Et la situation est redescendue sans nécessité ni de recourir à un traitement pour le patient ni de le mettre en chambre d’isolement. Cet infirmier était un peu fatigué et surmené. Son comportement n’avait pas aidé à faire redescendre une agitation chez un patient encore apte à entendre que tout ne pouvait se passer comme à la maison.

A l’hôpital, on ne fume pas dans les chambres!

Enterrement de la mère de deux patients

enterrement

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