Hara-kiri

Hara-kiri

On dit souvent en psychiatrie que globalement les différents troubles qui existent se répartissent de manière à peu près équivalente aux quatre coins de la planète. Oui, globalement. Mais une des choses qui par contre est très différente est l’expression de ces troubles et les croyances qui peuvent être données face à elles.

L’expression émotionnelle

J’ai eu ainsi l’occasion de voir ce que la coloration ethnique pouvait donner dans un contexte particulier. Chez les asiatiques en général, notamment les japonais, l’expression des émotions est très mal vue, et un signe de mauvais self-contrôle. On se doit en toute circonstances de rester calme, malgré les tourments que l’on peut ressentir. Il s’agit bien évidemment de principes éducatifs, qui disparaissent souvent chez les jeunes générations “intégrées” à la société occidentale. Mais pas toujours…

Ainsi, lorsqu’un accident de la voix publique arrive en France, nous aurons droit à une agitation, un flot de parole d’intensité et de hauteur variée. Et des gens qui se mettent sur la figure, s’insultent dans un certain  nombre de cas. Très loin de ce qui se passe au Japon, où les protagonistes sortent de leur voiture pour signifier qu’il y a un problème, constatent les dégâts éventuels et remontent dans leurs voitures respectives. Sans un bruit. Sans aucune expression émotionnelle. Comme le maquillage des clowns, figés dans des émotions qu’ils ne traversent pas, l’air neutre quoiqu’il leur arrive.

Ginko

Alors quand Ginko, vingt-deux ans, étudiant sage et discipliné, qui était plutôt apprécié de ses camarades de faculté de mathématiques, a commencé à déprimer, son visage n’a pas beaucoup changé et personne ne s’est rendu compte de l’étendue de sa souffrance. Il broyait du noir à longueur de journée et aurait pu aisément tromper de bons joueurs de poker sur son jeu.

Et pourtant, il n’avait pas un jeu facile à vivre. Il venait de se faire larguer par sa petite copine avec qui il était resté trois ans. Mais comme il était très secret, ses parents n’étaient pas trop au courant. Et peu de gens avaient eu l’occasion qu’il se confie à eux.

Seul son discours aurait pu laisser présager que les choses commençaient à tourner au vinaigre. Il commençait en effet à faire des remarques dont il n’avait pas l’habitude antérieurement. Très pessimiste. Sans pour autant que cela le concerne. C’était juste la manière dont il commençait à voir le monde. Presque sur un versant apocalyptique, de plus en plus convaincu que les choses se dégradaient.

Hara-kiri

Alors quand il s’est retrouvé aux urgences avec le sabre qui ornait le salon planté dans son thorax , après avoir fait hara-kiri, tout le monde fut très étonné: sa famille comme ses amis. Pas de conflits connus ni de déshonneur à l’horizon qui puisse pour eux justifier un tel geste.

Par chance, il était meilleur mathématicien que samouraï et son maniement de sabre ne lui permit pas de faire les mouvements nécessaires pour que l’éventration le conduise à la mort. Les chirurgiens qui l’opérèrent en urgence permirent de le sauver et il fut hospitalisé dans le service de psychiatrie où je travaillais à ce moment.

Peu d’asiatiques se plaignent et l’expression émotionnelle peut ne quasiment pas exister. Ginko était de ceux-là. Il donnait froid dans le dos car je me sentais démunie face à lui. C’est comme si je ne pouvais rien me mettre sous la dent en tant que psychiatre pour évaluer la souffrance et prévoir s’il y avait un risque de récidive ou pas. Avec l’impression de lutter avec un cure-dent contre la maladie psychiatrique armée du même sabre avec lequel il avait tenté de s’ôter la vie.

Reboot?

Une autre manière de voir les choses pourrait être de dire qu’il avait peut-être des symptômes dépressifs détectables avant son geste, mais que l’électrochoc de celui-ci a fait comme une RAZ, un reboot qui lui a permis de sortir de la dépression. J’avais déjà vu cela pour d’autres patients malgré des tentatives de suicide d’une telle gravité que le passage en réanimation était souvent le dénominateur commun.

Le fait est que Ginko semblait n’avoir aucun des habituels symptômes de dépression recherchés à l’examen psychiatrique. Après l’avoir gardé un certain temps en évaluation à l’hôpital, plus pour se rassurer que pour faire quelque chose, il sortit et continua le suivi en consultation. A ce jour, il va toujours bien, illustrant la difficulté de notre métier dans l’évaluation émotionnelle de nos patients dans certains cas.

Amandine ou comment le boulot tue les cadres infirmières

Amandine ou comment le boulot tue les cadres infirmières

 

Amandine était la cadre du service où je travaillais à l’époque. La (le) cadre d’une unité d’hospitalisation est un(e) Infirmièr(e) Diplômé(e) d’Etat (IDE) qui a passé une année de plus sur les bancs de l’école des cadres (Institut de Formation des Cadres de Santé IFCS) et a travaillé au moins quatre ans de bons et loyaux services en tant qu’IDE.

Les cadres ont comme boulot de superviser les autres IDE. Avec pas mal de responsabilités administratives et organisationnelles, ce qui en fait un poste clef à l’hôpital pour que le fonctionnement soit optimal dans un service.

Cela va de la gestion des plannings des infirmièr(e)s à la présence dans les réunions de service, en passant par les commandes de matériel, la coordination des entrée et sorties des patients ou encore dépanner les autres IDE sur les tâches cliniques du quotidien. Liste non exhaustive bien sûr. Évidemment, d’un service à l’autre, cela dépend beaucoup de l’activité clinique et en chirurgie, en service de médecine ou en psychiatrie, il peut y avoir de sacrées nuances.

Le caractère de la (du) cadre influe beaucoup sur la fonction et l’ambiance qu’il peut y avoir dans une équipe infirmière.  

Amandine faisait partie de ces gens qu’on dit investis au travail. Alors elle n’y rechignait pas. Toujours prête à aider. Mais aussi dans une forme de stress permanent. Je ne crois pas l’avoir vue autrement que courir, ne tenant que rarement en place. Passant d’une activité à une autre avec une célérité digne des coureurs de fractionné.

Dans le jargon psychiatrique, on pouvait dire qu’elle avait une personnalité de type A. Cela signifie qu’elle était en permanence en hyperactivité, dans un sentiment d’urgence, un énervement facile et un hyperinvestissement professionnel. A côté de cela, elle pouvait être considérée par les autres comme un peu “pète-sec” car elle démarrait au quart de tour quand les choses ne se passaient pas comme elle le désirait. Son désir de perfection était parfois fatiguant pour tout le monde car la barre était mise haute pour elle comme pour les autres.

Bref, elle savait se mettre la pression et la mettre à toute l’équipe mais le travail était bien fait.

Elle était toujours la première à accepter de reprendre les astreintes des autres quand ils avaient un empêchement. De ce fait, son mari et ses trois enfant pâtissaient un peu de ce surinvestissement et auraient aimé la voir un peu plus. Cette situation était en partie due au manque d’effectif car seuls trois des cinq postes de cadre du service étaient pourvus à l’époque. Il fallait travailler quasi deux fois plus pour faire fonctionner la boutique. Car la (le) cadre, comme la (le) médecin, n’est pas censé(e) compter ses heures, mais faire le job.

Comme fréquemment dans ces circonstances, se griller une petite clope permettait d’avoir un argument pour se poser deux minutes quelques fois dans la journée. Bien sûr, cela augmente le stress mais la dépendance donne l’illusion de soulager et de gérer le stress. Elle avait déjà fait une alerte cardiaque quelques années avant, avec un infarctus du myocarde sur des artère coronaires un tantinet bouchées. De ce fait et du fait de sa personnalité, elle avait un grand risque que cela se renouvelle.

Un soir qu’elle était rentrée tard chez elle après avoir géré une situation compliquée dans le service, elle a eu à nouveau mal à la poitrine. Son fils a alerté les secours pendant que son mari tentait de faire quelque chose. Mais il n’était pas soignant. Et ne connaissait pas les gestes élémentaires de réanimation. Quand les pompiers puis le SAMU sont arrivés, il était déjà trop tard. La vie l’avait fuie. Elle avait quarante-six ans.

J’y ai souvent pensé. Avec amertume. Parce qu’il est facile de s’investir à fond dans son travail. De s’y plonger corps et âme. De se faire vampiriser. Nous avons des emplois prenants. Des vies entre nos mains, des destinées à recaler. Cela peut être grisant, nous inciter à toujours en faire plus. Parfois nous en perdons l’essentiel: nous sommes là pour vivre. Et la vie ne se résume pas à l’action permanente. Être, simplement être, par moments, est capital. Et pour aider les autres, il est nécessaire de d’abord s’aider soi-même. Connaître ses limites. Et ne jamais les dépasser. Ce n’est pas de l’égoïsme. Bien au contraire, il s’agit d’altruisme de fond. Pour tenir la route, il faut s’économiser. Alors pour Amandine, vivons pleinement et apprenons à gérer notre stress pour être en mesure de soutenir les autres.

Je suis le Ré, le Râ, le Tout Puissant

Râ

Certains patients sont des artistes. On a souvent fait des parallèles entre la folie et l’art et nombreux sont ceux qui ont bénéficié de circonstances atténuantes dans leurs dérapages. Nombreux aussi sont les artistes incompris, inconnus, dont l’art n’a parfois pas dépassé la salle d’art-thérapie de l’hôpital psychiatrique qui les a un temps hébergés dans les moments les plus critiques.

Ismaël

Sur un hôpital de secteur, en unité fermée, j’ai fait la connaissance d’Ismaël. Il était musicien, compositeur et interprète. Il avait à plusieurs reprises été invité sur des plateaux de télévision pour présenter ses compositions et était plutôt bon chanteur et guitariste.

Ismaël était aussi atteint d’une schizophrénie relativement grave qui le mettait dans des états assez impressionnants. Il y avait à la fois des éléments de mégalomanie et un délire imaginatif assez fourni. Il était ainsi volubile et l’opinion qu’il avait de lui même ne manquait pas de déformer ses chaussures et ses casquettes. D’une voix changeante, il se faisait le réceptacle d’autres personnages. Ismaël déclamait ainsi régulièrement en salle commune:

  • Je suis le Ré, le Râ, le Tout Puissant! Vous me devez tous la vie. Sans moi, vous auriez déjà été anéantis. Si je n’avais pas été l’interprète des Entités, que j’ai comprises et réussi à apaiser, elles auraient envahi notre planète.
  • Ismaël, arrêtez de crier, vous faites peur aux autres patients, tentions nous de raisonner pour éviter de voir des mouvements de foule parmi ses compagnons d’infortune.
  • Tremblez et respectez moi! Vous m’êtes tous redevables. Sans moi, pfiou! Écrasés, pulvérisés que vous auriez été…
  • Merci Ismaël, nous vous devons une fière chandelle, ajoutais-je pour tenter de l’apaiser. Ne voulez-vous pas qu’on en discute en entretien dans votre chambre ou dans mon bureau? Pour un peu plus de confidentialité…

Il pouvait être accessible encore au raisonnement malgré le caractère intimidant du ton qu’il prenait dans ces moments-là. Il n’avait jamais été agressif physiquement et était connu du service depuis de nombreuses années. Cela me rassurait un peu, mais je dois dire que je n’étais pas toujours à l’aise avec lui. Je ne faisais pas toujours la fière et il sentait par moments qu’il pouvait générer la peur chez les autres.

La fugue

Un jour, nous constatons la disparition d’Ismaël. Il avait réussi à fuguer on ne sait comment du service. Nous recevons alors un coup de fil le lendemain:

  • Allô, bonjour, c’est l’hôpital psychiatrique de Cannes. Vous connaissez Ismaël?
  • Oui, j’ai peur de demander pourquoi. Il est chez vous???
  • Effectivement. Après avoir voulu monter les marches en compagnie des stars, il a été empêché par la sécurité, conduit au poste de police, puis dans notre service une fois qu’il a expliqué avoir fugué du votre.

Cette hospitalisation coïncidait en partie avec les dates du festival de Cannes. Ayant déjà eu l’occasion d’y aller, il avait décidé d’y retourner pour être à une place à la hauteur de son talent.

  • Vous le récupérez quand?
  • Ben attendez, il faut que je voie avec ma cadre, que cela tombe à un moment où il y a un nombre de soignants suffisant.
  • Si ça peut être le plus rapidement possible, ça nous arrangerait. En ce moment c’est vraiment la galère. Comme chaque année on a 30% des hospitalisations pendant le festival qui correspondent à des hors secteur. Et on peut plus hospitaliser nos propres patients après.

Comme expliqué plus haut, le secteur est l’endroit d’hospitalisation en lien avec le lieu d’habitation. Si un patient ne peut être hospitalisé sur son secteur, celui-ci peut parfois négocier avec les autres un hébergement temporaire le temps qu’une place se libère.

Certains secteurs qui ont très peu de lits comparativement à la population qui en dépend et certains patients peuvent parfois rester toute la durée de l’hospitalisation chez un hôte accueillant avec ce statut de “hors-secteur”. Quand le patient est hospitalisé sous contrainte, si le patient est récupéré, des soignants de l’hôpital normalement en charge du patient doivent venir dans l’hôpital d’hébergement pour que le voyage soit sécurisé et qu’on évite une fugue.

Vu le contexte, il était indispensable que deux personnes aillent chercher Ismaël à Cannes. L’aide-soignant accompagnant l’infirmière chargé de cette mission dira:

  • C’est déjà pas mal, mais il aurait dû fuguer en Martinique, j’aurais pu passer dire bonjour à la famille!

La paranoïa nuit gravement à la santé d’autrui

paranoïa

Norbert était là depuis déjà quelques années quand je suis arrivée dans ce service de psychiatrie fermé pour ma première année de psychiatrie. C’était un petit monsieur de soixante-huit ans, le dos voûté, les cheveux gris blancs. L’air triste, il errait entre sa chambre et les parties communes, comme une âme en peine, sans parvenir à s’arrêter pour discuter avec d’autres patients ou avec les soignants. Norbert semblait expier ses péchés qu’il continuait à raconter avec les mêmes détails que ceux rapportés la première fois qu’il fut confronté à ce qui fit basculer sa vie.

La vie d’avant

Norbert avait été marié et eu deux enfants avec sa femme. N’étant pas le boute-en-train que celle-ci aurait désiré, au bout d’un certain temps, elle décida de plier bagage avec les enfants quand ils ont eu six et dix ans.

D’une personnalité plutôt rigide et méfiante, il ne comprit pas trop mais finit par accepter. Norbert ne voyait ses enfants qu’un week-end sur deux et la moitié des vacances mais cela lui suffisait. Et il faut le dire, cela l’avait même arrangé. L’éducation des marmots n’avait pas été son truc.

Resté célibataire pendant des années, Norbert avait réussi à se faire mettre le grappin dessus par une femme plus jeune que lui de dix ans. Isabelle était veuve depuis deux ans au décès de son mari d’un cancer fulgurant du pancréas. Chacun vivait chez soi mais ils se retrouvaient régulièrement l’un chez l’autre pour passer un moment ensemble, partager un repas et se regarder un film à la télévision.

Peu à peu, Isabelle avait pris une place importante dans sa vie et le rythme qu’il avait acquis ronronnait dans une habitude rassurante, ne laissant pas la place à l’imprévu, tout se répétant à l’identique d’une semaine sur l’autre. Leurs vies étaient réglées comme un métronome qui ne pouvait plus tellement tolérer le contretemps. Cela dura quelques années d’un bonheur qu’il jugeait parfait.

Le basculement

C’est dans ce contexte que la mère âgée de sa compagne tomba malade. Comme elle vivait à 200 km, Isabelle dût aller sur place et s’absenter pour s’occuper d’elle. Il se retrouva alors seul quelques semaines.

Dans leurs habitudes, c’est Isabelle qui faisait les courses pour Norbert. Elle avait fait une réserve avant de partir car elle ne savait pas trop pour combien de temps elle partait.

Norbert était depuis un certain temps assez fragile et avait une certaine tendance à voir des signes là où tout le monde n’en voyait pas, à comprendre des évidences qui ne l’étaient que pour lui et à avoir des certitudes en interprétant des situations.

L’entretien de la psy

Je reprends là le dialogue que nous avons eu la première fois que je l’ai vu en entretien pour reprendre son histoire:

  • La dernière fois que je suis sorti en dehors de mon appartement, j’ai tout de suite compris que quelque chose se tramait. Quand je suis arrivé à l’angle de la rue de l’épicerie, je l’ai vu. Quand je l’ai regardé, il a automatiquement tourné la tête. C’était certain. Il avait compris que je savais.
  • De quoi parlez-vous Norbert? Que vous saviez quoi?
  • Et bien il avait compris que je voyais où il voulait en venir, pour le complot. Ils voulaient me piéger, je les ai bien vus venir de toute façon.  Ils m’ont pris pour un bleu mais je ne suis pas né de la dernière pluie. Ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire la grimace.
  • Qu’aviez-vous vu précisément?
  • Ce n’était pas la première fois. Déjà à deux pâtés de maisons, quand je suis passé devant la cabine téléphonique et que l’homme qui y était s’est arrêté de parler, il aurait fallu être un nouveau-né pour ne pas comprendre qu’il parlait de moi. Alors quand l’autre a tourné la tête, j’ai saisi qu’il voulait cacher son téléphone. Ils me surveillaient, y a pas à tortiller du cul pour chier droit.

Conviction délirante

  • Dans ce que vous me dites, je ne vois pas les éléments de certitude qui vous semblent si évidents. En tous cas vous vous animez aux souvenirs de cette période…!
  • Je m’en souviens comme si c’était hier. Je les revois précisément, leurs visages, leurs sourires narquois qui me narguaient et me faisaient bien saisir que j’étais déjà fait comme un rat, que le piège allait se refermer contre moi.
  • Qu’est-ce qui s’est passé ensuite Norbert?
  • Sachant l’ampleur du complot, je me suis dit que le plus sûr était de rester à la maison. Je me suis ensuite calfeutré dans mon appartement. J’ai coupé toutes les lignes. Ils me les avaient mises sur écoute évidemment. Et j’ai attendu.
  • C’est tout?
  • Je savais qu’ils allaient tenter quelque chose. Alors quand elle  est rentrée j’ai été triste mais encore une fois j’ai compris. Ils avaient réussi à l’embrigader et elle venait pour m’éliminer, croyant que je ne me méfierais pas. Alors là je suis devenu fou de colère et de tristesse mêlées. Je n’ai pas hésité très longtemps.

L’irréparable

  • Qu’avez vous-fait?
  • J’ai pris le couteau à découper et je l’ai frappée. Je ne voulais pas qu’elle risque de me faire du mal. Je suis si fragile.  
  • Vous l’avez assénée de 17 coups de couteau, c’est beaucoup non?
  • Elle bougeait encore, elle m’avait trahi, alors que je l’aimais. On était si heureux. Pourquoi a-t-il fallu que sa mère soit malade. Encore un prétexte ça. Elle avait déjà été contactée avant.
  • Vous n’avez pas été en prison pour votre crime. Pourquoi croyez-vous avoir bénéficié de cette grâce?
  • Ils savent que je ne suis pas responsable. Tout cela est de la faute de leur organisation. Ils m’ont piégé. Et maintenant ce n’est pas mieux. Je suis la depuis six ans maintenant. Régulièrement je suis reconvoqué par le juge mais il me laisse ici. Avec les fous. Mais je sais ce que j’ai vu et vécu.

Norbert a ainsi commis l’irréparable dans un contexte de délire paranoïaque. Six ans après, le délire est aussi important malgré les traitements qui n’ont pas l’air d’avoir d’effet sur lui. Il reste aussi convaincu qu’au premier jour. Alors il ne sort pas.

Je suis passée quelques années après. Il n’était plus là. Un arrêt cardiaque lui avait permis de sortir du service.

Les pieds devant…

Cannabis, Facebook et cinéma

Cannabis Facebook et cinéma

La première fois que je l’ai vu, il était mal voire pas rasé, sentait le tabac froid avec une telle intensité que mon bureau s’emplit de ces effluves en moins de deux minutes. Vingt-deux ans, le dos voûté, ses petits yeux interrogatifs croisant parfois mon regard, Jérôme avait décidé de faire une thérapie pour faire le point sur sa “vie de raté”. Pour parvenir à se comprendre et changer la donne.

Il avait débuté des études d’informatique mais était recalé cette année du fait de ne pas avoir rendu un mémoire. Jérôme passait donc le plus clair de son temps chez lui à fumer des joints et être dans son petit monde. Il avait des amis qu’il avait par moments du mal à fréquenter. Sa sociabilisation sous cannabis n’étant pas la meilleure. Certains d’entre eux faisaient partie du monde artistique.

Cinéma

Ainsi, a-t-il pu avoir la chance de participer au tournage du dernier film d’un grand réalisateur. En tant que figurant, certes, mais notre apprenti acteur avait pu voir un peu les dessous de cet univers. Le réalisateur offrait des consommations gratuites dans des vrais bars pour rendre plus vraie l’ambiance. Jérôme ne se fit pas prier et devint un peu entreprenant avec l’une des filles avec qui il avait eu la chance de partager ce moment convivial. Après quelques verres de trop, il ne se fit plus servir et fut congédié le lendemain.

  • Je me suis pas fait virer, hein! Mais bon, j’ai senti assez rapidement que l’assistante réalisatrice m’avait dans le nez. Ma gueule lui a pas plu, alors y a des chances que j’apparaisse pas au montage…

Cela l’avait pas mal secoué et Jérôme avait décidé quelques temps d’arrêter de fumer des joints. Enfin, jusqu’à la prochaine occasion d’en racheter… Soit moins de dix jours après!

Le délire

La dernière consultation où j’ai vu Jérôme, il m’a confié avoir traversé une période sacrément difficile depuis la consultation précédente. Il était convaincu qu’il était dans un film en cours de tournage, dont il était la caméra, le point de vue.

  • J’avais la sensation d’être dans la matrice et de chercher le lapin blanc. Que j’allais être contacté par Morpheus. C’était pas angoissant du tout. Je sentais qu’il était bienveillant. Tout prenait sens, avait une logique. Tout pouvait s’expliquer.

Il avait une diction rapide et s’animait par moments en évoquant son vécu expérientiel. Je commençais à me familiariser avec l’haleine de tabac froid et de cette odeur âcre que ses vêtements exhalaient aussi.

Facebook et l’amour

  • Le point de départ de tout ça, c’est quand même cette fille, Maud. J’ai fait connaissance avec elle dans un bar et on s’est échangés nos Facebook. J’ai commencé à discuter avec elle sur ce réseau social où je me suis inscrit justement pour ça. J’suis pas trop réseaux sociaux, mais pour draguer, si t’as pas un Facebook, c’est comme pour l’histoire de la Rolex à cinquante ans. Après j’ai dû être trop insistant, alors elle m’a bloqué. La loose…!

Cela avait été alors pour lui une grosse source de souffrance et de frustration et il avait commencé à décrypter tous les signes potentiels qu’il pouvait tout autour de lui.

  • Sur Facebook j’ai bien compris que tout faisait référence à Maud, que tout ce que les gens pouvaient dire aboutissait à elle, qu’elle était mon programme, mon aboutissement, la fin de mon film.

Il semblait obnubilé par cette fille qui ne montrait pas le moindre intérêt pour lui.

  • Dehors, c’était pareil, je sentais que Maud avait semé des indices partout pour que je puisse la retrouver, comprendre des choses sur elle. Bref, que je puisse être plus proche.

Les parents et le médecin traitant

En jeune adulte fraîchement et partiellement émancipé, il revenait régulièrement chez ses parents le week-end. Lessive, quelques tupperwares pour la semaine faisaient partie des agréments de ne pas complètement couper le cordon.

  • J’ai été chez mes parents pendant quelques jours et ils m’ont trouvé bizarre. Je leur ai raconté ce que je vivais, ce que je ressentais en ce moment. Ma mère a été voir son médecin généraliste et il m’a dit que je faisais une bouffée délirante aiguë ou épisode psychotique bref.

Et là, je me disais, alléluia! Magnifique travail du médecin traitant qui le connaît depuis qu’il babille. Mon travail sera plus simple.

  • Je me suis bien fait enguirlander, mais la vérité j’ai vraiment eu la sensations qu’ils étaient tous inquiets pour moi. C’est vrai que là, depuis que j’ai à nouveau arrêté les joints, je critique un peu cette période. Maintenant je m’en fiche de finir le film. Adviendra ce qui adviendra.

Critique partielle de son délire. Le mi-figue mi-raisin de la réassurance de la psychiatre.

Le cannabis

  • Et donc vous avez arrêté complètement les joints?
  • Enfin presque, j’en fume plus que deux trois par jour, rien à voir avec ce que je fume d’habitude!

C’était couru d’avance. Malgré le désir d’y croire. Là, je me dis que je ne suis pas plus avancée. Car la grosse question dans ce genre de cas de figure, c’est de savoir s’il débute une schizophrénie où si c’est “seulement” les joints qui le font délirer gentiment. Vu la motivation à arrêter de fumer,  ce sera difficile de faire sans un petit séjour dans un établissement public de santé. Après contact, ses parents étant à plus d’une heure de là où vit Jérôme, ils préfèrent qu’il soit hospitalisé près de chez eux. Avec l’aide du médecin traitant.

On croise les doigts. J’espère que les symptômes vont régresser à l’arrêt complet du cannabis…

Vincent et la Nuit au Musée

la Nuit au Musée

Travailler dans un lieu classé n’est pas toujours facile. Et être le concierge de ce type de lieu a quelques avantages et bien évidemment des inconvénients. Vincent avait cette chance d’avoir un logement de fonction dans un petit mais beau musée bien placé dans la ville. Il aimait son travail mais il en ressentait de plus en plus les pressions. Vincent avait pas mal de difficultés à passer outre et être zen. D’un naturel anxieux, il avait commencé un suivi à la consultation de l’hôpital pour des éléments de phobie des chats remontant assez loin dans son histoire de vie.

C’était plus un prétexte pour commencer à se faire aider sur un sujet précis, mais très vite les consultations tournèrent plutôt autour du travail. Il ressentait la pression de ses supérieurs hiérarchiques qui lui en demandaient toujours plus. Ils révisaient sa fiche de poste régulièrement “pour le faire devenir fou”. Concierge sur le musée la journée avec d’autres collègues, il restait la seule personne sur place la nuit. A y dormir et devoir rester vigilant au cas où il se passerait quelque chose. Conscient du risque potentiel, il faisait sa petite ronde tous les soirs mais se couchait globalement sur ses deux oreilles. Mais ça, bien sûr, c’était avant le drame…

LA nuit qui fit tout basculer

Il fallait que cela arrive, alors c’est arrivé. Un soir, des visiteurs probablement impatients de connaître la nouvelle exposition avant l’heure, se sont dit que les visites nocturnes du musée pourraient être une bonne idée. Et ils ne se sont pas privés. Entrant dans les locaux en faisant suffisamment de bruit, ils réveillèrent en sursaut Vincent. Celui-ci prit son courage à deux mains pour appeler la police.

Connaissant les recoins du musée, il tenta d’abord de voir qui cela pouvait être puis se ravisa en réfléchissant aux conséquences potentielles si ses fervents visiteurs nocturnes, probablement passionnés d‘histoire, se retrouvaient être armés. La crainte d’une balle perdue, qu’il ne gagnerait pas à connaître, le mit mal à l’aise et distilla le courage qu’il avait. Alors il abandonna, dans l’attente de la cavalerie.

Les sirènes retentirent une vingtaine de minutes après, lui donnant l’impression de nombreuses heures, qu’il passa sur le qui-vive, calfeutré dans son appartement de fonction, se demandant si ses hôtes intempestifs iraient lui demander un café avant de partir malgré l’heure tardive.

Avec le barouf des gardiens de la paix, il était peu probable que les voleurs restent. Après leur avoir ouvert et parcouru le musée en la présence rassurante des forces de l’ordre, nulle personne dans les murs et Vincent constata que rien n’avait été volé.

L’insomnie, reine de la nuit

Qu’étaient-ils venus faire? Quel avait été leur projet? Y sont-ils parvenus et sinon pourquoi? Avait-il rêvé ou halluciné? Autant de questions qui tournaient dans la tête de Vincent qui commençait à ne plus pouvoir trouver le sommeil dans son antre historique.

Quand venait la nuit, le monde devenait peuplé de rôdeurs qui l’empêchaient de fermer l’oeil. Dormir était devenu l’assurance de la réitération de cette intrusion, qu’il considérait quasiment comme un viol.

Rapidement, ses troubles du sommeil s’aggravèrent et la situation se compliqua d’une dépression. Il fallut introduire un traitement antidépresseur et il aurait fallu faire un arrêt de travail. Mais comment arrêter quelqu’un dont le lieu de travail est aussi le lieu d’habitation, responsables tous deux de la symptomatologie? Vincent se trouvait confiné dans son logement de fonction et à chaque sortie, il croisait des collègues lui rappelant son métier, et à chaque fois que la nuit tombait, il savait que les conditions de la montée d’angoisse restaient réunies, car les budgets de l’état ne permettaient pas d’engager quelqu’un pour faire le vigile dans le musée.

Après quelques temps, il fallut se rendre à l’évidence que cela n’arrangeait pas les choses et il retourna au travail. Les antidépresseurs lui permirent de remonter un peu la pente, mais la crainte restait.

Et la crise dans tout ça

Pour compléter, l’Etat étant dans la recherche des dépenses inutiles, il recevait des pressions pour passer des concours qui lui permettraient de passer de catégorie C à catégorie B, en lui disant qu’ils pouvaient presque lui donner du fait de son ancienneté.

  • Mais je l’sais bien moi pourquoi ils font ça. Ils me prennent pour un crétin mais j’suis au courant que j’y aurai plus droit à mon logement de fonction si j’passe en catégorie B. Ils m’augmenteront de deux cent euros sur ma paie, mais qui va devoir se trouver un appart? C’est bibi. Et c’est pas avec deux cent euros que je vais me loger dans le centre-ville…

Alors, il hésitait. D’un côté, perdre son logement de fonction revenait à perdre une qualité de vie non négligeable. De l’autre côté, cela l’aiderait probablement à gérer ses problèmes de sommeil liés au contexte.

Quand j’ai quitté l’hôpital, il n’avait toujours pas tranché…

“Sœur de “

poésie et alcoolisme

Dans l’une des cliniques où j’ai eu l’occasion de faire des remplacements, j’ai suivi un temps une “sœur de”.

On a l’habitude de parler des “fils de”, mais on oublie souvent les “frères de” et les “sœurs de”. La lumière qui auréole certains peut avoir un revers de la médaille  non négligeable pour les autres.

Hélène était la sœur d’une star de la chanson, adulée par un public multigénérationnel car elle avait globalement su s’entourer des bonnes personnes aux bons moments.

La poésie

Oui, mais Hélène n’avait pas eu cette chance ou ce talent. C’était une littéraire, une érudite, citant mille poètes dont Baudelaire, Rimbaud ou Verlaine pendant les consultations (les seuls noms que j’ai retenus, dans mon illettrisme). Elle avait écrit plusieurs recueils de poésie elle-même, mais s’était trompée de siècle.

On ne se nourrit plus avec de la poésie seule, et les artistes des siècles passés, encensés à notre époque, ne vivaient déjà pas souvent de leur art. Elle m’avait prêtée l’un d’eux et malgré mon peu de sensibilité pour cet art, je trouvais son style agréable (bien que préférant celui de sa sœur!)

La poésie sans la musique n’est plus au goût du jour et pour retenir un texte, il est plus aisé d’y associer une mélodie.

L’alcool

Les fins de mois étaient donc difficiles. Les débuts de mois aussi. Alors elle tapait chez sa sœur pour vivre. Et cela lui donnait une certaine amertume. Goût qu’elle retrouvait dans la bière, qu’elle buvait par litres quotidiennement, pour oublier  le fossé qui la séparait de sa sœur en terme de réussite sociale, professionnelle et financière. Elle n’avait pas d’amis, ne travaillait pas et ne gagnait rien. Elle enchaînait juste les hospitalisations de dix à quinze jours pour sevrage entre deux noyades alcooliques où elle diluait son existence éthérée.

Quinze jours de conscience. Un mois et demi de brume. Dix jours de conscience. Un mois de brume. Le cycle se répétait depuis des années sans qu’une solution pérenne n’émerge.

Les traitements

Elle avait tenté les traitements antabuses (Disulfiram, qui ne peut être pris en même temps que l’on boit de l’alcool sous peine d’être très malade) et avait vomit ses tripes car n’était pas en mesure d’intégrer le “zéro alcool”.

Elle essayait au moment où je la voyais le Baclofène, un médicament à l’origine destiné à traiter les problèmes de spasticité dans les pathologies neurologiques en favorisant une relaxation musculaire.

Le Dernier Verre

C’est en transposant des études sur des rats sur lui-même qu’Olivier Ameisen, un cardiologue souffrant d’une sévère addiction à l’alcool a essayé cette molécule à forte doses là où elle n’est dispensée qu’en petites quantités pour son effet anti spasmes. Il s’est fait ensuite un devoir de faire reconnaître ces propriétés anticraving (qui empêchent ou diminuent l’envie de consommer) au grand public en écrivant “le dernier verre”, publié en 2008 avec un certain succès. Cela occasionna de longs débats, des études qui débutaient au moment où je voyais Hélène et récemment une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) en mars 2014.

Les problèmes de santé physique commençaient. Son foie et son pancréas n’aimaient pas, son cerveau devenait moins performant. L’association avec son tabagisme laissait penser qu’un cancer des voies aériennes supérieures pourrait prochainement s’installer. Devant ce parcours chaotique, elle attendait donc beaucoup du baclofène qui était mis sur un piédestal dans “le dernier verre”.

Elle disait:

  • C’est ma dernière chance, je le sais.

Je ne l’ai vue que pendant ce remplacement. Qui sait ce qu’elle est devenue…

L’indépendante Ginette et l’attente

Ginette

 

Ginette est une jeune femme de 88 ans que j’ai rencontrée pour la première fois en hospitalisation lorsque je faisais un remplacement dans une clinique psychiatrique orientée sur la prise en charge des sujets âgés. Elle venait parce qu’elle faisait des malaises à répétition, avec une sensation de somnolence après les repas qui la tétanisait.

Ancienne infirmière libérale, elle avait toujours été une femme indépendante. Ginette ne s’était jamais encombrée d’un homme à la maison et n’avait pas eu d’enfants. Elle avait beaucoup travaillé tout en ayant un bon réseau social. De fait, cette vieille fille n’avait jamais souffert de ce célibat choisi, ayant allègrement pu profiter des choses de la vie. Elle avait eu quelques romances, mais cela avait toujours été chacun chez soi, ne supportant l’idée de se faire envahir par un autre qui aurait eu des habitudes différentes des siennes.

Une fois la retraite arrivée, Ginette avait conservé un tonus qui l’avait incitée à rester très active. Dynamique, elle était toujours de sortie et gambadait avec son chien d’un pas allègre, voyant ses amis, se baladant et allant à des sorties culturelles, au gré des saisons et des voyages des uns et des autres.

Très investie dans le milieu associatif pour compenser le manque que l’arrêt du travail avait créé, Ginette ne leva un peu le pied que quand elle commença à avoir quelques douleurs des membres inférieurs qui limitèrent assez rapidement son périmètre de marche. Cela, six mois avant l’hospitalisation. Le diagnostic d’une neuropathie périphérique signa chez elle l’avènement d’une nouvelle ère, celle de la rapide descente aux enfers.

Peu de temps après, Ginette eut ses “malaises” pour lesquels elle avait quelques semaines avant été hospitalisée en cardiologie, avec étiquetage de ses sensations comme des crises d’angoisse ou attaques de panique après avoir éliminé les hypothèses cardiologiques. Elle avait donc été redirigée vers nous pour la prise en charge psychiatrique. C’est là que je la vis la première fois.

Frêle, ses cheveux blancs frisaient encore sur un carré élégant. Sa peau dont les rides dessinaient des paysages aux allures de Grand Canyon semblait faite de carton mâché. Au dessus de sa lèvre supérieure, tel un grain de poivre dont les racines tombaient, un “grain de beauté” semblait posé là. Ginette avançait avec sa canne et sa démarche était hésitante, ralentie. Elle parlait vite, anxieuse de ce nouveau lieu dont elle ne savait pas quelle aide il pourrait lui apporter.

Ginette m’exposa ses difficultés, s’excusant de ne pas paraître aussi assurée qu’elle aurait désiré, ne se sentant pas claire. Cette vieille dame voulait redevenir comme avant, gambader, retrouver son chien sur les chemins et continuer à marcher, ce qui la tenait en vie jusque là.

  • Ce n’est pas possible Docteure, je ne peux pas rester dans cet état. J’ai le coeur qui s’accélère, comme s’il allait lâcher, après les repas, peu après ressentir une grande sensation de somnolence.

Malgré le caractère atypique, cela m’avait tout l’air d’un trouble panique. Au vu de l’angoisse qu’elle se faisait en anticipant avec inquiétude que cela recommence. J’introduisis donc un antidépresseur. Au bout de quelques semaines, Ginette n’avait plus de crises d’angoisse. Par chance, les “malaises” cédèrent à l’arrêt des anxiolytiques qu’elle avait eu auparavant pour soulager son anxiété.

Ginette pu donc sortir de la clinique et rentrer chez elle. Je continuais à la suivre en consultation.

Ne restait plus que la neuropathie périphérique. Le neurologue ne prévoyait pas que cela s’améliore, mais pensait que cela n’allait pas s’empirer non plus. Elle était suffisante cependant pour changer la vie de Ginette, qui ne pouvait marcher plus de cinquante mètres sans aide. Elle, la randonneuse. Qui maintenant devait attendre d’être aidée pour faire sa toilette et s’habiller le matin, sortir en dehors de chez elle.

Et de pester du matin au soir sur le retard de l’aide ménagère, de l’infirmière, le fait que cela ne soit pas tout le temps les mêmes.

Ginette me confia  qu’elle avait désormais hâte que la journée se termine.

  • Le soir ça va mieux, car je n’ai plus rien à attendre…

Un jour ma princesse viendra

 

un jour ma princesse viendra

Martin est venu me voir pour travailler un peu sur ses névroses.

Il n’est pas heureux et il aimerait que cela change. Prof d’histoire-géographie en collèges et lycées, il se définit comme un raté. C’est un homme mais dans le couple, c’est lui qui finit le plus tôt et s’occupe de son fils unique.

Son épouse, Nathalie, qu’il avait rencontré à la fac, avait continué ses études. Elle faisait de la recherche, ayant des responsabilités d’un laboratoire. Par contre, une fois à la maison, elle s’avachissait sur le canapé pour regarder la télévision en se vidant la tête.

Martin, pendant ce temps, travaillait ses cours qu’il n’avait pas eu le temps de préparer du fait de s’être occupé de son fils et d’avoir préparé le repas. Cela le calmait et l’empêchait d’avoir ses ruminations. Il aurait aimé aller plus loin. Passer sa thèse, son habilitation à diriger des recherches, être professeur avec un grand « P ». Bref, avoir la justification de pouvoir rentrer tard et de toujours travailler, même à la maison.

Ce qui caractérisait le plus Martin, c’était la frustration.

Les difficultés avaient commencé à la naissance de son fils. Il avait désiré partir de la maison à ce moment, par peur, se sentant trop âgé.

  • Vous imaginez docteure, quand il aura vingt ans, je serai vieux!

Ensuite, il eut la sensation de de devoir s’occuper de son fils de la sortie de l’école au coucher avec une frustration l’amenant régulièrement jusqu’à la colère. Qui éclatait quand sa femme rentrait.

  • Maintenant, ça se passe mieux avec Brigitte, j’essaie de lui en dire le moins possible sur mes ruminations, mais elle sait. Je suis un idéaliste, un passionné. J’ai été un amoureux transi pendant toute mon adolescence, recherchant un idéal que je n’ai jamais assouvi.

Il s’était durant des années investi dans des compétitions sportives, repoussant les limites que son corps lui rappelait de temps à autre. Courant des dizaines de kilomètres, pédalant sur des centaines…

Il était conscient dès le départ que lorsqu’il avait rencontré sa femme, elle ne correspondait pas à son idéal fantasmé des années durant. Il était tombé amoureux sans comprendre cela.

Plusieurs événements l’avait ébranlé et il se sentait aussi fragile que le plant de tomate qui guette l’eau et le soleil qui lui permettront de continuer à pousser et donner.

Ainsi, il avait eu une petite fille, qu’il n’avait jamais pu voir grandir. Elle avait eu le diagnostic anténatal de trisomie 21 et ils avaient choisi avec Brigitte de faire une interruption thérapeutique de grossesse.

  • j’ai assisté à un accouchement qui n’en était pas un. Vous n’imaginez pas à quel point cela peut être terrifiant. Je n’ai pas été prévenu. Ils ne m’ont rien dit. Je ne m’attendais pas à ça. Si j’avais su, je n’aurai pas accepté d’être là. Ca m’a bouleversé et quand j’y repense j’en ai encore la chair de poule.

Après cela, il en avait voulu énormément à Brigitte  car lorsque son père malade devint mourant, il ne put arriver à temps à hôpital du fait du retard de Brigitte.

  • je n’ai jamais pu lui dire ce que j’avais sur le coeur. Cette fois-ci je sentais que j’aurais eu le courage. Il ne saura jamais la colère que j’avais contre lui de sa tyrannie. Cette envie de révolte qu’il avait fait naître en moi et que je n’ai jamais pu sortir.

D’autant que son père avait toujours préféré sa soeur et ne s’en était jamais caché.

  • Le dernier élément,  la goutte qui a fait déborder le vase, c’est quand un collègue est tombé amoureux d’une autre femme que la sienne et qu’il me l’a dit.

Cela l’avait ébranlé. Et remis en question son système de pensées, activant en lui le doute. Et si sa femme n’était pas celle qui lui était destinée? Il ruminait donc à longueur de journée autour des questions de l’amour, sur ce à quoi cela correspond.

  • Je suis quasi certain de ne plus l’aimer. Je veux vivre intensément quelque chose, une vraie histoire d’amour, une passion.

En fait,  il disait qu’il aimerait partir, à l’inconnu.

  • Du coup je suis sûr qu’une autre femme va me choisir, et je l’attends…

La Psychiatrie en France: le secteur, les CHU et le libéral

psychiatrie

Dans ce blog, il convient d’évoquer le fonctionnement de la psychiatrie en France. Il existe plusieurs systèmes qui cohabitent et sont complémentaires. J’aborderai-là une vision concise. J’aurai forcément oublié des rouages, des intervenants

Alors n’hésitez-pas à réagir!

Le secteur

Tout d’abord, il y a ce que l’on appelle “le secteur”. Ce terme regroupe pas mal de choses dans une organisation de la psychiatrie publique de premier recours. Chaque personne qui nécessite une prise en charge psychiatrique peut y recourir, les structures de soins dépendant de l’endroit où il habite. Ainsi, on y retrouve des centres hospitaliers spécialisés (CHS) pour ne plus dire hôpitaux psychiatriques ou asiles. Ils avaient été initialement construits à l’extérieur de la cité  pour ne pas importuner les bonnes gens, nécessitant parfois de faire de nombreux kilomètres pour pouvoir y accéder. La tendance actuelle va au rapprochement du lieu d’habitation. Ces CHS aussi appelés “l’intra” pour intrahospitalier permettent l’hospitalisation temps plein, parfois de nuit ou de jour, dans des unités ouvertes ou fermées en fonction des besoins inhérents à la pathologie pour laquelle les soins sont nécessaires.

Beaucoup  de soignants peuvent être impliqués dans les prise en charge: des psychiatres, des psychologues, des infirmier(e)s, des aide-soignant(e)s, des assistant(e)s sociales(aux), des secrétaires médicales, des ergothérapeutes, des kinésithérapeutes, des musicothérapeutes.

Toujours dans le secteur, il existe les structures extra hospitalières (l’extra), dont les premiers maillons sont les centres médico-psychologiques, où peuvent être présents les mêmes intervenants. Il y a aussi les centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), où les patients peuvent bénéficier d’activités structurées sur quelques heures; les Hôpitaux de jour (HDJ),  qui permettent  d’avoir des demi-journées ou des journées d’hospitalisation en dehors des murs de l’hôpital (parfois dedans tout de même…); et les Établissements de Soins et d’Aide par le Travail (ESAT, anciennement CAT), qui permettent aux patients de travailler dans un environnement protégé qui prend en considération que les rythmes de travail ne peuvent être aussi soutenus que dans l’univers productiviste du travail dit “normal”.

CHG et CHU

Ensuite, on retrouve les Centres Hospitaliers Généraux (CHG) et les Centres Hospitaliers Universitaires (CHU), qui comportent des services de psychiatrie non sectorisés (ils peuvent aussi l’être selon les hôpitaux), souvent des services d’urgence ou parfois seulement des psychiatres de liaison (psychiatres qui interviennent à la demande de leurs collègues non psychiatres dans des service non psychiatriques). Ils peuvent être des services de psychiatrie générale, ou être spécialisés dans certaines prises en charge uniquement, comme la dépression résistante, la schizophrénie résistante, les troubles obsessionnels compulsifs, les troubles bipolaires, les pathologies liées au suicide, les troubles du comportement alimentaires, les troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, les troubles du spectre autistique, etc. Il existe ainsi une forte tendance comme dans les autres disciplines médicales à la sur-spécialisisation de certains praticiens dans des domaines bien délimités. On aura ainsi des schizophrénologues, des bipolarologues, des autistologues ou encore des TOCologues. Qui verront tout par le spectre de leur sur-spécialité.

L’activité est aussi souvent alimentée par les services d’urgences locaux qui sont un peu ce que les tours de contrôle sont à l’aviation. Le rôle du psychiatre des urgences est ainsi de déterminer le plus rapidement possible l’orientation de son patient après avoir évalué la situation. Quel est le degré d’urgence? Consultation unique puis sortie ou hospitalisation? Quel lieu d’hospitalisation? Quel mode d’hospitalisation (libre ou sans consentement)? Faut-il un traitement rapide sur place? A-t-on besoin d’un traitement par la bouche si le patient accepte ou en intra-musculaire s’il le refuse? Faut-il le mettre en chambre d’isolement? Autant de questions qui permettent des prises de décision dans l’intérêt du patient. Même si par moment, c’est dur et qu’il n’est pas forcément volontaire dans les soins.

Les cliniques

Après cela, on retrouve les établissements privés ou cliniques qui nécessitent en général que les patients aient des mutuelles pour être pris en charge. Il en existe un nombre variable, plus ou moins spécialisées. Comparativement aux hôpitaux, les forfaits hospitaliers sont moins chers (la sécurité sociale débourse moins) mais il y a souvent rattrapage sur l’aspect hôtelier (chambres seuls payantes, repas plus chers, plus ou moins d’autres services). Contrairement à l’hôpital, il s’agit d’établissements à but lucratif à l’origine. Cependant, depuis quelques années, avec la loi HPST (Hôpital Patient Santé Territoire) puis la loi de Santé Touraine,  l’hôpital devient aussi une entreprise avec des objectifs de rentabilité. En règle générale, les cliniques psychiatriques, aussi parfois appelées Maisons de Santé n’accueillent pas de patients en soins sous contrainte. Certaines ont tout de même cette rare caractéristique. Les psychiatres qui y travaillent peuvent être libéraux ou salariés.

Les psychiatres de ville

Puis, il y a les psychiatres libéraux, dits “psychiatres de ville”, qui ont leur cabinets installés dans la cité. Ils peuvent être conventionnés en secteur 1 (remboursés intégralement), secteur 2 (avec dépassements d’honoraires en plus du tarif remboursé de la sécurité sociale) ou être non conventionnés (tout est à la charge du patient). Ils peuvent ne gérer que l’aspect médicamenteux ou aussi faire des psychothérapies, voire ne faire que des psychothérapies.

Les médecins généralistes

Enfin, ce serait inadéquat d’oublier ceux qui passent un tiers de leur temps à voir nos patients en première ligne et prescrivent quatre-vingt-dix pour cent des psychotropes consommés en France. Les médecins généralistes ont ce rôle majeur de dépistage et d’orientation de la majorité des personnes en souffrance. Sans eux, le système de soins psychiatriques serait beaucoup plus complexes à gérer. Ils ont aussi l’avantage d’être en amont du filtre de la stigmatisation, les personnes étant encore trop dans des considérations telles que « les psys c’est pour les fous »…

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