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Paulette, séductrice de 93 ans, terrasse la dépression!

séductrice

 

Paulette est rentrée dans le service de psychiatrie de l’hôpital général où je travaillais car elle n’y arrivait plus. A quatre-vingt-treize ans, cette fraîche personne âgée ne s’en sortait plus à domicile.

Paulette avait été secrétaire particulière d’un magnat de l’immobilier parti faire fortune aux Etats-Unis, où elle a vécu quelques dizaines d’années. Ayant eu de nombreux amants dans sa vie, elle ne s’était jamais mariée et n’avait jamais eu d’enfants. Belle blonde aux yeux bleus, Paulette avait vécu pas mal de choses dans sa longue vie, qu’elle ne regrettait pas. Les hasards des rencontres et les différents choix faits ne l’avaient pas amenée à être mère, et logiquement donc pas grand-mère. Cela ne lui posait pas de problème. Cette femme à forte personnalité avait des dons artistiques, tant dans le dessin, la peinture, que dans le chant. Paulette avait aussi été la muse d’autres artistes. Son débordement de vie lui avait permis de rencontrer pas mal de monde et elle avait eu de nombreux·ses ami·e·s. Bien évidemment, du fait de son grand âge, Paulette avait eu l’occasion d’en voir mourir l’écrasante majorité. Du coup, comme beaucoup de personnes approchant du centenaire, elle souffrait de cette fameuse maladie du siècle, grandissante dans nos sociétés occidentales: la solitude.

Alors Paulette s’était organisée en hébergeant une personne chez elle qui en contrepartie l’aidait à faire les choses qu’elle avait de moins en moins de facilité à faire (voir cet article sur une autre patiente ayant eu la même idée). Le ménage, les courses pour porter les choses trop lourdes pour elle, un peu de cuisine. Augustine n’était pas aide à la personne à proprement parler mais officiait comme tel en bénéficiant du logement trop grand de Paulette. Elles fonctionnaient bien toutes les deux et chacune y trouvait son compte. Jusqu’à ce que Paulette chute et se fasse une fracture du col du fémur droit. La fameuse. La fracture bien connue des gériatres comme génératrice d’une perte d’autonomie responsable d’un risque élevé de décès chez le sujet âgé. Comme il se doit, Paulette a été hospitalisée, d’abord en orthopédie pour bénéficier d’une PTH (prothèse totale de hanche), puis en centre de rééducation afin de récupérer son aptitude à la marche. Elle était motivée. Puis, notre adorable nonagénaire est rentrée au domicile.

Et c’est là que tout s’est gâté. Augustine avait fait comme chez elle en son absence. Elle avait remanié l’appartement de Paulette qui du coup ne reconnaissait plus son chez elle. Cela l’avait désorientée. Ne retrouvant plus ses repères, il y avait une perte de temps, une désorganisation et une terrible sensation de désappropriation. Mais Augustine avait tellement fait pour elle qu’elle n’osait pas se plaindre. Paulette tentait de s’en sortir, et ravalait sa colère, son désarroi. Tout en ruminant à ce sujet. Au début de manière tolérable. Et progressivement jusqu’à l’envahir à chaque instant de son éveil. Ainsi que de ses rêves. Paulette en était arrivée à une dépression mélancolique. Elle ne quittait plus son lit, ne se lavait plus, ne s’habillait plus, elle qui était en temps habituel si coquette. Plus rien ne comptait. Elle pensait finir à la rue, que son appartement n’était plus le sien (voir cet autre article illustrant le vécu dépressif sévère d’un autre patient).

Emilie, une nièce par alliance était la seule personne ressource qui lui semblait bienveillante. De loin, elle comprit que la situation nécessitait une prise en charge psychiatrique et fit la démarche de se rapprocher de notre service. C’est comme ça que j’ai fait la connaissance de Paulette.

Du fond des entrailles de la Terre, elle est rapidement revenue, par un traitement antidépresseur bien conduit. Bonne répondeuse, j’ai vu cette vieille personne initialement désincarnée, morte vivante, reprendre progressivement une prestance impressionnante. Paulette, du haut de ses quatre-vingt-treize ans, se remettait à se maquiller avec soins, mettre de la lingerie fine qui la rendait ultra sexy et avait des attitudes aguicheuses qui avait même fait dire à l’un de mes internes de l’époque:

  • J’aurai bien aimé la connaître avec soixante ou soixante-dix ans de moins. Elle devait être une sacré bombasse! J’avoue que même à cet âge ça me fait quelque chose…

Et il est vrai que l’on sentait la séductrice qu’elle avait dû être toute sa vie.  Remise d’aplomb, elle était de nouveau capable de chanter tel le rossignol, avec une voix qui n’avait rien à envier à celle des chanteuses professionnelles arrivées à cet âge glorieux. Plaire était dans son ADN. Les rides et les autres traces du temps écoulé que son corps avait gardé ne masquaient pas la jeune femme qu’elle était encore, éternellement. Son esprit vif et espiègle, curieux et aventureux n’avait pas changé et l’on ne sentait pas la marque des années passées sur elle.

Naturellement, elle est sortie du service pour retourner chez elle. En prenant soin de voir avec sa nièce comment gérer avec Augustine ce retour.

Manifestement, nous n’avions pas été suffisamment vigilant·e·s et prévoyant·e·s. Car deux mois après, Paulette est revenue dans le service dans le même état que la fois précédente. L’ombre d’elle même. Quasi mutique. Incapable de se débrouiller à la maison.

A nouveau, mais sur un temps beaucoup plus long, Paulette s’est remise de cette rechute dépressive. Le rossignol chantait à nouveau! Nous ne savions initialement pas si cette rechute marquait uniquement un trouble de l’humeur ou si cela ne signait pas un processus démentiel débutant sous-jacent. Nous lui avons donc fait un bilan neuropsychologique. Il était rassurant. Paulette n’avait pas de maladie d’Alzheimer ni d’autre démence. Mais elle avait été échaudée par l’expérience du retour au domicile. Et du fait de la moindre confiance qu’elle avait en Augustine, et de l’insistance de sa nièce Emilie, Paulette finit par accepter d’aller au mouroir. C’est ainsi qu’elle nommait la maison de retraite ou EHPAD pour Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (voir cet article relatant le vécu de l’intérieur d’une employée d’EHPAD).

Les dernières fois que j’ai vu Paulette en consultation, elle allait bien. Elle me tenait au courant de l’ambiance de son lieu de villégiature.

  • Non mais vous imaginez docteure, il n’y a que des vieux là-dedans. Ce n’est pas comme ça que je vais trouver l’amour de ma vie!  
  • Vous oubliez votre âge? vous n’êtes pas forcément la plus jeune, non? lui rétorquais-je, amusée.
  • Popopo! L’âge, c’est dans la tête. Je ne m’accorde pas avec la majorité de ces gens-là. Ils étaient déjà vieux avant de rentrer au mouroir, mais là-bas, on nous y précipite, vers la fin.
  • Qu’entendez-vous par cela?
  • L’infantilisation est la sensation la plus désagréable que je peux ressentir au quotidien. Des employé·e·s nous parlent comme à des gamins  de quatre ans. Ça m’horripile. Alors je le fais savoir. Et je ne suis pas forcément très aimée. Mais je m’en fout. Le respect doit être bilatéral.
  • Effectivement, ça ne doit pas être très agréable.
  • Pour compléter, la nourriture est sans saveur. Les cuissons abominables. Ils se trompent régulièrement de menus. Les activités manquent d’entrain. Mais du coup je m’engage. J’ai fait signer une pétition par les autres résidents et leurs familles pour obtenir une cuisine plus décente. Et cela a été pris en compte!
  • Ça ne m’étonne pas de vous. Gardez cet état d’esprit que vous avez toujours eu. Il continuera de vous emmener loin.

Partie de l’hôpital, je ne sais pas ce que Paulette est devenue. Mais elle m’a marquée. J’espère que j’aurai autant la pêche qu’elle plus tard.

Quand j’y repense, je me demande bien ce qui conserve tant. La coquetterie? La jeunesse de l’état d’esprit? Ou le fait de ne pas avoir eu d’enfants?

C’est râpé pour le dernier critère, mais je crois que je vais  un peu plus m’investir dans les deux premiers…

 

Je suis le Ré, le Râ, le Tout Puissant

Râ

Certains patients sont des artistes. On a souvent fait des parallèles entre la folie et l’art et nombreux sont ceux qui ont bénéficié de circonstances atténuantes dans leurs dérapages. Nombreux aussi sont les artistes incompris, inconnus, dont l’art n’a parfois pas dépassé la salle d’art-thérapie de l’hôpital psychiatrique qui les a un temps hébergés dans les moments les plus critiques.

Ismaël

Sur un hôpital de secteur, en unité fermée, j’ai fait la connaissance d’Ismaël. Il était musicien, compositeur et interprète. Il avait à plusieurs reprises été invité sur des plateaux de télévision pour présenter ses compositions et était plutôt bon chanteur et guitariste.

Ismaël était aussi atteint d’une schizophrénie relativement grave qui le mettait dans des états assez impressionnants. Il y avait à la fois des éléments de mégalomanie et un délire imaginatif assez fourni. Il était ainsi volubile et l’opinion qu’il avait de lui même ne manquait pas de déformer ses chaussures et ses casquettes. D’une voix changeante, il se faisait le réceptacle d’autres personnages. Ismaël déclamait ainsi régulièrement en salle commune:

  • Je suis le Ré, le Râ, le Tout Puissant! Vous me devez tous la vie. Sans moi, vous auriez déjà été anéantis. Si je n’avais pas été l’interprète des Entités, que j’ai comprises et réussi à apaiser, elles auraient envahi notre planète.
  • Ismaël, arrêtez de crier, vous faites peur aux autres patients, tentions nous de raisonner pour éviter de voir des mouvements de foule parmi ses compagnons d’infortune.
  • Tremblez et respectez moi! Vous m’êtes tous redevables. Sans moi, pfiou! Écrasés, pulvérisés que vous auriez été…
  • Merci Ismaël, nous vous devons une fière chandelle, ajoutais-je pour tenter de l’apaiser. Ne voulez-vous pas qu’on en discute en entretien dans votre chambre ou dans mon bureau? Pour un peu plus de confidentialité…

Il pouvait être accessible encore au raisonnement malgré le caractère intimidant du ton qu’il prenait dans ces moments-là. Il n’avait jamais été agressif physiquement et était connu du service depuis de nombreuses années. Cela me rassurait un peu, mais je dois dire que je n’étais pas toujours à l’aise avec lui. Je ne faisais pas toujours la fière et il sentait par moments qu’il pouvait générer la peur chez les autres.

La fugue

Un jour, nous constatons la disparition d’Ismaël. Il avait réussi à fuguer on ne sait comment du service. Nous recevons alors un coup de fil le lendemain:

  • Allô, bonjour, c’est l’hôpital psychiatrique de Cannes. Vous connaissez Ismaël?
  • Oui, j’ai peur de demander pourquoi. Il est chez vous???
  • Effectivement. Après avoir voulu monter les marches en compagnie des stars, il a été empêché par la sécurité, conduit au poste de police, puis dans notre service une fois qu’il a expliqué avoir fugué du votre.

Cette hospitalisation coïncidait en partie avec les dates du festival de Cannes. Ayant déjà eu l’occasion d’y aller, il avait décidé d’y retourner pour être à une place à la hauteur de son talent.

  • Vous le récupérez quand?
  • Ben attendez, il faut que je voie avec ma cadre, que cela tombe à un moment où il y a un nombre de soignants suffisant.
  • Si ça peut être le plus rapidement possible, ça nous arrangerait. En ce moment c’est vraiment la galère. Comme chaque année on a 30% des hospitalisations pendant le festival qui correspondent à des hors secteur. Et on peut plus hospitaliser nos propres patients après.

Comme expliqué plus haut, le secteur est l’endroit d’hospitalisation en lien avec le lieu d’habitation. Si un patient ne peut être hospitalisé sur son secteur, celui-ci peut parfois négocier avec les autres un hébergement temporaire le temps qu’une place se libère.

Certains secteurs qui ont très peu de lits comparativement à la population qui en dépend et certains patients peuvent parfois rester toute la durée de l’hospitalisation chez un hôte accueillant avec ce statut de “hors-secteur”. Quand le patient est hospitalisé sous contrainte, si le patient est récupéré, des soignants de l’hôpital normalement en charge du patient doivent venir dans l’hôpital d’hébergement pour que le voyage soit sécurisé et qu’on évite une fugue.

Vu le contexte, il était indispensable que deux personnes aillent chercher Ismaël à Cannes. L’aide-soignant accompagnant l’infirmière chargé de cette mission dira:

  • C’est déjà pas mal, mais il aurait dû fuguer en Martinique, j’aurais pu passer dire bonjour à la famille!