Tentative de suicide d’un infirmier de l’hôpital

 

suicide-medicaments

 

 

Un jour où je devais m’occuper de la liaison dans l’hôpital, je suis appelée en fin d’après-midi un vendredi – le moment préféré pour les galères, bien sûr – par des collègues anesthésistes au bloc opératoire.  

Ce n’était déjà pas quelque chose d’habituel. Aux urgences, en réanimation, en salle de réveil, dans divers services d’hospitalisation, cela devenait classique. Mais le bloc, c’était une première. Je n’étais pas au bout de mes surprises…

On ne m’avait pas appelée au sujet d’un patient, mais d’un collègue IBODE – infirmier  de bloc opératoire diplômé d’état – qui avait fait une tentative de suicide. Il manquait à son service depuis quelques heures déjà. On venait de le retrouver dans un local inutilisé du bloc opératoire. Après avoir ingurgité quantité de drogues disponibles sur place et utilisables facilement pour des personnes dont c’est le travail…

Les anesthésistes avaient fait une évaluation de l’état clinique de leur collègue et un bilan biologique pour savoir quel type de médicaments il avait pris. Bien que certaines boîtes vides pouvaient amener à supposer que certains traitements avaient dû y passer…

Ils avaient donc pu administrer des antidotes et l’infirmier avait pu se réveiller.

Comme il était apte à pouvoir parler, j’avais donc été appelée pour l’évaluer sur le plan psychiatrique. Et bien entendu voir comment gérer la situation complexe d’une tentative de suicide sur son lieu de travail. Autant dire que les collègues de cet infirmier voulaient savoir s’il y avait un risque que cela arrive de nouveau dans le service.

L’autre enjeu majeur sera de tenter de faire en sorte que l’étiquette “je me suicide au boulot” ne lui colle pas trop à la peau le restant de sa carrière.

 

On ne peut pas dire que c’était la routine…

J’essayais de tourner dans ma tête sur le chemin du bloc les scénarios possibles en fonction des réactions supposées du “bel au bois dormant” réveillé brutalement de son profond sommeil qu’il désirait définitif. Dans tous les cas, après un geste aussi grave, il faudra l’hospitaliser. La question est alors de savoir s’il acceptera ou s’il refusera.

Le casse-tête du choix du lieu et du mode d’hospitalisation

S’il accepte, vu le concours de circonstances, cela semblera peut-être compliqué de le convaincre de rester sur l’hôpital dans mon service. Peut-être un autre hôpital général ou une clinique privée?

Par contre s’il refuse, je serai dans l’obligation pour le protéger de l’hospitaliser contre son gré sur son secteur. En essayant de convaincre un membre de sa famille pour faire une hospitalisation à la demande d’un tiers. LA fameuse ancienne HDT, maintenant nommé SPDT pour soins psychiatriques à la demande de tiers.

Une demande de tiers rédigée de manière manuscrite plus un certificat de ma part. Et hop, en ambulance pour le conduire sur son lieu de villégiature pour éviter qu’il ne se mette à nouveau en danger.

Et si je ne trouve personne de l’entourage dans un délai correct, je pourrai l’hospitaliser sur le mode du péril imminent (SPI). Avec uniquement un certificat médical de ma part, en justifiant ne pas avoir trouvé de tiers.

Une fois arrivé sur les lieux du “crime”, je m’enquiers de l’anesthésiste afin qu’il m’amène à son IBODE.

Et là, affolé, il me dit qu’il ne sait pas où il est! Qu’il a fugué quand lui et ses collègues avaient le dos tourné pour gérer d’autres situations. Nous avons donc appelé la sécurité et la police pour donner son signalement et tenter de le retrouver.

Impuissante, j’ai fini mon service sans connaître le dénouement de la situation. Partant en vacances le lendemain, puis ayant déconnecté et oublié cette histoire, je n’ai finalement jamais su ce qu’il lui était arrivé après sa fugue…

L’infirmier presque enfermé

lit de chambre d'isolement

Un soir de garde, je suis appelée dans un des services de secteur parfois un peu étranges où flotte une folie qui alterne entre une douceur étrange et une violence qu’il est parfois difficile à comprendre. L’infirmier que j’ai au téléphone depuis ma chambre de garde m’évoque un état d’agitation chez un patient avec la nécessité que je vienne prescrire un traitement sédatif et une chambre d’isolement (dite “iso” dans notre jargon).

Les « isos »

Il s’agit d’un hôpital pavillonnaire où les gardes sont parfois dures. Surtout le week-end, où en l’absence des médecins du service, les internes de garde doivent “faire le tour des isos”. A savoir aller dans chaque chambre d’isolement de l’hôpital pour réévaluer l’état clinique du patient qui s’y trouve. Puis revalider une poursuite de cette indication, ou considérer que la mesure est devenue caduque. Avec bien sûr la possibilité pour le patient de revenir dans une chambre “normale”.

La situation

Cette fois-ci, on me demande de la prescrire pour un début d’agitation. J’enfile mes chaussures et mon manteau, sort de ma chambre d’internat et dévale les escaliers. Je marche ensuite d’un bon rythme pour arriver au plus vite dans le pavillon du service. Ayant déjà les clefs, je me rends sur la situation. Je vois deux personnes qui en viennent aux mains, toutes deux agitées et habillées en civil. Sur l’allure et le comportement je commence à raisonner l’un.

– Allez monsieur, on se calme, dites-moi ce qui se passe?

– C’est moi qui vous ai appelé, je suis l’infirmier et c’est lui le patient!

Oh la boulette! Je tente de maîtriser la coloration pivoine qui me monte aux joues et me confonds en excuses.

– Désolée, sans la blouse ce n’était pas évident.

Voilà comment j’ai failli mettre l’infirmier dans la chambre d’isolement…

Au final, nous avons fumé le calumet de la paix. Et la situation est redescendue sans nécessité ni de recourir à un traitement pour le patient ni de le mettre en chambre d’isolement. Cet infirmier était un peu fatigué et surmené. Son comportement n’avait pas aidé à faire redescendre une agitation chez un patient encore apte à entendre que tout ne pouvait se passer comme à la maison.

A l’hôpital, on ne fume pas dans les chambres!

Le psychiatre et la mort: lutte au quotidien

 

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Enterrement de la mère de deux patients

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Être psy ou ne pas être: qui sont les psychiatres, psychologues, psychanalystes, psychothérapeutes?

 

C’est la question la plus fréquente à laquelle on doit répondre quand on dit qu’on est “psy” quelque chose.

Un “chiatre” est médecin. Il a fait la faculté de médecine et après le tronc commun  de six ans pour tous les étudiants de médecine, il a choisi la spécialité “psychiatrie” pour son internat, qui dure actuellement quatre ans.  A la fin de ses quatre années d’internat, il passe sa thèse de médecine et valide son diplôme d’études spécialisées (DES) de psychiatrie. Actuellement il existe aussi des DESC (diplômes d’études spécialisées complémentaires) en addictologie et en pédopsychiatrie. Un DESC de psychiatrie du sujet âgé est en cours de négociation mais tarde à voir le jour. Il existe aussi encore quelques neuropsychiatres car avant 1968, la neurologie et la psychiatrie n’étaient pas encore séparées. Vu l’âge qu’ils ont maintenant, ce terme devrait être de plus en plus exotique en France…

Un “chologue” a étudié la psychologie à la faculté, avec actuellement au moins un Master 2 de psychologie pour pouvoir exercer. On peut être psychologue clinicien quand le Master 2 est dit “clinique” (ancien DESS) et psychologue de recherche quand le master 2 est dit “recherche” (ancien DEA). La plupart des psychologues cliniciens font en plus des formations en psychothérapie car les études de psychologie restent assez théoriques. Certains psychologues vont plus loin dans les études, avec un doctorat  (thèse de psychologie) voire après avoir obtenu une habilitation à diriger des recherches (HDR) peuvent devenir professeur de psychologie et avoir une chaire d’enseignement et de recherche à la faculté de psychologie.

Un “chothérapeute” a pour vocation d’aider les gens par la parole. On peut de ce fait avoir des formations très différentes. Depuis peu, ce statut est régulé car n’importe qui pouvait se targuer d’être psychothérapeute. On pouvait ainsi être “boucher-psychothérapeute” et n’avoir jamais vu de patients avant de poser sa plaque! Maintenant, il faut en plus d’une formation théorique de psychopathologie d’au moins 400 heures faire un stage pratique d’au moins 5 mois dans un service agréé. Il existe un grand nombre de types de psychothérapies dont les principales sont la psychanalyse, les thérapies cognitivo-comportementales, les thérapies systémiques.

Un “chanalyste” est un psychothérapeute qui utilise la psychanalyse comme type de psychothérapie. Il existe un grand nombre de “courants” dans la psychanalyse, dont les principaux sont les “freudiens”, les “lacaniens” et les “jungiens”. La France reste avec l’Argentine le seul pays où l’ancrage de la psychanalyse reste aussi important comparativement aux autres types de psychothérapies. Pour être psychanalyste, il faut avoir fait une psychanalyse didactique, à savoir se faire psychanalyser soit même par un psychanalyste. On peut donc être psychiatre psychanalyste, psychologue psychanalyste ou boucher psychanalyste. Enfin, maintenant les bouchers doivent faire leurs 400 heures de formation théorique et leur 5 mois de stage dans un service agréé… N’hésitez donc pas à demander à votre psychanalyste ce qu’il a fait comme études!

 

Première confrontation avec la folie furieuse ou comment j’ai cru que j’allais me faire tuer en voulant sauver quelqu’un

Couteau

Lors de mon premier stage d’interne, dans un hôpital général qui possédait un service de psychiatrie, j’ai été confrontée à quelque chose qui m’a longtemps semblé incroyable. Je faisais la visite avec le psychiatre de liaison (le psychiatre qui se charge de donner des avis psychiatrique chez les patients hospitalisés dans les services de médecine), qui remplaçait mon chef de service habituellement en charge de ce moment didactique et important pour les patients.

Ce psychiatre est appelé par une infirmière au sujet de quelqu’un travaillant à l’hôpital qui souhaitait le voir (et qu’il avait déjà vu une fois ou deux) . Il disparaît alors quelques instants, avant de revenir en courant, l’air affolé et nous criant d’appeler rapidement la sécurité et les réanimateurs. Il s’en charge finalement et je cours avec mon co-interne voir ce qui se passe.

Là, je tombe nez-à-nez avec un employé de l’hôpital, en tenue, et à genoux avec le ventre ensanglanté et un couteau planté dont le manche dépasse. Je me précipite pour tenter de le secourir et me penche vers lui, l’air inquiet et compatissant. A cet instant, il se redresse et retire le couteau de son ventre pour me menacer avec.

Ni une ni deux, je fais un bond vers l’arrière et commence à placer le caddie de linge propre qu’il nous avait apporté. Je tente de le raisonner et de le convaincre de nous donner son arme pour que l’on puisse le soigner et évaluer l’ampleur des dégâts qu’il a causés mais il ne semble pas sensible à mes arguments.

« Ils font tout pour me pousser à bout, je le sais, ils se sont ligués contre moi. Ils savent que je suis fragile et que je peux craquer facilement. »

Il pense en effet que le responsable de la lingerie où il travaille, en accord avec les autres employés, le mettent en difficulté en lui reprochant de mal faire son travail et l’accablant de tous les maux.

Le petit jeu qu’il vient de faire une première fois sera répété à plusieurs reprises avec le couteau rentrant et sortant du nouvel orifice qui semblait maintenant faire partie de son corps. Je me rapproche, il me menace et quelques temps après il remets le couteau dans son ventre…

Peu après, le réanimateur arrive, avec sa capote de l’hôpital, sorte de long manteau permettant de passer d’un bâtiment de l’hôpital à un autre par les froides soirées d’hiver. Ayant juste compris que quelqu’un avait une plaie à l’arme blanche il était venu rapidement pour évaluer les dégâts.

Se trouvant nez à nez avec l’énergumène, il augure de la même danse que j’avais pu faire au départ, avec un mouvement de recul pour éviter la lame qui allait lui chatouiller le visage. A la manière d’Indiana Jones avec son fouet, il se met en tête d’essayer de désarmer notre forcené avec sa capote, qu’il agite sans succès en direction de l’arme qui reste solidement dans les mains de son propriétaire. A plusieurs reprises, il tente, puis finit par abandonner devant l’inefficacité de sa technique.

En parallèle de cela, les infirmières sont mises à contribution pour préparer de quoi sédater notre gentil paranoïaque, à savoir quelques ampoules de molécules qui auront pour objectif de le rendre un peu plus docile. Mais tant qu’il a son arme, impossible de l’approcher sans risquer de se faire blesser avec.

La situation commençant à devenir difficile, la police est appelée. Quinze minutes après qui semblent des heures, deux groupes de chacun six policier arrivent de chaque côté du forcené, à distance, tentant eux aussi dans un premier temps de parlementer et de lui faire lâcher son arme.

En vain! Nos vaillants petits soldats carapacés, outre leurs armes de service et autres matraques, disposaient d’un engin à l’époque nouveau et controversé: un tazer! Cependant, ils ne s’en servaient pas, attendant pour cela les ordres d’un officier de police judiciaire (OPJ) qui avait l’air de prendre un peu de temps avant de se décider.

Enfin, la décision tombe, et quelques secondes après, un grand bruit, un cri, le couteau qui tombe et notre gentil paranoïaque qui suit le couteau. Ni une ni deux, le couteau est éloigné, le forcené maîtrisé, mis sur un brancard, injecté des ampoules dispensatrices de sommeil et contentionné sur son brancard.

Il est ensuite conduit en urgence au bloc opératoire pour explorer sa plaie et vérifier s’il s’est perforé des organes vitaux. Chance pour lui, son ventre gras a eu suffisamment de volume pour qu’il ne parvienne même pas à passer la barrière du péritoine qui protège les organes de la cavité de l’abdomen. Après la sortie du bloc, il est rapidement transféré sur son secteur psychiatrique en hospitalisation sous contrainte pour éviter qu’il ne soit dangereux pour d’autres personnes et qu’il soit protégé de lui-même et soigné.

Quand j’y repense, je me dis que cela aurait été vraiment bête de me faire éventrer dès mes premiers mois de balbutiements psychiatriques.

Bonjour tout le monde !

Cela faisait quelques années que je me disais que j’allais me lancer. Ecrire était pour moi quelque chose d’important mais je n’osais pas passer à l’action. Serais-je à la hauteur? Et puis comment? Avec quel style? Que raconter?

Alors je me suis dit, pourquoi ne pas commencer par raconter un peu ton vécu, tes expériences de jeune psychiatre. Avec les rencontres de patients, leur expérience et le fonctionnement de la psychiatrie en France.

J’écrirai pêle-mêle des histoires récentes ou plus vieilles qui me sont arrivées, sont arrivées à des patients ou des réflexions que j’ai pu avoir. Sans forcément de chronologie.  Au gré de ma mémoire, de mes envies du moment. Grâce à cette liberté qu’offre internet.

Devant toute démarche publique, difficile de ne pas se comparer à des gens qui font cela avec brio et dont on aimerait arriver à la cheville.

Comme dirait Baptiste Beaulieu,

« Alors Voilà », c’est La Folie Ordinaire, avec le quotidien d’une jeune psychiatre, qui commence. Espérons que cela dure…

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