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Je suis le Ré, le Râ, le Tout Puissant

Râ

Certains patients sont des artistes. On a souvent fait des parallèles entre la folie et l’art et nombreux sont ceux qui ont bénéficié de circonstances atténuantes dans leurs dérapages. Nombreux aussi sont les artistes incompris, inconnus, dont l’art n’a parfois pas dépassé la salle d’art-thérapie de l’hôpital psychiatrique qui les a un temps hébergés dans les moments les plus critiques.

Ismaël

Sur un hôpital de secteur, en unité fermée, j’ai fait la connaissance d’Ismaël. Il était musicien, compositeur et interprète. Il avait à plusieurs reprises été invité sur des plateaux de télévision pour présenter ses compositions et était plutôt bon chanteur et guitariste.

Ismaël était aussi atteint d’une schizophrénie relativement grave qui le mettait dans des états assez impressionnants. Il y avait à la fois des éléments de mégalomanie et un délire imaginatif assez fourni. Il était ainsi volubile et l’opinion qu’il avait de lui même ne manquait pas de déformer ses chaussures et ses casquettes. D’une voix changeante, il se faisait le réceptacle d’autres personnages. Ismaël déclamait ainsi régulièrement en salle commune:

  • Je suis le Ré, le Râ, le Tout Puissant! Vous me devez tous la vie. Sans moi, vous auriez déjà été anéantis. Si je n’avais pas été l’interprète des Entités, que j’ai comprises et réussi à apaiser, elles auraient envahi notre planète.
  • Ismaël, arrêtez de crier, vous faites peur aux autres patients, tentions nous de raisonner pour éviter de voir des mouvements de foule parmi ses compagnons d’infortune.
  • Tremblez et respectez moi! Vous m’êtes tous redevables. Sans moi, pfiou! Écrasés, pulvérisés que vous auriez été…
  • Merci Ismaël, nous vous devons une fière chandelle, ajoutais-je pour tenter de l’apaiser. Ne voulez-vous pas qu’on en discute en entretien dans votre chambre ou dans mon bureau? Pour un peu plus de confidentialité…

Il pouvait être accessible encore au raisonnement malgré le caractère intimidant du ton qu’il prenait dans ces moments-là. Il n’avait jamais été agressif physiquement et était connu du service depuis de nombreuses années. Cela me rassurait un peu, mais je dois dire que je n’étais pas toujours à l’aise avec lui. Je ne faisais pas toujours la fière et il sentait par moments qu’il pouvait générer la peur chez les autres.

La fugue

Un jour, nous constatons la disparition d’Ismaël. Il avait réussi à fuguer on ne sait comment du service. Nous recevons alors un coup de fil le lendemain:

  • Allô, bonjour, c’est l’hôpital psychiatrique de Cannes. Vous connaissez Ismaël?
  • Oui, j’ai peur de demander pourquoi. Il est chez vous???
  • Effectivement. Après avoir voulu monter les marches en compagnie des stars, il a été empêché par la sécurité, conduit au poste de police, puis dans notre service une fois qu’il a expliqué avoir fugué du votre.

Cette hospitalisation coïncidait en partie avec les dates du festival de Cannes. Ayant déjà eu l’occasion d’y aller, il avait décidé d’y retourner pour être à une place à la hauteur de son talent.

  • Vous le récupérez quand?
  • Ben attendez, il faut que je voie avec ma cadre, que cela tombe à un moment où il y a un nombre de soignants suffisant.
  • Si ça peut être le plus rapidement possible, ça nous arrangerait. En ce moment c’est vraiment la galère. Comme chaque année on a 30% des hospitalisations pendant le festival qui correspondent à des hors secteur. Et on peut plus hospitaliser nos propres patients après.

Comme expliqué plus haut, le secteur est l’endroit d’hospitalisation en lien avec le lieu d’habitation. Si un patient ne peut être hospitalisé sur son secteur, celui-ci peut parfois négocier avec les autres un hébergement temporaire le temps qu’une place se libère.

Certains secteurs qui ont très peu de lits comparativement à la population qui en dépend et certains patients peuvent parfois rester toute la durée de l’hospitalisation chez un hôte accueillant avec ce statut de “hors-secteur”. Quand le patient est hospitalisé sous contrainte, si le patient est récupéré, des soignants de l’hôpital normalement en charge du patient doivent venir dans l’hôpital d’hébergement pour que le voyage soit sécurisé et qu’on évite une fugue.

Vu le contexte, il était indispensable que deux personnes aillent chercher Ismaël à Cannes. L’aide-soignant accompagnant l’infirmière chargé de cette mission dira:

  • C’est déjà pas mal, mais il aurait dû fuguer en Martinique, j’aurais pu passer dire bonjour à la famille!

Tentative de suicide d’un infirmier de l’hôpital

 

suicide-medicaments

 

 

Un jour où je devais m’occuper de la liaison dans l’hôpital, je suis appelée en fin d’après-midi un vendredi – le moment préféré pour les galères, bien sûr – par des collègues anesthésistes au bloc opératoire.  

Ce n’était déjà pas quelque chose d’habituel. Aux urgences, en réanimation, en salle de réveil, dans divers services d’hospitalisation, cela devenait classique. Mais le bloc, c’était une première. Je n’étais pas au bout de mes surprises…

On ne m’avait pas appelée au sujet d’un patient, mais d’un collègue IBODE – infirmier  de bloc opératoire diplômé d’état – qui avait fait une tentative de suicide. Il manquait à son service depuis quelques heures déjà. On venait de le retrouver dans un local inutilisé du bloc opératoire. Après avoir ingurgité quantité de drogues disponibles sur place et utilisables facilement pour des personnes dont c’est le travail…

Les anesthésistes avaient fait une évaluation de l’état clinique de leur collègue et un bilan biologique pour savoir quel type de médicaments il avait pris. Bien que certaines boîtes vides pouvaient amener à supposer que certains traitements avaient dû y passer…

Ils avaient donc pu administrer des antidotes et l’infirmier avait pu se réveiller.

Comme il était apte à pouvoir parler, j’avais donc été appelée pour l’évaluer sur le plan psychiatrique. Et bien entendu voir comment gérer la situation complexe d’une tentative de suicide sur son lieu de travail. Autant dire que les collègues de cet infirmier voulaient savoir s’il y avait un risque que cela arrive de nouveau dans le service.

L’autre enjeu majeur sera de tenter de faire en sorte que l’étiquette “je me suicide au boulot” ne lui colle pas trop à la peau le restant de sa carrière.

 

On ne peut pas dire que c’était la routine…

J’essayais de tourner dans ma tête sur le chemin du bloc les scénarios possibles en fonction des réactions supposées du “bel au bois dormant” réveillé brutalement de son profond sommeil qu’il désirait définitif. Dans tous les cas, après un geste aussi grave, il faudra l’hospitaliser. La question est alors de savoir s’il acceptera ou s’il refusera.

Le casse-tête du choix du lieu et du mode d’hospitalisation

S’il accepte, vu le concours de circonstances, cela semblera peut-être compliqué de le convaincre de rester sur l’hôpital dans mon service. Peut-être un autre hôpital général ou une clinique privée?

Par contre s’il refuse, je serai dans l’obligation pour le protéger de l’hospitaliser contre son gré sur son secteur. En essayant de convaincre un membre de sa famille pour faire une hospitalisation à la demande d’un tiers. LA fameuse ancienne HDT, maintenant nommé SPDT pour soins psychiatriques à la demande de tiers.

Une demande de tiers rédigée de manière manuscrite plus un certificat de ma part. Et hop, en ambulance pour le conduire sur son lieu de villégiature pour éviter qu’il ne se mette à nouveau en danger.

Et si je ne trouve personne de l’entourage dans un délai correct, je pourrai l’hospitaliser sur le mode du péril imminent (SPI). Avec uniquement un certificat médical de ma part, en justifiant ne pas avoir trouvé de tiers.

Une fois arrivé sur les lieux du “crime”, je m’enquiers de l’anesthésiste afin qu’il m’amène à son IBODE.

Et là, affolé, il me dit qu’il ne sait pas où il est! Qu’il a fugué quand lui et ses collègues avaient le dos tourné pour gérer d’autres situations. Nous avons donc appelé la sécurité et la police pour donner son signalement et tenter de le retrouver.

Impuissante, j’ai fini mon service sans connaître le dénouement de la situation. Partant en vacances le lendemain, puis ayant déconnecté et oublié cette histoire, je n’ai finalement jamais su ce qu’il lui était arrivé après sa fugue…