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“Sœur de “

poésie et alcoolisme

Dans l’une des cliniques où j’ai eu l’occasion de faire des remplacements, j’ai suivi un temps une “sœur de”.

On a l’habitude de parler des “fils de”, mais on oublie souvent les “frères de” et les “sœurs de”. La lumière qui auréole certains peut avoir un revers de la médaille  non négligeable pour les autres.

Hélène était la sœur d’une star de la chanson, adulée par un public multigénérationnel car elle avait globalement su s’entourer des bonnes personnes aux bons moments.

La poésie

Oui, mais Hélène n’avait pas eu cette chance ou ce talent. C’était une littéraire, une érudite, citant mille poètes dont Baudelaire, Rimbaud ou Verlaine pendant les consultations (les seuls noms que j’ai retenus, dans mon illettrisme). Elle avait écrit plusieurs recueils de poésie elle-même, mais s’était trompée de siècle.

On ne se nourrit plus avec de la poésie seule, et les artistes des siècles passés, encensés à notre époque, ne vivaient déjà pas souvent de leur art. Elle m’avait prêtée l’un d’eux et malgré mon peu de sensibilité pour cet art, je trouvais son style agréable (bien que préférant celui de sa sœur!)

La poésie sans la musique n’est plus au goût du jour et pour retenir un texte, il est plus aisé d’y associer une mélodie.

L’alcool

Les fins de mois étaient donc difficiles. Les débuts de mois aussi. Alors elle tapait chez sa sœur pour vivre. Et cela lui donnait une certaine amertume. Goût qu’elle retrouvait dans la bière, qu’elle buvait par litres quotidiennement, pour oublier  le fossé qui la séparait de sa sœur en terme de réussite sociale, professionnelle et financière. Elle n’avait pas d’amis, ne travaillait pas et ne gagnait rien. Elle enchaînait juste les hospitalisations de dix à quinze jours pour sevrage entre deux noyades alcooliques où elle diluait son existence éthérée.

Quinze jours de conscience. Un mois et demi de brume. Dix jours de conscience. Un mois de brume. Le cycle se répétait depuis des années sans qu’une solution pérenne n’émerge.

Les traitements

Elle avait tenté les traitements antabuses (Disulfiram, qui ne peut être pris en même temps que l’on boit de l’alcool sous peine d’être très malade) et avait vomit ses tripes car n’était pas en mesure d’intégrer le “zéro alcool”.

Elle essayait au moment où je la voyais le Baclofène, un médicament à l’origine destiné à traiter les problèmes de spasticité dans les pathologies neurologiques en favorisant une relaxation musculaire.

Le Dernier Verre

C’est en transposant des études sur des rats sur lui-même qu’Olivier Ameisen, un cardiologue souffrant d’une sévère addiction à l’alcool a essayé cette molécule à forte doses là où elle n’est dispensée qu’en petites quantités pour son effet anti spasmes. Il s’est fait ensuite un devoir de faire reconnaître ces propriétés anticraving (qui empêchent ou diminuent l’envie de consommer) au grand public en écrivant “le dernier verre”, publié en 2008 avec un certain succès. Cela occasionna de longs débats, des études qui débutaient au moment où je voyais Hélène et récemment une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) en mars 2014.

Les problèmes de santé physique commençaient. Son foie et son pancréas n’aimaient pas, son cerveau devenait moins performant. L’association avec son tabagisme laissait penser qu’un cancer des voies aériennes supérieures pourrait prochainement s’installer. Devant ce parcours chaotique, elle attendait donc beaucoup du baclofène qui était mis sur un piédestal dans “le dernier verre”.

Elle disait:

  • C’est ma dernière chance, je le sais.

Je ne l’ai vue que pendant ce remplacement. Qui sait ce qu’elle est devenue…

L’indépendante Ginette et l’attente

Ginette

 

Ginette est une jeune femme de 88 ans que j’ai rencontrée pour la première fois en hospitalisation lorsque je faisais un remplacement dans une clinique psychiatrique orientée sur la prise en charge des sujets âgés. Elle venait parce qu’elle faisait des malaises à répétition, avec une sensation de somnolence après les repas qui la tétanisait.

Ancienne infirmière libérale, elle avait toujours été une femme indépendante. Ginette ne s’était jamais encombrée d’un homme à la maison et n’avait pas eu d’enfants. Elle avait beaucoup travaillé tout en ayant un bon réseau social. De fait, cette vieille fille n’avait jamais souffert de ce célibat choisi, ayant allègrement pu profiter des choses de la vie. Elle avait eu quelques romances, mais cela avait toujours été chacun chez soi, ne supportant l’idée de se faire envahir par un autre qui aurait eu des habitudes différentes des siennes.

Une fois la retraite arrivée, Ginette avait conservé un tonus qui l’avait incitée à rester très active. Dynamique, elle était toujours de sortie et gambadait avec son chien d’un pas allègre, voyant ses amis, se baladant et allant à des sorties culturelles, au gré des saisons et des voyages des uns et des autres.

Très investie dans le milieu associatif pour compenser le manque que l’arrêt du travail avait créé, Ginette ne leva un peu le pied que quand elle commença à avoir quelques douleurs des membres inférieurs qui limitèrent assez rapidement son périmètre de marche. Cela, six mois avant l’hospitalisation. Le diagnostic d’une neuropathie périphérique signa chez elle l’avènement d’une nouvelle ère, celle de la rapide descente aux enfers.

Peu de temps après, Ginette eut ses “malaises” pour lesquels elle avait quelques semaines avant été hospitalisée en cardiologie, avec étiquetage de ses sensations comme des crises d’angoisse ou attaques de panique après avoir éliminé les hypothèses cardiologiques. Elle avait donc été redirigée vers nous pour la prise en charge psychiatrique. C’est là que je la vis la première fois.

Frêle, ses cheveux blancs frisaient encore sur un carré élégant. Sa peau dont les rides dessinaient des paysages aux allures de Grand Canyon semblait faite de carton mâché. Au dessus de sa lèvre supérieure, tel un grain de poivre dont les racines tombaient, un “grain de beauté” semblait posé là. Ginette avançait avec sa canne et sa démarche était hésitante, ralentie. Elle parlait vite, anxieuse de ce nouveau lieu dont elle ne savait pas quelle aide il pourrait lui apporter.

Ginette m’exposa ses difficultés, s’excusant de ne pas paraître aussi assurée qu’elle aurait désiré, ne se sentant pas claire. Cette vieille dame voulait redevenir comme avant, gambader, retrouver son chien sur les chemins et continuer à marcher, ce qui la tenait en vie jusque là.

  • Ce n’est pas possible Docteure, je ne peux pas rester dans cet état. J’ai le coeur qui s’accélère, comme s’il allait lâcher, après les repas, peu après ressentir une grande sensation de somnolence.

Malgré le caractère atypique, cela m’avait tout l’air d’un trouble panique. Au vu de l’angoisse qu’elle se faisait en anticipant avec inquiétude que cela recommence. J’introduisis donc un antidépresseur. Au bout de quelques semaines, Ginette n’avait plus de crises d’angoisse. Par chance, les “malaises” cédèrent à l’arrêt des anxiolytiques qu’elle avait eu auparavant pour soulager son anxiété.

Ginette pu donc sortir de la clinique et rentrer chez elle. Je continuais à la suivre en consultation.

Ne restait plus que la neuropathie périphérique. Le neurologue ne prévoyait pas que cela s’améliore, mais pensait que cela n’allait pas s’empirer non plus. Elle était suffisante cependant pour changer la vie de Ginette, qui ne pouvait marcher plus de cinquante mètres sans aide. Elle, la randonneuse. Qui maintenant devait attendre d’être aidée pour faire sa toilette et s’habiller le matin, sortir en dehors de chez elle.

Et de pester du matin au soir sur le retard de l’aide ménagère, de l’infirmière, le fait que cela ne soit pas tout le temps les mêmes.

Ginette me confia  qu’elle avait désormais hâte que la journée se termine.

  • Le soir ça va mieux, car je n’ai plus rien à attendre…

Un jour ma princesse viendra

 

un jour ma princesse viendra

Martin est venu me voir pour travailler un peu sur ses névroses.

Il n’est pas heureux et il aimerait que cela change. Prof d’histoire-géographie en collèges et lycées, il se définit comme un raté. C’est un homme mais dans le couple, c’est lui qui finit le plus tôt et s’occupe de son fils unique.

Son épouse, Nathalie, qu’il avait rencontré à la fac, avait continué ses études. Elle faisait de la recherche, ayant des responsabilités d’un laboratoire. Par contre, une fois à la maison, elle s’avachissait sur le canapé pour regarder la télévision en se vidant la tête.

Martin, pendant ce temps, travaillait ses cours qu’il n’avait pas eu le temps de préparer du fait de s’être occupé de son fils et d’avoir préparé le repas. Cela le calmait et l’empêchait d’avoir ses ruminations. Il aurait aimé aller plus loin. Passer sa thèse, son habilitation à diriger des recherches, être professeur avec un grand « P ». Bref, avoir la justification de pouvoir rentrer tard et de toujours travailler, même à la maison.

Ce qui caractérisait le plus Martin, c’était la frustration.

Les difficultés avaient commencé à la naissance de son fils. Il avait désiré partir de la maison à ce moment, par peur, se sentant trop âgé.

  • Vous imaginez docteure, quand il aura vingt ans, je serai vieux!

Ensuite, il eut la sensation de de devoir s’occuper de son fils de la sortie de l’école au coucher avec une frustration l’amenant régulièrement jusqu’à la colère. Qui éclatait quand sa femme rentrait.

  • Maintenant, ça se passe mieux avec Brigitte, j’essaie de lui en dire le moins possible sur mes ruminations, mais elle sait. Je suis un idéaliste, un passionné. J’ai été un amoureux transi pendant toute mon adolescence, recherchant un idéal que je n’ai jamais assouvi.

Il s’était durant des années investi dans des compétitions sportives, repoussant les limites que son corps lui rappelait de temps à autre. Courant des dizaines de kilomètres, pédalant sur des centaines…

Il était conscient dès le départ que lorsqu’il avait rencontré sa femme, elle ne correspondait pas à son idéal fantasmé des années durant. Il était tombé amoureux sans comprendre cela.

Plusieurs événements l’avait ébranlé et il se sentait aussi fragile que le plant de tomate qui guette l’eau et le soleil qui lui permettront de continuer à pousser et donner.

Ainsi, il avait eu une petite fille, qu’il n’avait jamais pu voir grandir. Elle avait eu le diagnostic anténatal de trisomie 21 et ils avaient choisi avec Brigitte de faire une interruption thérapeutique de grossesse.

  • j’ai assisté à un accouchement qui n’en était pas un. Vous n’imaginez pas à quel point cela peut être terrifiant. Je n’ai pas été prévenu. Ils ne m’ont rien dit. Je ne m’attendais pas à ça. Si j’avais su, je n’aurai pas accepté d’être là. Ca m’a bouleversé et quand j’y repense j’en ai encore la chair de poule.

Après cela, il en avait voulu énormément à Brigitte  car lorsque son père malade devint mourant, il ne put arriver à temps à hôpital du fait du retard de Brigitte.

  • je n’ai jamais pu lui dire ce que j’avais sur le coeur. Cette fois-ci je sentais que j’aurais eu le courage. Il ne saura jamais la colère que j’avais contre lui de sa tyrannie. Cette envie de révolte qu’il avait fait naître en moi et que je n’ai jamais pu sortir.

D’autant que son père avait toujours préféré sa soeur et ne s’en était jamais caché.

  • Le dernier élément,  la goutte qui a fait déborder le vase, c’est quand un collègue est tombé amoureux d’une autre femme que la sienne et qu’il me l’a dit.

Cela l’avait ébranlé. Et remis en question son système de pensées, activant en lui le doute. Et si sa femme n’était pas celle qui lui était destinée? Il ruminait donc à longueur de journée autour des questions de l’amour, sur ce à quoi cela correspond.

  • Je suis quasi certain de ne plus l’aimer. Je veux vivre intensément quelque chose, une vraie histoire d’amour, une passion.

En fait,  il disait qu’il aimerait partir, à l’inconnu.

  • Du coup je suis sûr qu’une autre femme va me choisir, et je l’attends…

La Psychiatrie en France: le secteur, les CHU et le libéral

psychiatrie

Dans ce blog, il convient d’évoquer le fonctionnement de la psychiatrie en France. Il existe plusieurs systèmes qui cohabitent et sont complémentaires. J’aborderai-là une vision concise. J’aurai forcément oublié des rouages, des intervenants

Alors n’hésitez-pas à réagir!

Le secteur

Tout d’abord, il y a ce que l’on appelle “le secteur”. Ce terme regroupe pas mal de choses dans une organisation de la psychiatrie publique de premier recours. Chaque personne qui nécessite une prise en charge psychiatrique peut y recourir, les structures de soins dépendant de l’endroit où il habite. Ainsi, on y retrouve des centres hospitaliers spécialisés (CHS) pour ne plus dire hôpitaux psychiatriques ou asiles. Ils avaient été initialement construits à l’extérieur de la cité  pour ne pas importuner les bonnes gens, nécessitant parfois de faire de nombreux kilomètres pour pouvoir y accéder. La tendance actuelle va au rapprochement du lieu d’habitation. Ces CHS aussi appelés “l’intra” pour intrahospitalier permettent l’hospitalisation temps plein, parfois de nuit ou de jour, dans des unités ouvertes ou fermées en fonction des besoins inhérents à la pathologie pour laquelle les soins sont nécessaires.

Beaucoup  de soignants peuvent être impliqués dans les prise en charge: des psychiatres, des psychologues, des infirmier(e)s, des aide-soignant(e)s, des assistant(e)s sociales(aux), des secrétaires médicales, des ergothérapeutes, des kinésithérapeutes, des musicothérapeutes.

Toujours dans le secteur, il existe les structures extra hospitalières (l’extra), dont les premiers maillons sont les centres médico-psychologiques, où peuvent être présents les mêmes intervenants. Il y a aussi les centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), où les patients peuvent bénéficier d’activités structurées sur quelques heures; les Hôpitaux de jour (HDJ),  qui permettent  d’avoir des demi-journées ou des journées d’hospitalisation en dehors des murs de l’hôpital (parfois dedans tout de même…); et les Établissements de Soins et d’Aide par le Travail (ESAT, anciennement CAT), qui permettent aux patients de travailler dans un environnement protégé qui prend en considération que les rythmes de travail ne peuvent être aussi soutenus que dans l’univers productiviste du travail dit “normal”.

CHG et CHU

Ensuite, on retrouve les Centres Hospitaliers Généraux (CHG) et les Centres Hospitaliers Universitaires (CHU), qui comportent des services de psychiatrie non sectorisés (ils peuvent aussi l’être selon les hôpitaux), souvent des services d’urgence ou parfois seulement des psychiatres de liaison (psychiatres qui interviennent à la demande de leurs collègues non psychiatres dans des service non psychiatriques). Ils peuvent être des services de psychiatrie générale, ou être spécialisés dans certaines prises en charge uniquement, comme la dépression résistante, la schizophrénie résistante, les troubles obsessionnels compulsifs, les troubles bipolaires, les pathologies liées au suicide, les troubles du comportement alimentaires, les troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, les troubles du spectre autistique, etc. Il existe ainsi une forte tendance comme dans les autres disciplines médicales à la sur-spécialisisation de certains praticiens dans des domaines bien délimités. On aura ainsi des schizophrénologues, des bipolarologues, des autistologues ou encore des TOCologues. Qui verront tout par le spectre de leur sur-spécialité.

L’activité est aussi souvent alimentée par les services d’urgences locaux qui sont un peu ce que les tours de contrôle sont à l’aviation. Le rôle du psychiatre des urgences est ainsi de déterminer le plus rapidement possible l’orientation de son patient après avoir évalué la situation. Quel est le degré d’urgence? Consultation unique puis sortie ou hospitalisation? Quel lieu d’hospitalisation? Quel mode d’hospitalisation (libre ou sans consentement)? Faut-il un traitement rapide sur place? A-t-on besoin d’un traitement par la bouche si le patient accepte ou en intra-musculaire s’il le refuse? Faut-il le mettre en chambre d’isolement? Autant de questions qui permettent des prises de décision dans l’intérêt du patient. Même si par moment, c’est dur et qu’il n’est pas forcément volontaire dans les soins.

Les cliniques

Après cela, on retrouve les établissements privés ou cliniques qui nécessitent en général que les patients aient des mutuelles pour être pris en charge. Il en existe un nombre variable, plus ou moins spécialisées. Comparativement aux hôpitaux, les forfaits hospitaliers sont moins chers (la sécurité sociale débourse moins) mais il y a souvent rattrapage sur l’aspect hôtelier (chambres seuls payantes, repas plus chers, plus ou moins d’autres services). Contrairement à l’hôpital, il s’agit d’établissements à but lucratif à l’origine. Cependant, depuis quelques années, avec la loi HPST (Hôpital Patient Santé Territoire) puis la loi de Santé Touraine,  l’hôpital devient aussi une entreprise avec des objectifs de rentabilité. En règle générale, les cliniques psychiatriques, aussi parfois appelées Maisons de Santé n’accueillent pas de patients en soins sous contrainte. Certaines ont tout de même cette rare caractéristique. Les psychiatres qui y travaillent peuvent être libéraux ou salariés.

Les psychiatres de ville

Puis, il y a les psychiatres libéraux, dits “psychiatres de ville”, qui ont leur cabinets installés dans la cité. Ils peuvent être conventionnés en secteur 1 (remboursés intégralement), secteur 2 (avec dépassements d’honoraires en plus du tarif remboursé de la sécurité sociale) ou être non conventionnés (tout est à la charge du patient). Ils peuvent ne gérer que l’aspect médicamenteux ou aussi faire des psychothérapies, voire ne faire que des psychothérapies.

Les médecins généralistes

Enfin, ce serait inadéquat d’oublier ceux qui passent un tiers de leur temps à voir nos patients en première ligne et prescrivent quatre-vingt-dix pour cent des psychotropes consommés en France. Les médecins généralistes ont ce rôle majeur de dépistage et d’orientation de la majorité des personnes en souffrance. Sans eux, le système de soins psychiatriques serait beaucoup plus complexes à gérer. Ils ont aussi l’avantage d’être en amont du filtre de la stigmatisation, les personnes étant encore trop dans des considérations telles que « les psys c’est pour les fous »…

Au revoir Patrice, bonjour Vanessa

rien-ne-serait-plus-jamais-comme-avant

Bonjour à toutes et à tous,

Je mets juste à jour. Les votes sont terminés depuis longtemps.

Ce texte permettra juste de faire le lien car l’article appartient au site Au Féminin.

j’ai écrit une petite nouvelle pour le concours e-crire aufeminin « Au revoir Patrice, bonjour Vanessa », sur la thématique « rien ne serait plus jamais comme avant ».

Au sujet du transsexualisme.

La moitié des nouvelles qui seront sélectionnées le seront par le public. Alors, si cette nouvelle vous intéresse, n’hésitez pas à voter.

Le vote se fait sur le site aufeminin.com dont le lien est juste en dessous. Il nécessite un compte Facebook.

Merci de votre soutien!

http://www.aufeminin.com/ecrire-aufeminin/au-revoir-patrice-bonjour-vanessa-s1986444.html

 

Où j’ai été confrontée au trouble de la personnalité limite de l’intérieur

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Gérald et Cécile

Parfois, dans le métier de psychiatre, on est confronté à des situations de travail lors même que nous n’y sommes pas. De cette façon, j’ai eu l’occasion de me retrouver mêlée au coeur d’un conflit de couple absolument sans le vouloir. Un ami, Gérald était depuis un bon moment avec une femme, Cécile avec qui les choses ne se passaient pas de manière paisible. Couple haut en couleurs, on pouvait dire qu’ils ne devaient pas s’ennuyer. Gérald était lui même suivi par un collègue analyste depuis quelques temps du fait de la souffrance que représentait cette relation. Au bout d’un certain nombre de remises en questions, il décida finalement d’en rester là, malgré la conscience que cette rupture n’allait pas être évidente. Euphémisme. Cela fut long et très compliqué, avec de nombreux rebondissements.

Cécile avait eu l’occasion de me connaître lors de soirées en commun et savait que j’étais psy. On avait un peu sympathisé et j’avais dû donner mon numéro de téléphone. Quelle ne fut pas mon erreur! Je me suis retrouvée l’oreille et l’épaule réconfortante, et elle tentait tant bien que mal que je joue un rôle auprès de son ex pour retrouver de l’estime à ses yeux. C’est ainsi que je pus me rendre compte de l’ampleur des symptômes qu’elle pouvait présenter et qui avait dû épuiser mon ami.

Dans notre jargon psychiatrique, on évoque la pathologie qu’elle présentait par le nom de personnalité limite ou personnalité borderline.

Les symptômes du trouble de la personnalité limite ou borderline

Le premier symptôme visible dans ce contexte est ce que l’on appelle le vécu abandonnique de la séparation. En gros, c’est cette recherche effrénée d’éviter qu’on ne les abandonne avec moult tentatives de récupérer les morceaux de la relation quand cela se passe. Cécile harcelait Gérald, qui avait dû changer de ligne téléphonique, essayait de me presser à influer en sa faveur. J’appris ainsi que l’abandon originel avait bien été réel car elle était adoptée et ne connaissait pas ses parents biologiques.

L’un des autres symptômes est l’alternance d’idéalisation et de dévalorisation de l’entourage, dont ses parents adoptifs et son frère faisaient partie. Ils étaient tour à tour hissés au rang de héros nationaux et redescendaient honnis comme des traîtres la semaine suivante, au gré des interactions qui ne pouvaient qu’être houleuses.

Un autre symptôme relève de l’identité sexuelle, avec un questionnement récurrent. Cécile m’avait fait part de son questionnement et sa démarche bouleversante d’essai antérieur avec une autre femme, ne semblant pas complètement fixée malgré son amour intense pour mon ami.

Elle avait des préoccupations corporelles et faisait du sport de façon intensive, avec un régime alimentaire “adapté” pour ne développer que la masse musculaire.

Cécile pouvait rentrer dans des rages folles et se mettre en danger. Ainsi, elle avait déjà jeté l’ordinateur par la fenêtre de l’appartement (au 5ème étage) à l’époque où le couple était encore ensemble. Cécile avait même déjà cogné sa tête contre une vitre, qui en se brisant lui avait laissé un souvenir durant plusieurs mois. Elle conduisait vite, couchait parfois avec n’importe qui.

Du temps où ils étaient encore ensemble, Cécile avait déjà fait plusieurs tentatives de suicide.

Comment faire?

C’est aussi pour cette raison que je ne me sentais pas de ne pas répondre à ses appels répétés. Qui frisaient parfois au harcèlement.  J’ai des souvenirs de gardes que je faisais, où je me faisais réveiller par Cécile alors même que le service était plutôt calme. Du fait de cette position difficile et non choisie, je l’ai dirigée progressivement vers des collègues de son secteur, où une hospitalisation permit d’apaiser la situation. Un suivi régulier ambulatoire a pu se mettre en place par la suite, me soulageant grandement de cette responsabilité qui m’embarrassait.

Elle a ensuite pu se remettre à nouveau en couple, d’abord sans oublier mon ami, puis s’est plus investie. Je l’ai maintenant perdue de vue. Cécile n’a plus besoin de moi!

Raël et la Slovénie

 

Raël

Parfois, le destin nous amène sur des routes qui nous permettent de croiser des personnes auxquelles on ne s’attendrait pas. Certes, je n’ai pas une imagination débordante, mais croiser un prophète en chair et en os n’est pas chose dénuée d’intérêt pour une psychiatre.

Vacances en Slovénie

J’étais en vacances avec mon homme en Slovénie, où travaillait un ami. Il avait eu la bonne idée de partir en vacances en Hongrie pendant la durée de notre séjour. Pour compenser l’oubli de notre venue, il avait eu l’extrême gentillesse de nous prêter son appartement de Ljubljana, la capitale de ce charmant petit pays. Nous avons profité un temps de la capitale et des environs et avons ensuite décidé de parcourir une partie du pays les sacs sur le dos. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés au niveau de la minuscule côte slovène de moins de cinquante kilomètres sur l’Adriatique. Nous randonnions tranquillement quand des sonorités familières nous chatouillèrent les oreilles. Quelqu’un parlait au micro en français!! En Slovénie…

Intrigués que nous étions d’entendre notre langue dans ce pays, nous nous dirigeâmes vers le lieu à l’oreille, débouchant sur un gigantesque chapiteau, entouré de barrières reliées par des cordons de sécurité rouge et blanc. Il s’agissait d’un gros événement dont nous ne comprenions pas l’ampleur.

L’université d’été des Raéliens

En se rapprochant (en short, T-shirt, chaussures de randonnée et sac de vingt kilos sur le dos…), un responsable de la sécurité se dirigea vers moi pour me demander ce que je venais faire avec mon attirail. Auparavant, j’avais pu voir sur l’entrée du chapiteau les grosses lettres qui signifiaient les raisons de ce rassemblement: l’université d’été de Raël se tenait ici. Mon homme préférait rester un peu plus loin, mais je décidais de me lancer.

Je me présentais donc comme une française intéressée par la question et demandais s’il était possible d’assister un peu aux conférences qui se tenaient là. Voyant mon intérêt non simulé, le responsable de la sécurité  me dirigea vers un collègue “commercial” qui me vendit les deux premiers livres de Raël pour quelques euros et je fus autorisée à entrer pour assister à la conférence qui avait déjà commencé.

Raël et les neurosciences

Il s’agissait d’un neuroscientifique francophone qui parlait du Human Brain Project ayant pour objectif de simuler le cerveau humain par des supercalculateurs. Vulgarisé pour que cela soit compréhensible, les références étaient claires, réelles, ce que je pouvais attester car je travaillais justement à l’époque dans le domaine de la recherche en neuroimagerie.

Raël avait engagé une caution scientifique apportant des données réelles de la science pour crédibiliser son discours obscurantiste sectaire. Il intervenait dans la foulée pour parler des relations humaines, de la communication et de l’amour sur des choses triviales et de bon sens. Pas de quoi se mettre grand chose sous la dent comparativement au discours prôné par cet homme se targuant d’être le dernier prophète sur Terre. Comme il n’était pas habillé en tenue officielle, il était interdit de le prendre en photo. Je fus donc très frustrée de ne pas ramener ce type de souvenir de mon voyage. J’ai pu parler quelques instants avec l’orateur neuroscientifique mais comme il était pressé je n’ai pu lui demander s’il cautionnait les théories fumeuses de son hôte.

Ayant peur que mon homme ne perde patience et reparte sur le chemin que nous avions prévu de faire, je repartis avec les livres et les souvenirs de cette hasardeuse rencontre.

Raël et la psychiatrie

Raël (Claude Vorillon dans la vie civile) avait tout de même eu la chance d’être enlevé par les Elohims (extraterrestres d’une lointaine galaxie beaucoup plus avancés sur le plan technologique), qui l’avaient invité à un banquet où il avait pu manger aux côtés de tous les prophètes des religions et croyances planétaires. Il décrit son expérience d’enlèvement exactement comme un patient souffrant d’une bouffée délirante pourrait percevoir son hospitalisation dans un service de psychiatrie sous contrainte, gommant les contours de la réalité avec imagination pour la rendre plus agréable.

Ainsi, je vois Raël comme quelqu’un ayant eu l’expérience du délire, des hallucinations, dans un épisode bref d’allure maniaque, avec une grande mégalomanie. Derrière, une fois le délire retombé et se sachant doué dans les relations sociales, je pense qu’il a perçu l’ampleur du potentiel  de crédulité de certains en créant sa propre “religion” (évidemment secte en réalité), qui se veut l’aboutissement des grandes religions monothéistes.

Manipulateur, il a ainsi décidé de mettre son imagination au service de son propre profit. Il prône la libre sexualité, demande des contributions multiples à ses adeptes, pour construire l’ambassade qu’il voulait placer à Jérusalem en vue d’accueillir les Elohim, a des projets farfelus de clonage.

Bref, c’est un opportuniste qui a trouvé son filon pour vivre aux dépens des autres.

l’islamophobie

Je vais aujourd’hui faire un petit mot sur l’islamophobie. Je n’avais pas initialement le désir de rebondir sur l’actualité. Le propos initial de mon blog est la psychiatrie et l’objectif est de donner mon point de vue sur la psychiatrie en France et de décrire des anecdotes vécues en psychiatrie.

Cependant, je ne peux m’empêcher de réagir sur l’utilisation des mots et des conséquences que cela occasionne dans l’esprit des gens. Je suis une psychiatre. Et parmi les maladies que l’on soigne en psychiatrie il y a les phobies.

Les phobies sont des peurs de certaines choses: l’avion, l’ascenseur, le vide, les araignées, etc.

Cela crée de l’anxiété ressentie corporellement, avec une accélération du rythme du cœur, de la respiration, des douleurs du tube digestif (« boule dans le ventre », « gorge nouée »…)

Il peut y avoir des tremblements, des sueurs, une tension musculaire. On peut avoir l’impression que l’on va s’étouffer, manquer d’air, mourir…

Généralement, on fuit ce dont on a peur, alors les gens évitent l’objet de leur phobie. Ce qui est contre-thérapeutique car c’est la confrontation à sa peur qui permet de la soigner.

 Alors quand on utilise un mot, l’islamophobie pour évoquer l’attitude de certains à l’encontre des personnes qui sont musulmanes, cela me fait quelque chose. Entre le rire jaune et la colère.

Les gens n’ont pas peur, ce n’est pas réellement ça qu’il ressentent.

Peut-être quelques uns. Ceux qui n’ont jamais vu un musulman en vrai et qui ne voient que des manifestations télévisuelles orientées. Avec la croyance assimilée du musulman-terroriste.

Pour la grande majorité, ce qui dicte le racisme, car l’islamophobie n’es rien d’autre qu’un mot inapproprié pour dire racisme envers l’islam, n’est rien d’autre que la méfiance, la haine, la méconnaissance.

Un raciste, un islamophobe n’a pas peur. Il n’aime pas et est parfois prêt à en découdre.

La réalité est qu’on parle d’antisémitisme, les peuples juifs et musulmans étant des peuples sémites tous les deux.

Alors s’il vous-plaît, arrêtez d’utiliser ce terme d’islamophobie certes pratique  mais qui ne décrit pas la réalité.

Merci!

Les urgences psychiatriques ou le box du fond à gauche

urgences psychiatriques

 

Quand on fait des gardes aux urgences psychiatriques, un phénomène assez fréquent se retrouve dans le quotidien. D’une aberration initiale, cela devient une norme, un standard.

La plupart des services d’accueil des urgences (SAU) fonctionnent selon un principe assez particulier pour l’accueil des urgences psychiatriques. Avant d’y arriver, j’en profite pour évoquer le parcours du patient au SAU.

Parcours d’un patient au SAU

Quand un malade se présente à l’accueil, il est d’abord enregistré sur le plan administratif. Il doit montrer sa carte d’identité, sa carte vitale et sa carte de mutuelle. On ne paie effectivement rien sur place. Mais la note est envoyée au domicile quelques mois plus tard. Quand il n’est pas en mesure de le faire lui-même, c’est la famille qui le fait. Voire les ambulanciers ou les pompiers qui amènent en ces lieux chargés d’une émotion palpable.

Passé cette étape, le patient attend généralement dans un premier sas de salle d’attente la visite de l’IAO. L’Infirmier(e) d’Accueil et d’Orientation (IAO) est une sorte d’aiguilleur(se) du ciel au pays des bobos. Les constantes sont généralement prises (pouls, tension, température). Et le motif de consultation pour effectuer le “tri” et savoir vers qui diriger le patient.

Il y a en règle générale deux à trois possibilités. Il s’agit d’un problème chirurgical, d’un problème médical ou d’un problème psychiatrique.

Variantes selon les établissements

Dans un certain nombre d’établissements, il n’y a pas de psychiatre sur place.  Soit les gens le savent déjà soit ils sont réorientés vers une structure qui fait tourner une garde de psychiatrie. C’est évidemment une question de budget. Car il faut avoir suffisamment de praticiens sur le pool de garde, pour que cela ne devienne pas un enfer en faisant une nuit à l’hôpital tous les deux jours. Ce qui arrive malheureusement dans certaines spécialités notamment chirurgicales.

Une exception à l’inverse est à Paris le Centre Psychiatrique d’Orientation et d’Accueil (CPOA) de l’Hôpital Sainte-Anne. Il ne reçoit que des urgences psychiatriques. Avec son organisation propre et la coordination de la gestion de la sectorisation en Île-de-France.

Dans d’autres cas, dans les établissements psychiatriques, il va y avoir un(e) psychiatre de garde qui n’accueille pas directement les urgences psychiatriques mais celles ayant transité d’abord par des SAU pour éviter de passer à côté d’une pathologie non psychiatrique. Elle(Il) gérera aussi les problème “locaux”, à savoir les gens qui posent problème sur la nuit, avec sur certains hôpitaux uniquement la partie psychiatrique et dans d’autres aussi la partie non psychiatrique.  

Les choix de l’IAO

Pour revenir à la trajectoire du patient qui a un problème psychiatrique. Celui qui arrive aux urgences d’un hôpital général ayant un(e) psychiatre sur place. Dans certains cas, le patient voit ensuite l’urgentiste qui appelle ensuite la(le) psychiatre. Dans d’autres cas, l’IAO appelle directement la(le) psychiatre de garde.

Si l’IAO appelle d’emblée la(le) psychiatre, c’est en estimant que la problématique psychiatrique est au premier plan. Et qu’il faut d’abord la gérer plutôt que de faire attendre avec les autres problématiques. Celles que les psychiatres ont tendance à nommer “somatique” en référence au corps, par opposition à “psychiatrique”.

Souvent c’est bien pour le patient, cela évite de s’impatienter, de s’agiter et on peut calmer le jeu plus facilement. Parfois, c’est dommage, parce que l’on peut passer à côté d’une raison non psychiatrique d’avoir des troubles du comportement. Comme les psychiatres sont médecins, ils peuvent corriger le tir et confier aux urgentistes la gestion de ce qu’il aura qualifié de “somatique” .

Il y a donc souvent débat au seing des SAU pour savoir si tout patient est vu par l’urgentiste avant l’appel de la (du) psychiatre. Ou si l’IAO peut se permettre d’orienter directement vers celle(celui)-ci.

Le bureau de la(du) psychiatre des urgences

Et là on en vient à mon problème de départ. Une fois appelé(e) par l’urgentiste où l’IAO, la(le) psychiatre se déplace au SAU (s’il n’y est pas déjà pour un autre patient). Elle(Il) va voir la personne “en demande de soins psychiatriques”. Je mets les guillemets parce qu’un autre tri est fait pour les “patients psys”. Il y a ceux qui sont agités et qui vont être placés dans des box “sécurisés”, qui ne peuvent être ouverts de l’intérieur et qui peuvent permettre de contentionner si nécessaire. Et puis il y a ceux qui ne sont pas agités et peuvent être reçus dans “le bureau de la(du) psychiatre”, le fameux bureau au fond à gauche…

Par définition, la(le) psychiatre doit être isolé(e), honni(e), banni(e) du reste de la société comme les malades dont il a la charge. Ainsi, souvent, la géographie hospitalière veut que les architectes ou les responsables hospitaliers mettent les bureaux des psychiatres dans des lieux isolés: au fond d’un couloir, dans une autre aile que le reste des urgences, voire un autre étage.

Avantages et inconvénients

En y réfléchissant bien, cela a un côté pratique: on y est plus au calme que dans le tumulte des salles communes des urgences ou des bips multiples des machines des box où les gens sont vus pour des raisons “somatiques”.

Mais c’est aussi dans cette zone que se trouve la sortie d’urgence où les gens sortent “par inadvertance” pour aller fumer leur cigarette, déclenchant l’alarme incendie régulièrement, les toilettes avec ses odeurs nauséabondes au gré des vomissements des gens bourrés qui finissent leurs nuits au SAU après avoir été ramassés dans la rue en état d’ébriété, les brancards des clochards dont la dernière douche remonte au siècle précédent et qui dorment au chaud les longues nuits d’hiver, faisant travailler la capacité à rester en apnée pour ne pas ajouter sa participation à la contribution des bourrés dans les WC .

Les dangers et leurs solutions

Un autre côté peut être considéré comme intéressant. Cela peut aussi permettre de réguler le flux des psychiatres nationaux. Loin des autres, si le patient s’agite et en vient aux mains avec “velléité de passage à l’acte hétéroagressif”- selon le jargon parfois employé, que l’on peut traduire par “envie de casser de la(du) psychiatre” pour l’occasion – on se sent parfois un peu seule et pas toujours rassurée.

Heureusement, nos gentils architectes ont pensé à tout! L’alarme “anti bris de psy” est un grand classique du genre. Avec selon les services diverses techniques toutes plus astucieuses les unes que les autres. Cela va du bouton poussoir ou la pédale sous le bureau à un système magnétique au mur qui se déclenche quand on le touche avec ses clefs. Et là, la moitié du personnel des urgences qui n’est pas en train de faire un geste délicat sur un patient accoure dans les 10 secondes.

“Oups, j’ai marché sur la pédale sans faire exprès”. Là, je crois que j’ai perdu quelques amis…

Vivre  dans une chambre de bonne avec un ex-taulard

chambre de bonne

La fidélité

J’ai suivi Denise en consultation pendant deux ans, sur les trente ans de fidélité qu’elle avait avec l’hôpital. Elle avait vu défiler plus de psychiatres que moi de nombre de services de psychiatrie différents.

Un diagnostic initial de “trouble anxiodépressif” justifiait ce suivi. Elle avait été « sauvée » d’une dépression sévère pour laquelle elle avait été hospitalisée dans le service. Denise n’avait plus depuis longtemps besoin d’être suivie que tous les trois mois.

Je renouvelais son traitement antidépresseur et anxiolytique au long cours et elle me donnait des nouvelles de sa situation. Pour les anxiolytiques, je n’étais pas fière mais faire un sevrage dans ces conditions semblait acrobatique. 

La chambre de bonne

Elle vivait dans une chambre de bonne sous les combles dans un vieil immeuble d’un quartier insalubre, bruyant et mal famé. Denise sortait peu de chez elle car gravir les six étages à pieds commençait à devenir un luxe.

Âgée de 78 ans, fatiguée, elle ne pouvait se permettre de faire elle-même ses courses. Elle hébergeait donc depuis cinq ou six ans Mohammed, un ancien taulard qui l’aidait en contrepartie aux tâches quotidiennes.

La routine des consultations antérieures

Elle oubliait régulièrement des consultations et j’étais obligée de la relancer par courrier car elle n’avait pas de téléphone chez elle, et encore moins de portable.

Chaque consultation se déroulait à peu près de la même manière. Boitant, aidée de sa canne, Denise faisait une pause tous les trois ou quatre pas pour respirer sur le trajet de la salle d’attente à mon bureau.

Arrivant dans mon bureau en suant, une odeur mêlée d’urine et de moisi, avec des vêtements sales, on pouvait penser qu’elle était clocharde. Le bruit de sa canne rythmait son pas court et sa voix chevrotante sortait d’une bouche édentée. Denise devait avoir une maladie de Parkinson sous-jacente non diagnostiquée.

Les tentatives  d’adressage à un neurologue s’étaient heurtées à des oublis répétitifs. Elle était seule, sans famille. Seul Mohammed l’aidait, mais disparaissait parfois plusieurs jours sans donner de nouvelles.

J’initiais la consultation pour tâter le terrain.

La dernière consultation
  • Comment allez-vous, Denise?
  • Ça va pas Docteur, ça fait trois jours que j’ai plus de médicaments, j’suis très angoissée, j’dors plus. Et pis j’en peux plus de cet appartement, de c’quartier. J’aimerai déménager, partir dans un endroit où y a moins de bruit, moins d’gens.

A chaque fois que je la voyais, c’était les mêmes paroles, les mêmes durées d’absence de prise de traitement…

J’avais parfois l’impression de revivre la même consultation.

  • Où en êtes-vous des démarches de demande de changement de logement auprès de l’office HLM?
  • Chai pas, ça fait longtemps que j’ai pas essayé d’y aller. En ce moment, j’arrive plus trop à sortir.
  • Et Mohammed il vous aide encore? Il travaille en ce moment?
  • Cui-là il a disparu de la circulation depuis quelques semaines, il m’a dit qu’il avait trouvé un travail et une p’tite copine.
LA solution?

En finissant mon contrat sur l’hôpital, je me suis dit qu’une chose serait plus efficace pour aider au mieux cette pauvre dame:

Rompre la fidélité qui l’avait amenée à consulter encore et toujours à l’hôpital général. On y soigne bien mais il y a mieux pour les intrications sociales.

Adressée sur son secteur, elle pourra bénéficier de visites à domicile et d’un suivi avec une assistante sociale. Celle-ci prendra  plus à bras le corps sa situation pour avoir un logement plus décent à un âge aussi avancé.