Quand on fait des gardes aux urgences psychiatriques, un phénomène assez fréquent se retrouve dans le quotidien. D’une aberration initiale, cela devient une norme, un standard.
La plupart des services d’accueil des urgences (SAU) fonctionnent selon un principe assez particulier pour l’accueil des urgences psychiatriques. Avant d’y arriver, j’en profite pour évoquer le parcours du patient au SAU.
Parcours d’un patient au SAU
Quand un malade se présente à l’accueil, il est d’abord enregistré sur le plan administratif. Il doit montrer sa carte d’identité, sa carte vitale et sa carte de mutuelle. On ne paie effectivement rien sur place. Mais la note est envoyée au domicile quelques mois plus tard. Quand il n’est pas en mesure de le faire lui-même, c’est la famille qui le fait. Voire les ambulanciers ou les pompiers qui amènent en ces lieux chargés d’une émotion palpable.
Passé cette étape, le patient attend généralement dans un premier sas de salle d’attente la visite de l’IAO. L’Infirmier(e) d’Accueil et d’Orientation (IAO) est une sorte d’aiguilleur(se) du ciel au pays des bobos. Les constantes sont généralement prises (pouls, tension, température). Et le motif de consultation pour effectuer le “tri” et savoir vers qui diriger le patient.
Il y a en règle générale deux à trois possibilités. Il s’agit d’un problème chirurgical, d’un problème médical ou d’un problème psychiatrique.
Variantes selon les établissements
Dans un certain nombre d’établissements, il n’y a pas de psychiatre sur place. Soit les gens le savent déjà soit ils sont réorientés vers une structure qui fait tourner une garde de psychiatrie. C’est évidemment une question de budget. Car il faut avoir suffisamment de praticiens sur le pool de garde, pour que cela ne devienne pas un enfer en faisant une nuit à l’hôpital tous les deux jours. Ce qui arrive malheureusement dans certaines spécialités notamment chirurgicales.
Une exception à l’inverse est à Paris le Centre Psychiatrique d’Orientation et d’Accueil (CPOA) de l’Hôpital Sainte-Anne. Il ne reçoit que des urgences psychiatriques. Avec son organisation propre et la coordination de la gestion de la sectorisation en Île-de-France.
Dans d’autres cas, dans les établissements psychiatriques, il va y avoir un(e) psychiatre de garde qui n’accueille pas directement les urgences psychiatriques mais celles ayant transité d’abord par des SAU pour éviter de passer à côté d’une pathologie non psychiatrique. Elle(Il) gérera aussi les problème “locaux”, à savoir les gens qui posent problème sur la nuit, avec sur certains hôpitaux uniquement la partie psychiatrique et dans d’autres aussi la partie non psychiatrique.
Les choix de l’IAO
Pour revenir à la trajectoire du patient qui a un problème psychiatrique. Celui qui arrive aux urgences d’un hôpital général ayant un(e) psychiatre sur place. Dans certains cas, le patient voit ensuite l’urgentiste qui appelle ensuite la(le) psychiatre. Dans d’autres cas, l’IAO appelle directement la(le) psychiatre de garde.
Si l’IAO appelle d’emblée la(le) psychiatre, c’est en estimant que la problématique psychiatrique est au premier plan. Et qu’il faut d’abord la gérer plutôt que de faire attendre avec les autres problématiques. Celles que les psychiatres ont tendance à nommer “somatique” en référence au corps, par opposition à “psychiatrique”.
Souvent c’est bien pour le patient, cela évite de s’impatienter, de s’agiter et on peut calmer le jeu plus facilement. Parfois, c’est dommage, parce que l’on peut passer à côté d’une raison non psychiatrique d’avoir des troubles du comportement. Comme les psychiatres sont médecins, ils peuvent corriger le tir et confier aux urgentistes la gestion de ce qu’il aura qualifié de “somatique” .
Il y a donc souvent débat au seing des SAU pour savoir si tout patient est vu par l’urgentiste avant l’appel de la (du) psychiatre. Ou si l’IAO peut se permettre d’orienter directement vers celle(celui)-ci.
Le bureau de la(du) psychiatre des urgences
Et là on en vient à mon problème de départ. Une fois appelé(e) par l’urgentiste où l’IAO, la(le) psychiatre se déplace au SAU (s’il n’y est pas déjà pour un autre patient). Elle(Il) va voir la personne “en demande de soins psychiatriques”. Je mets les guillemets parce qu’un autre tri est fait pour les “patients psys”. Il y a ceux qui sont agités et qui vont être placés dans des box “sécurisés”, qui ne peuvent être ouverts de l’intérieur et qui peuvent permettre de contentionner si nécessaire. Et puis il y a ceux qui ne sont pas agités et peuvent être reçus dans “le bureau de la(du) psychiatre”, le fameux bureau au fond à gauche…
Par définition, la(le) psychiatre doit être isolé(e), honni(e), banni(e) du reste de la société comme les malades dont il a la charge. Ainsi, souvent, la géographie hospitalière veut que les architectes ou les responsables hospitaliers mettent les bureaux des psychiatres dans des lieux isolés: au fond d’un couloir, dans une autre aile que le reste des urgences, voire un autre étage.
Avantages et inconvénients
En y réfléchissant bien, cela a un côté pratique: on y est plus au calme que dans le tumulte des salles communes des urgences ou des bips multiples des machines des box où les gens sont vus pour des raisons “somatiques”.
Mais c’est aussi dans cette zone que se trouve la sortie d’urgence où les gens sortent “par inadvertance” pour aller fumer leur cigarette, déclenchant l’alarme incendie régulièrement, les toilettes avec ses odeurs nauséabondes au gré des vomissements des gens bourrés qui finissent leurs nuits au SAU après avoir été ramassés dans la rue en état d’ébriété, les brancards des clochards dont la dernière douche remonte au siècle précédent et qui dorment au chaud les longues nuits d’hiver, faisant travailler la capacité à rester en apnée pour ne pas ajouter sa participation à la contribution des bourrés dans les WC .
Les dangers et leurs solutions
Un autre côté peut être considéré comme intéressant. Cela peut aussi permettre de réguler le flux des psychiatres nationaux. Loin des autres, si le patient s’agite et en vient aux mains avec “velléité de passage à l’acte hétéroagressif”- selon le jargon parfois employé, que l’on peut traduire par “envie de casser de la(du) psychiatre” pour l’occasion – on se sent parfois un peu seule et pas toujours rassurée.
Heureusement, nos gentils architectes ont pensé à tout! L’alarme “anti bris de psy” est un grand classique du genre. Avec selon les services diverses techniques toutes plus astucieuses les unes que les autres. Cela va du bouton poussoir ou la pédale sous le bureau à un système magnétique au mur qui se déclenche quand on le touche avec ses clefs. Et là, la moitié du personnel des urgences qui n’est pas en train de faire un geste délicat sur un patient accoure dans les 10 secondes.
“Oups, j’ai marché sur la pédale sans faire exprès”. Là, je crois que j’ai perdu quelques amis…
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