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Chef étoilé avec le statut de travailleur handicapé

chef étoilé

J’avais hérité de la prise en charge de Brandon car mon prédécesseur à l’hôpital général l’avait eu dans ses lits dans un contexte de ce qui pouvait ressembler à un épisode dépressif. Au moment de ma prise de possession de son dossier médical, j’avais pu avoir le raisonnement raccourci qu’il souffrait d’une schizophrénie. Au vu de certains éléments précisés dans le dossier sur un délire de persécution évoqué au cours de l’hospitalisation. Et plus basiquement sur le traitement dont il bénéficiait. Antipsychotique à bonne dose (voir ici si vous voulez en connaître plus sur ces médicaments) et une léchouille d’antidépresseur.

Mais ça, c’était avant de mieux le connaître et de récupérer tous les éléments de son suivi.

Brandon était un jeune homme de vingt ans, dont le suivi psychiatrique avait débuté assez tôt dans l’enfance avec pas mal de problèmes dans l’acquisition des apprentissages et dans les relations sociales. Tenir “bêtement” un stylo entre ses doigts pour écrire peut sembler enfantin à la majorité de la population au point de ne pas même se poser la question que cela peut poser problème. Pourtant cela avait déjà été compliqué pour ce jeune homme dans son développement et il avait pris du retard pour tout un tas de choses, qu’il avait fini par acquérir malgré tout. Juste du retard. Mais un retard qui avait mobilisé du monde. Car si on est en retard comme le lapin d’Alice, à l’école, on ne peut plus rentrer dans les bonnes cases. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose? Je ne sais pas. Mais lorsque l’entourage est vigilant, cela permet de déclencher tout un tas de mesures comme la prise en charge au centre médico-psychologique. Le suivi avec la pédopsychiatre, l’orthophoniste, la psychologue, la psychomotricienne. Ca faisait du monde pour un petit Brandon qui se débattait dans ses apprentissages.

En fonction des lieux par lesquels il était passé, Brandon avait pu être considéré comme un enfant présentant une dysharmonie évolutive, un retard des acquisitions, un retard global de développement, un retard mental, un trouble envahissant du développement (TED, désormais nommé TSA pour Trouble du Spectre Autistique, dont vous pourrez avoir un autre exemple ici). Pour moi comme pour lui, c’était flou mais à prendre en considération pour ne pas le mettre dans une case uniquement au regard de la symptomatologie actuelle mais en prenant en compte tout son parcours de troubles neurodéveloppementaux.

Car en consultation, au début du suivi, j’avais cette sensation et les dernières notes du dossier qui m’avaient orientée vers un diagnostic. Je pensais Brandon souffrant de schizophrénie (ici pour une histoire de patient atteint de schizophrénie, ici pour une autre, et là pour une  encore, et si vous en voulez encore ici aussi), car il me parlait de son sentiment de persécution encore un peu présent, notamment dans la rue, où il avait la sensation que les gens le regardait de travers et allaient l’agresser. Alors Brandon jetait souvent des regards en coin, jusqu’à parfois se retourner pour vérifier qu’il n’était pas suivi. Il avait par ailleurs des tics vocaux à type de gloussement et des rires incontrôlés qui laissaient parfois flotter un sentiment de bizarrerie lors des consultations (voir ici pour une autre histoire de tics intégrés dans un syndrome de Gilles de la Tourette).

A l’époque, j’avais pu prendre du temps pour lui et accepter d’aller en réunion discuter de la suite de son suivi pluridisciplinaire. J’ai pu visiter la structure qui l’accompagnait en parallèle de mes consultations. Il s’agissait d’un hôpital de jour pour jeunes adultes qui avait dans ses locaux un Etablissement et Service d’Aide par le Travail (ESAT), anciennement appelé CAT (Centre d’Aide par le Travail). Et pas n’importe quel ESAT. Un beau restaurant.

Or Brandon m’avait déjà confié que son avenir, il le voyait lumineux comme les étoiles qu’il rêvait de voir un jour accrochées sur la plaque de son restaurant. Chef étoilé! Ni plus ni moins.

Même si c’était par l’intermédiaire d’un établissement protégé, Brandon pouvait travailler. Et part l’intermédiaire de la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées), il avait la Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH). Un statut protégé qui permet normalement de pouvoir trouver aussi du travail dans le milieu dit « ordinaire » avec parfois des postes dédiés.

Au fil du suivi de Brandon, j’ai pu rentrer un peu dans l’intimité du vécu d’un commis de cuisine. La rigueur de l’apprentissage. Les difficultés inhérentes à sa dyspraxie. Les moqueries des camarades, pourtant parfois tout aussi en difficultés. La confection des entrées, celles des plats et enfin les sacro-saints desserts! Avec les références des émissions de télévision type Top Chef, j’avais la crainte de voir Brandon exploser en vol du fait de la pression potentiellement mise dans le milieu de la restauration. Heureusement que la bienveillance des encadrants permettait d’éviter la mise en oeuvre de manière trop rigide de ce schéma classique de rapport de force et de hiérarchie.

Brandon a peu à peu appris son métier. Il a eu des moments de découragement. Un sentiment récurrent d’incompétence et d’irréalisme de ses espoirs. Mais il n’a rien lâché. Malgré les difficultés, les nombreux écueils, il a poursuivi son objectif d’apprentissage de la cuisine.

J’espère qu’il pourra ouvrir son enseigne et réaliser son rêve. Ce fameux rêves plein d’étoiles…

Tu es si sexy!

tu es si sexy

 

John est rentré dans le service de secteur où je travaillais pour une recrudescence délirante dans un contexte de schizophrénie connue et stabilisée depuis un moment.

Il voyait régulièrement sa psychiatre, prenait bien son traitement. Cet homme ne fumait pas de cannabis ni ne buvait d’alcool et consommait encore moins d’autres drogues. Il était bien inséré dans la société. John était marié depuis dix ans à une femme qu’il connaissait depuis encore plus longtemps. Il en était encore amoureux et avait l’air de bénéficier d’une réciprocité.

John travaillait dans une grande enseigne de bricolage et était parfaitement compétent dans son domaine d’outillage. Il avait le statut RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé). Mais il pouvait se targuer d’être l’un des meilleurs vendeurs du magasin.

Schizophrénie et travail

On pouvait dire qu’il avait de la chance. Car cette maladie grave et handicapante qu’est la schizophrénie ne permet qu’à moins de dix pour cent de personnes qui en sont atteintes en France de pouvoir travailler en milieu ordinaire. La grande majorité ne travaille pas. Et ceux qui le peuvent trouvent plus de facilité à trouver un emploi en milieu protégé. Principalement en ESAT: Établissements et Services d’Aide par le Travail, anciennement CAT: Centres d’Aide par le Travail.

Dans sa chance, il avait aussi pour lui d’échapper au caractère très désagréable des symptômes de sa maladie. Oui, il entendait des voix. Mais pas n’importe lesquelles! Il s’agissait de voix de jeunes femmes sexy qui lui susurraient des mots doux à l’oreille.

  • Oui, John, tu es le meilleur. Tu es le plus beau!
  • Tu me fais frémir. J’aime tes fesses et tes cuisses musclées!
  • Viens me rejoindre, je te ferai connaître l’Eden.
  • Tu es si sexy…

Quand il entendait ces voix au travail, il se retournait. John changeait de rayon pour essayer d’identifier ses mystérieuses admiratrices, sans jamais pouvoir les repérer. Cela le déstabilisait et sa hiérarchie commençait à trouver que son comportement devenait bizarre. 

Au domicile, il pensait que ses voisines étaient audacieuses. Car elles n’arrêtaient pas malgré la présence de sa femme, à qui il confia ses tourments érotiques. Elle lui confirma ne pas entendre ce qu’il percevait en sa compagnie. Alors il dut admettre qu’il y avait un problème de harcèlement sexuel sans harceleuse dûment présente. Il avait des difficultés à dormir, gêné par cette présence de plus en plus assidue qui le mettait en tension.

Hospitalisation

Ils firent appel à sa psychiatre qui nous l’envoya à l’hôpital pour modifier le traitement. Sans facteur déclenchant particulier, il fallait en effet constater une moindre efficacité du traitement qu’il recevait. Devant les tonalités érotomane et mégalomaniaque, nous devions aussi éliminer une phase maniaque que l’on peut retrouver chez certaines personnes atteintes de schizophrénie que l’on nomme alors trouble schizoaffectif. Ce n’était pas cela. Il avait juste le postérieur bordé de spaghettis et entendait des voix de naïades là où la majorité des patients atteints de schizophrénie entendent des choses menaçantes, désagréables ou tentant de leur faire faire des choses qu’ils ne désirent pas.

Après quelques semaines de changement de traitement, John et sa femme purent enfin dormir sur leurs quatre oreilles. Les naïades désertèrent et le train train quotidien put se réinstaller.

  • Je vous conseille ce tournevis, une bonne prise en main, une taille de cruciforme standard, bref l’idéal pour ce dont vous avez besoin…