Anthony: Pilote de ligne et alcoolique

pilote de ligne et alcoolique

 

Il y a des professions pour lesquelles certains maux ne rassurent pas.

J’ai rencontré Anthony lorsque je faisais un remplacement dans une clinique où l’on avait l’habitude de soigner les personnes qui pouvaient être atteintes d’addiction à l’alcool. Que certains nomment “alcooliques” ou “alcoolo” mais dont le jargon psychiatrique, plus classieux, évoque une “dépendance à l’alcool” ou désormais avec la nouvelle classification DSM 5 “ trouble lié à l’utilisation de l’alcool”.

Le résultat en est le même: les gens boivent de l’alcool, de plus en plus et malgré l’évidence des conséquences désastreuses que cela peut avoir dans leur vie, ils ne peuvent s’empêcher de continuer.

Anthony buvait donc de manière déraisonnée en dehors de ses horaires de travail et uniquement en dehors, m’avait-il assuré. Et il valait mieux que cela ne soit pas pendant car je ne sais pas combien le permis à point des pilotes en contient. Ni le nombre de ceux qui sont enlevés en cas de ballon qui vire au vert et le prix de l’amende mais il y a peu de chances que cela passe.

Oui, Anthony est pilote de ligne et alcoolique. Courts ou moyens courriers. Quatre-vingt à cent heures de vol par mois, ce qui lui laisse quelques jours de repos pendant lesquels il ne vole pas et peut encaisser les litres de champagne qu’il s’envoie.

Au début, c’était festif, avec les copains. En soirée. Puis c’est devenu sur de plus longues périodes de la journée, plusieurs fois par semaine. Ce n’était pas un problème car les jours de vols, il savait s’arrêter de boire et être sobre pour amener les clients à bon port.

Personne ne s’en était rendu compte jusque-là mais cela devient de plus en plus difficile au quotidien pour Anthony. Les jours sans champagne sont de moins en moins agréables à vivre et là, il a réalisé que c’était un problème et qu’il valait mieux le résoudre vite.

Alors il a pris des vacances auprès de sa compagnie pour se faire hospitaliser quinze jours et se sevrer de ce produit dont il ne sait se défaire seul. Les murs de la clinique, les soignants, les entretiens psychologiques, psychiatriques, les groupes alcool, les médicaments. Autant d’outils pour l’aider à vaincre son addiction.

La dernière fois que je l’ai vu, il avait l’air motivé pour critiquer le produit mais se méfiait plus de son ennemi intérieur, fragilisant face à cette tentation qui s’engouffrait à la première occasion. Comment remplir le vide de ses journées où il ne volait pas? Comment retrouver une compagne qui irait à la cheville de celle qui l’avait quitté il y a quelques années, et dont il n’avait pas fait le deuil de la rupture?

Autant de questions angoissantes quand il se retrouvait face à lui, qui l’avaient incité à taquiner la bouteille puis à lever franchement le coude. Ne dit-on pas que les soucis se dissolvent avec l’alcool?

Espérons qu’il y soit parvenu et qu’il vole maintenant serein, aidé par un collègue qui lui aura appris à faire ce travail de deuil et à accepter de se retrouver face à lui sans être angoissé au point de devoir éteindre ses émotions avec une bouteille.

Louis ou comment passer de la prison à l’hôpital psychiatrique

de-la-prison-a-l-hopital-psychiatrique

A l’hôpital psychiatrique, on rencontre parfois des personnages qui nous font froid dans le dos. En début de semestre en tant que jeune interne dans une structure accueillant des patients hospitalisés sous contrainte (pour rappel, le fonctionnement de la psychiatrie en France), j’ai eu l’occasion de croiser la route de Louis.

Volumineux bonhomme  de cent-vingt kilos pour un mètre soixante-dix, il pouvait parfois donner l’impression qu’il allait se mettre à rouler. Chacun de ses pas faisait perler une goutte sur sa tempe et il semblait mesurer chaque effort avant de le faire. Ses yeux oscillaient entre des moments de regards taurins et d’autres où une malice perverse nous était jetée à la figure.

J’avais hérité à mon arrivée dans le service des soins de ce charmant monsieur dont on m’avait dit qu’il ne fallait jamais que je le voie seule et que je devais me méfier de lui. Je ne voyais pas pourquoi avant de lire les transmissions de mon prédécesseur à son sujet. Et pourtant, il ne payait pas de mine, et si je m’étais contentée de le juger sur son apparence, j’aurais pu me dire qu’il avait l’air de ne pas avoir inventé la poudre. Et pourtant…

Louis était là depuis dix ans alors qu’il ne présentait pas de symptômes psychiatriques depuis longtemps mais il avait réussi à berner son monde. Il était initialement en prison pour le viol et le meurtre  par décapitation de deux petites filles, avant de les jeter à la rivière. En bon psychopathe pervers. Froidement. Il avait été rattrapé par la justice et envoyé justement en prison, pour 20 ans (seulement). En y repensant, bien des années après, Louis me fait penser au personnage principal de Blast de Manu Larcenet. Avec les blasts, la drogue et le côté romanesque en moins…

Trouvant le temps long et croyant que l’hôpital psychiatrique était la panacée, il a réussi à berner deux experts psychiatres en mimant les symptômes de la schizophrénie, ce qui lui a permis pour bénéficier de soins “adaptés” d’être transféré à l’hôpital psychiatrique. Ne pouvant être brillant sur la durée, il mit la puce à l’oreille aux quelques générations de psychiatres du service où il était hospitalisé et le diagnostic fut corrigé. Même en arrêtant les traitements contre la schizophrénie, les symptômes délirants, les voix ne reprirent pas. Louis restait le personnage glacial, pédophile, dont l’oeil pétillait quand il passait devant la télévision du salon et que s’y trouvait une pauvre et innocente petite fille.

En tant qu’auteur de violences sexuelles, pour éviter qu’il ne récidive et sous injonction de soins, il bénéficiait d’un traitement hormonal de castration chimique. Mais Louis m’avoua un jour que cela ne marchait pas et qu’il bandait toujours autant quand il pensait à des gamines pré-pubères.

Personne ne venait le visiter. Ses parents étaient morts et il avait une sœur qui vivait à plus de mille kilomètres. Louis voulait se faire transférer dans l’hôpital psychiatrique le plus proche de chez elle mais il avait déjà essuyé un refus. Il attendait le résultat de sa procédure d’appel.

Au bout d’un moment, Louis commença à déprimer un peu. Il devenait plus irritable, dormait moins bien et ruminait autour de sa sortie et de son transfert potentiel. Cet homme avait déjà fait dix ans de prison et avec le système de remise de peine pour “bonne conduite”, il aurait probablement pu déjà être libéré. Alors que là, il n’avait aucune perspective de sortie. Les seuls moments où il franchissait le pas du service, passant le sas de sécurité entre les deux lourdes portes, c’était accompagné de deux soignants pour bénéficier de séances d’ergothérapie dans le bâtiment voisin. Louis en profitait sur le trajet pour humer l’air au parfum de liberté, auquel il avait droit une fois par semaine.

Ce pédophile meurtrier avait voulu faire le malin pour échapper à la justice. Il serait peut-être sorti à l’heure qu’il est (enfin bon, je n’espère pas, mais lui en était convaincu). Au vu des dernières confidences qu’il m’avait faites, Louis risque soit de rester indéfiniment à l’hôpital, soit de retourner en prison dans une des unités spécifiques aux auteurs de violences sexuelles. J’espère vraiment que ce prédateur sexuel ne puisse être libéré un jour. Même s’il court moins vite qu’il y a vingt ans.

Pharmacologie pratique ou pourquoi les hospitalisations durent plus longtemps en psychiatrie

pharmacologie

La pharmacologie a pour vocation d’étudier ce que les molécules des médicaments font pour permettre à ceux qui les utilisent de bénéficier de leur action. Je vous présenterai ici une courte version pratique qui a pour vocation à expliquer pourquoi l’influence du mode d’action des médicaments utilisés en psychiatrie conditionnent en partie la durée des hospitalisations.

La Durée Moyenne de Séjour

Les services qui accueillent des patients polytraumatisés qui doivent consolider un grand nombre de fractures avec des durées d’immobilisation parfois impressionnantes, les services de greffe, ceux de rééducation, de soins de suite et réadaptation, certaines situations complexes peuvent avoir des durées moyennes de séjour (DMS), comparables à celles de la psychiatrie.

Cette fameuse DMS offre des données chiffrées adorées de la classe politique et des directions d’hôpital, dans l’optique de toujours vouloir la réduire. Deux jours pour un accouchement normal, cinq jours pour une pneumopathie non compliquée, neuf jours pour une arthropathie de genou, vingt-sept jours pour une dépression, (http://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/191-la-prise-en-charge-de-la-depression-dans-les-etablissements-de-sante.pdf)

Il faut savoir que si la durée d’une hospitalisation est tellement différente de celles de séjours d’autres services  c’est que la plupart des traitements psychiatriques mettent du temps avant d’agir.  

Le DÉLAI D’ACTION

On a l’habitude de dire qu’il y a  un DÉLAI D’ACTION avant que les molécules ne soient efficaces. Il faut le temps aux molécules d’arriver au cerveau et de modifier les récepteurs à la surface des neurones, en changeant l’expression de nos gènes sur les cellules cibles. Autant dire que ce n’est pas la vitesse du texto malgré une vitesse de conduction des neurones de l’ordre de fractions de secondes.

Sachant qu’il s’agit d’un DÉBUT d’action, qui s’amplifie ensuite jusqu’à efficacité optimale. C’est pour cette raison qu’il faut attendre un bon moment avant de savoir si le traitement marche ou pas.

Ce délai est de 4 à 6 semaines pour les traitements antipsychotiques (anciennement neuroleptiques) qui ont pour vocation principale de stopper les délires et les hallucinations. Ces médicaments ont évidemment d’autres rôles, comme gérer des troubles du comportement, diminuer l’angoisse, améliorer le sommeil ou encore beaucoup d’indications moins fréquentes mais néanmoins indispensables.

Les antidépresseurs mettent quant à eux environ 3 semaines avant que les effets thérapeutiques ne pointent le bout de leur nez. On les donne dans les dépressions mais aussi tout ce qu’on appelle les troubles anxieux, les troubles obsessionnels compulsifs et là encore dans d’autres indications connues des médecins.

Les régulateurs de l’humeur ou thymorégulateurs peuvent mettre plusieurs mois avant d’agir pour certains. Ils se donnent dans les maladies bipolaires (ou psychose maniacodépressive ou maladie maniacodépressive) mais aussi lors de certains troubles de la personnalité où l’humeur nécessite d’être régulée.

D’autres molécules comme les anxiolytiques ont des délais d’action très courts, ce qui  aide énormément pour apaiser le temps que les traitement de fond puissent agir, mais qui peut aussi les rendre beaucoup plus attrayants dans un contexte d’addiction.

Les Effets Indésirables

Pendant ce délai ou le temps est long, on peut parfois “se divertir” par l’apparition de certains effets secondaires dont certains sont transitoires tandis que d’autres sont plus durables. Dans certains cas, on sait à l’avance que les effets indésirables de dureront pas. Dans d’autres cas, il nous laissent la surprise et seul le suivi attentif des patients nous permettra de savoir de quoi il en retournera.

Le fait est que si les effets indésirables ne sont pas graves ou gênants ou quand on sait qu’ils sont transitoires, on attend au moins la durée du délai d’action pour savoir si le traitement sera efficace chez la personne à qui on le donne. Si passé ce délai, rien ne se passe, on estime que le médicament n’est pas utile  à cette posologie (dose) et soit on l’arrête si la posologie est déjà optimale, soit on l’augmente si c’est possible. A ce rythme, on comprend mieux pourquoi le temps est l’allié du psychiatre et que celui-ci doit apprendre avec son patient ce qui le fait nommer ainsi: la patience!

Chloé et le TOC d’homosexualité

TOC homosexualité

 

Chloé, vingt-cinq ans,  est venue me voir au cabinet dans un contexte de crainte d’être homosexuelle. Elle se sentait jusque là intrinsèquement hétérosexuelle mais en est venue à avoir peur d’être attirée par les personnes du même sexe.

L’argent, la drogue et le porno

Plus jeune adolescente, comme beaucoup de ses copines, Chloé a eu des petites aventures ou du plaisir était ressenti lorsque quelqu’un d’autre qu’elle s’occupait de son corps, fut-il du même sexe. Tout plaisir était bon à prendre et cela ne lui posait pas de problème. Chloé avait aussi pu expérimenter de faire des fellations dans les WC du collège. Simplement, sans prise de tête. Sans sensation d’implication quelconque des conséquences potentielles. Elle avait eu un copain qui l’avait “débridée” et fait son éducation sexuelle à grand renfort de référentiel pornographique et avait vu pas mal de films dès cette époque.

Son père étant un chef d’entreprise gagnant bien sa vie, Chloé s’est sentie dans une aisance financière qui ne lui a pas permis de percevoir l’intérêt de l’investissement dans un avenir professionnel. L’avenir lui était dépeint comme doré quoiqu’elle fasse. Elle savait que tout pouvait lui être payé. De ce fait elle s’est déscolarisée après le collège, ne voyant pas ce que l’école pourrait lui apporter. Elle avait commencé au collège à fumer du cannabis, boire de l’alcool et prendre d’autres drogues comme de l’ecstasy ou de la cocaïne. Chloé pouvait le faire, alors elle le faisait. Elle ne se mettait pas de limites. Jusqu’à avoir la sensation progressive de se sentir prisonnière de cette vie. De subir les choses plutôt que de les décider.

Les difficultés psychologiques pour lesquelles Chloé est venue me consulter ont commencé quand elle a décidé de se sevrer des drogues qu’elle avait tendance à surconsommer. L’ecstasy n’était plus devenue que festive. Ce ne fut pas difficile. Le cannabis fut plus complexe car elle en fumait beaucoup, de même que l’alcool, qu’elle buvait quotidiennement. Chloé a pu arrêter tout sans aide extérieure. Seule. Par la force de sa détermination à se sortir de cela.  A ce moment, a débuté une anxiété un peu diffuse.

Le déclenchement du TOC

Peu après voire concomitamment,  elle a eu une aventure avec un homme probablement délicat, qui constatant qu’elle ne se lubrifiait pas d’excitation à le voir dressé devant elle, lui a dit:

  • T’es sèche comme un ruisseau au cœur de l’été, tu serais pas lesbienne par hasard?

Ceci l’a profondément choquée, questionnée dans son être, avec début d’un doute d’une profondeur qu’elle n’avait jamais vécu. Abyssale. Ce connard indélicat, qui aurait pu juste être considéré comme un goujat allait remettre en question le système de croyance jusque-là stable dans l’esprit de Chloé. La prétention de cet homme confiant en lui qui devait forcément amener à l’excitation de sa partenaire allait tellement de soi qu’elle ne put douter du caractère anormal de ne pas mouiller face à ce beau garçon.

Alors a commencé cette perpétuelle interrogation:

  • Quel sexe est l’objet de mon désir? Suis-je hétérosexuelle, homosexuelle, bisexuelle?

Nous avons alors commencé à travailler ensemble sur le sujet. Car cette interrogation, cette crainte, cette pensée, fait partie de ce que l’on appelle les obsessions qui rentrent dans la classification des troubles obsessionnels compulsifs.

L’obsession étant une idée pénible, une pensée, une image, un désir impulsif venant à l’esprit de manière répétitive, pouvant sembler apparaître contre la volonté, être considérée répugnante, dénuée de sens, ne pas correspondre à sa personnalité.

Du fait d’avoir eu des expériences sexuelles satisfaisantes avec des hommes, bien qu’ayant déjà eu des rapports lesbiens plus jeune, Chloé ne s’était jamais posé la question de son orientation sexuelle. Sur fond anxieux du fait des différents sevrages, c’est la fameuse phrase du pauvre type qui a tout déclenché, créant le doute qui caractérise les obsessions.

En permanence. Nuit et jour. Elle était envahie par ce questionnement chaque seconde de sa vie.

Chloé regardait déjà pas mal de porno, mais cette addiction flamba net. Elle consommait et se masturbait par moments plusieurs heures par jour. Cependant, le désir diminuait avec la fréquence des stimulations. Alors elle essaya de diversifier ce qu’elle regardait. Avec des vidéos lesbiennes. Et l’excitation se majora. Renforçant ses doutes.

La folie du doute

Chloé décida donc de passer à l’acte et de rencontrer une jeune fille via Tinder. Pour vérifier si elle trouvait cela plaisant ce qui l’aurait aidée à trancher, savoir, conclure. Bref, pour se séparer de ce doute qui caractérise tant les TOCs que les aliénistes du dix-neuvième siècle appelaient cette pathologie “la folie du doute”. Chloé n’a pas ressenti le désir vers cette autre femme qu’elle put tout de même trouver jolie. Mais celle-ci lui donna du plaisir. Tout se mélangea dans sa tête. Alors elle revit cette amante une deuxième fois. Mais ne fut pas plus avancée.

En parallèle, je me suis évertuée à lui faire comprendre que la thérapie avait pour objectif de lui permettre un assouplissement de son système de valeurs. Qu’elle était peut-être bisexuelle ou hétérosexuelle mais que cela n’avait aucune importance.

Devant l’intensité de l’angoisse, et à un moment ou ma disponibilité ne m’a pas permis de réagir suffisamment vite, sa médecin généraliste décida de lui mettre un traitement par antidépresseur. Qui sont connus pour donner chez les femme des troubles du désir et une anorgasmie (l’incapacité à pouvoir ressentir un orgasme) comme effets indésirables.

Cela lui permit d’être un peu soulagée, de pouvoir penser à autre chose, trouver un emploi de quelques heures par semaine dans une boutique de prêt-à-porter comme vendeuse pour “passer un peu le temps” . Chloé allait mieux.

L’attouchement par sa généraliste

Mais un jour, elle m’appelle en urgence pour me parler d’une expérience, lors même qu’elle doit me voir le lendemain. Déjà en consultation, j’entends à demi-mot ce qu’elle me dit et raccroche assez rapidement en lui rappelant que demain n’est pas très loin.

Le lendemain, je tombe de ma chaise lorsqu’elle m’évoque son expérience…

Elle était allée voir sa médecin généraliste qui la suivait entre autre pour des kystes à répétition des grandes lèvres. Comme les consultations précédentes, Chloé s’était déshabillée pour pouvoir être examinée sur le plan gynécologique. Sa médecin commença de manière rigoureuse puis se mit à la masturber. Chloé lui dit :

  • Arrêtez! Vous allez m’exciter…

La médecin continua après avoir retiré ses gants. Chloé hallucina, se sentant désemparée. Ne sachant comment réagir, elle se leva, ce qui ne changea rien. Elle essaya de remettre sa culotte sans  pouvoir ôter les doigts qui s’affairaient toujours. Trois minutes. Une éternité avant que sa médecin ne s’arrête.  Passage de la carte vitale. Prise du RDV suivant. Sortie du cabinet.

Elle venait de se faire attoucher par sa médecin généraliste. Alors qu’elle avait un envahissement de sa psyché d’obsessions autour de l’homosexualité.

Et après?

Elle devait aller à la piscine après sa consultation. Machinalement, Chloé y est allée. Elle nagea intensément, encore groggy de ce qui venait de lui arriver.

Chloé composa le numéro de sa mère en sortant de la piscine. Elle avait besoin de se confier. Celle-ci lui conseilla de porter plainte auprès de la police. Elle fut mal accueillie, non considérée et on lui demanda de revenir le lendemain. Sur le trajet du retour, elle eut envie de mourir. Au volant de sa voiture, des images passaient où elle se voyait accidentée. Elle n’en avait pas le désir , mais ces idées suicidaires lui traversaient l’esprit.

Chloé m’a appelée en rentrant chez elle. J’étais en consultation. Elle voulait savoir si j’avais une disponibilité. Nous avions RDV le lendemain. Je n’avais pas de créneau de libre le jour-même. Chloé est venue le lendemain pour me raconter ce témoignage effarant. J’ai du ramasser mes bras sur le sol du cabinet. Elle était très gênée, ne sachant que faire dans cette situation. Cette jeune fille avait clairement identifié que ce qu’elle avait vécu n’aurait jamais dû arriver mais elle avait peur de briser une vie professionnelle. Dilemme pour sa conscience. Pour l’aider à trancher, je lui ai dit de repasser voir la police pour au moins déposer une main courante.

Qu’en pensez-vous?

Je ne suis pas impulsif, j’ai juste un tempérament slave

 

tempérament slave

Dans un des services de secteur ou j’ai travaillé, j’ai eu l’occasion de suivre un patient assez impressionnant, Mr Jkastouh. Il s’agissait d’un colosse de plus de deux mètres originaire des pays de l’est. C’est toujours une formulation un peu floue qui peut pour les français englober tous les pays d’Europe (si l’on excepte la Belgique, les Pays Bas, le Luxembourg, le Royaume Uni, l’Irlande, l’Espagne et le Portugal). En l’occurrence, je le voyais bien serbe. Mais bon, sans certitude. Ce dont je me souviens, c’est qu’il était hospitalisé depuis longtemps dans un contexte de schizophrénie résistante avec un traitement assez lourd.

En plus des manifestations psychotiques de la schizophrénie, il avait aussi des traits de personnalité psychopathique (aussi appelée antisociale), association que dans notre jargon nous nommons la schizophrénie héboïdophrène. Enfin bon, avant l’ère du DSM5.

Bref, ce n’était pas un enfant  de cœur, mais tout n’était pas fait de manière vraiment consciente.  La maladie lui donnait des “circonstances atténuantes”. Pour impressionner les nouveaux arrivants, les femmes et les plus jeunes, il avait pris l’habitude de raconter ses frasques et ses virées dans les bars.

Mr Jkastouh avait eu plus jeune une pratique intensive de sport de combat violent et il aimait à rappeler qu’il faisait de la boxe thaïlandaise et du Krav maga.

Il avait un lever de coude relativement dynamique, mais une génétique favorable à une certaine tolérance et un corps suffisamment vaste pour diluer une partie de l’alcool qu’il buvait.

Tout n’avait pas vocation à finir au fond de l’urinoir et une bonne partie montait tout de même à la tête, avec des manifestations de violence caractérisée qui pouvait sembler gratuite à certains moments. L’histoire qu’il avait tendance à raconter le plus souvent avait sympathiquement commencé par une beuverie fraternelle au bar avec d’autres piliers, quand il s’est senti attaqué au sujet de sa mère. Un grand classique indémodable…

Ni une ni deux, il a commencé par donner quelques coups, puis utiliser le mobilier du bar. Et c’est avec un sourire jusqu’au oreilles qu’il était fier de dire:

  • J’ai pété une table, trois chaises et quelques gueules. Quand les flics sont arrivés, il a fallu qu’ils soient quatre pour réussir à me contenir. Mais une fois arrivé au poste, j’leur ai sorti mon ordonnance et j’leur ai dit que j’étais suivi en psychiatrie. Y z’allaient quand même pas me foutre en tôle!

Quand ma chef de l’époque m’avait dressé le tableau de son histoire au moment où j’arrivais dans le service, elle avait évoqué les différents symptômes qu’il pouvait présenter. Parmi ceux-ci, elle avait dit:

  • Mr Jkastouh est un peu impulsif
  • Mais pas du tout Docteure, je suis pas du tout impulsif, j’ai juste un tempérament slave! Et j’suis pas méchant. Faut juste pas me chercher. J’vous conseille pas de parler de ma mère. Vous les psy vous avez qu’ce mot là à la bouche. Alors vous l’savez maintenant: on en parle pas avec moi!

Et de préciser:

  • J’ai fait de la box thaï et de l’ultimate fighting, alors j’ai peur de personne. J’ai donné plus de coups que j’en ai reçus.

Au vu de la tête du bonhomme, on ne peut manquer le fait qu’il ait reçu un bon nombre de coups. Dur d’imaginer qu’il ait pu en donner plus que cela!

Je n’ai évidemment jamais vu ce patient seule. Bien qu’à force de prendre des coups, d’avoir des poussées récurrentes de sa maladie et de recevoir des médicaments apaisants il paraissait plus inoffensif qu’il ne l’évoquait, je ne voulais pas risquer de me faire aplatir ou de voir sortir des bouts de mon cerveau par mes oreilles…

Josette et l’odeur de pourri

odeur de pourri

Josette faisait partie des patients dont j’avais hérités sur le poste que j’occupais à l’hôpital général. Je la voyais pour la surveiller car elle avait eu une hospitalisation dans le service. Pour une dépression dite à caractéristiques psychotiques. Cela veut dire que lorsqu’elle avait été en dépression, elle avait eu aussi des éléments un peu bizarres. Avec des croyances particulières, délirantes. Et des hallucinations.

Josette était mariée depuis quarante-six ans avec Pierre. Ils avaient partagé des moments heureux. La naissance de leurs trois enfants. Leur éducation jusqu’à leur départ de la maison, qui fut nettement moins sympathique. Ils étaient tout pour elle et se retrouver sans aucun de ses rejetons dans la demeure familiale lui était insupportable. D’autant qu’ils avaient choisi des études qui les avaient amenés à tous partir à l’étranger. Tous les trois étaient à plus de huit-cent kilomètres d’elle.

Chouchouter sa progéniture faisait partie de son code génétique et aller à l’encontre de cette caractéristique biologique ne pouvait qu’entraver son bonheur. Non pas qu’elle n’aimait pas Pierre, mais il faut avouer qu’elle l’avait toujours considéré plus comme un bon père qu’un bon mari.

Alors se retrouver dorénavant seule avec lui n’était pas pour l’enchanter. Il était d’un tempérament rigide, aimant bien que les choses soient carrées, rangées. Pierre n’aimait pas trop la surprise, le changement. Bref il avait plutôt une personnalité obsessionnelle. Josette, quand à elle, était d’un tempérament plus spontané, fantasque. Elle avait une certaine originalité qui allait à l’encontre de la routine que Pierre aurait voulu installer de manière immuable.

C’est comme ça que l’ennui s’est immiscé dans la vie de Josette. Quelques grammes par ci, de bons gros kilos par là. Les journées commençaient de plus en plus à se ressembler et elle ne parvenait plus à faire la différence entre un dimanche et un mardi. Josette a alors fait sa première dépression. Pas classique.

Les premiers signes furent de se plaindre que tout ce qu’elle mangeait avait l’odeur et le goût de brûlé ou de pourriture. Ses sens la trompaient et elle avait des hallucinations olfactives et gustatives.  Puis elle enchaîna avec le reste du cortège des graves dépressions. Jusqu’à devenir incapable de sortir du lit, se laver, se nourrir. Chaque geste était considéré comme un effort impossible. Sa volonté n’était pas en mesure d’être stimulée suffisamment pour mettre en oeuvre ce que son cerveau décidait par moments, quand elle réussissait à prendre une décision.

Alors il fut décidé qu’elle soit hospitalisée. En psychiatrie. Mon prédécesseur s’est bien occupé d’elle, la tirant de cette mélancolie délirante avec un traitement bien conduit. Josette avait repris du poil de la bête et pouvait à nouveau jouir de l’intégralité des performances de ses sens. Elle put sortir de l’hôpital avec son traitement et fut suivie par mon prédécesseur en consultation à l’hôpital.

Quand le relais fut fait avec moi, j’ai pu constater  que Josette n’était pas déprimée au sens strict, mais conservait quelques symptômes résiduels. Un certain ennui et des envies relatives. Mais qui allaient avec l’histoire de son couple.

Elle était très demandeuse de réduire son traitement dont elle était convaincue qu’il lui avait fait prendre du poids et ne contribuait pas à la rendre la plus énergique. Les traitements qu’elle prenait pouvaient avoir ces effets indésirables. J’ai accédé à sa demande. Petit à petit. J’ai mis plus d’un an à retirer ses deux antidépresseurs et son antipsychotique.

Elle a rechuté le mois qui a suivi l’arrêt définitif du dernier antidépresseur.

Exactement comme la fois précédente. L’odeur et le goût de pourri. Puis l’envie de rien, jusqu’à ne plus quitter le lit. En très peu de temps.

Pierre m’a clairement fait comprendre qu’il divorcerait si Josette restait dans cet état.

Alors je l’ai refaite hospitaliser. En remettant les traitements pleine posologie.

Et en un mois et demi, elle s’est remise.

Il est resté.

J’ai promis de ne plus retirer son traitement et de le dire à la collègue qui reprendra le flambeau une fois que je serai partie.

Non! Il n’y aura pas de prochaine rechute…

Charlemagne, l’internement et les électrochocs

Charlemagne

Un des patients les plus délirants que j’ai été amenée à voir avait un diagnostic de paraphrénie de posé. Il s’agit d’une maladie psychiatrique assez rare qui consiste à avoir un délire imaginatif. Très bien inséré dans la société jusque là, il était professeur de mathématiques, aimé de ses étudiants et apprécié de ses collègues initialement. Mais peu à peu, il avait commencé à délirer de façon de plus en plus étrange en étant de plus en plus convaincu de ce qu’il pouvait raconter.

Bien que d’origine africaine, il se savait du fait de son patronyme être un descendant direct de Charlemagne et devoir continuer son oeuvre de reconquête des territoires de son illustre ancêtre. La réunification de l’Europe en boutant les arabes de France et en partant en croisade contre l’invasion chinoise qui était à notre porte faisait partie de son plan guerrier et il aimait à parler de stratégie militaire. Les indiens d’Amérique du Sud complétaient le tableau géopolitique en ayant déclaré la guerre à la Chine, menaçant ainsi la vieille Europe. Il ne manquait plus que l’Océanie (Charlemagne étant d’origine africaine) pour représenter  l’intégralité du globe. A certains moments, je me disais qu’il s’était trompé de vocation, il aurait plus fait un tabac en cours d’histoire-géographie qu’en mathématiques…

Quelques temps avant son hospitalisation dans le service de psychiatrie de secteur où je l’ai rencontré pour la première fois en tant que toute jeune interne, il avait menacé de mort sa psychiatre avec une telle véhémence qu’elle avait légitimement pris peur pour sa vie et avait demandé à ce qu’il soit évalué plus amplement à l’hôpital. Une violence inouïe  ressortait de son discours mais il n’était jamais passé à l’acte et n’avait jamais agressé personne. Sachant qu’avant de passer à l’acte la majorité des personnes atteintes de troubles mentaux évoquent leurs projets, il valait mieux ne pas attendre de la voir décapitée devant la porte de son cabinet de consultation.

Son discours s’étoffant avec le temps, il devenait de plus en plus menaçant, malgré les traitements qui tentaient au mieux de maîtriser la violence qui montait en lui. Il en voulait encore plus à sa psychiatre, tenue pour responsable de son “internement” selon lui.

Je mets ici des guillemets au mot “internement” car en tant que psychiatre, il me choque assez souvent. Encore souvent utilisé par certains patients qui ont l’imaginaire d’une psychiatrie uniquement privative de liberté, je le trouve très réducteur et péjoratif et ai gardé l’habitude de corriger systématiquement les personnes qui l’utilisent en remplaçant par le mot “hospitalisation”. Même quand il s’agit d’un soin sous contrainte. Car il s’agit justement d’un soin. Et non d’une décision arbitraire.

C’est certes de la sémantique mais il m’arrive d’être pointilleuse quand cela a son importance en terme de représentation. L’”internement”  donne à la personne la sensation d’une extraction définitive de la société. Et cela ne correspond jamais à la réalité maintenant. Une hospitalisation a toujours un début et une fin: même si c’est long!

Pour revenir à Charlemagne, du fait de l’absence de réponse aux traitements qu’on lui dispensait, l’hospitalisation promettait d’être longue. Et un, et deux et trois et quatre traitements successifs médicamenteux sans avoir d’efficacité.

Du fait de la résistance pharmacologique et de la gravité des conséquences potentielles chez lui, une alternative nécessitant la “fée électricité” devenait indispensable. Nous lui avons ainsi proposé (certes de manière convaincante au vu du peu de résultats des médicaments) de faire des séances de sismothérapie aussi appelée électroconvulsivothérapie (ECT) et anciennement électrochocs. C’est juste le traitement le plus efficace dont on dispose en psychiatrie. Là où les meilleurs médicaments marchent autour d’une efficacité de 50%, l’ECT permet plus de 70% de rémission des épisodes psychiatriques pour laquelle on l’utilise. Avec même des indications d’utilisation en première intention. J’y reviendrai dans d’autres articles.

Après une dizaine de séances Charlemagne allait déjà beaucoup mieux et à la fin des vingt séances dont il a bénéficié, le délire était loin derrière lui. Il a ainsi pu reprendre son activité, en changeant évidemment de lycée pour que la réputation qu’il s’était faite avant son hospitalisation de le suive pas trop.

A votre bon cœur, m’sieur dame!

Cling Cling (bruits de pièces dans un gobelet en plastique).

Cling Cling.

Bonjour aux quelques lecteurs de ce blog!

Pour ceux qui me suivent sur Twitter, vous êtes peut-être au courant d’un changement récent sur le plan familial. Je n’avais déjà pas un rythme d’écriture aussi cadencé que je l’aurais désiré mais depuis la naissance de mon fils, j’avoue que c’est encore un peu plus complexe. Je ne désespère pas cependant de garder la possibilité de faire un petit papier tous les quinze jours. En moyenne, on n’est pas aux pièces (encore là celles-là?).

Alors j’ai un petit service à vous demander. Comme la démarche que j’ai est à la fois artistique (OK, ça fait meuf qui se la pète, mais quand même, j’essaie de mettre des mots qui vont bien ensemble, de choisir les histoires de patients qui m’ont touchée) et professionnelle (je parle de mon métier), c’est probablement un peu tâtonnant. Le problème, c’est que dans l’obscurité (décrire le processus artistique comme une démarche à tâtons dans l’obscurité, c’est parlant, non?), on n’avance pas forcément vite. J’ai le désir de m’améliorer, mais seule, face à moi-même, j’ai un peu de mal.

Alors, si vous avez lu ou allez lire l’une ou l’autre des histoires qui sont sur mon blog, que ça vous plaise ou encore plus que cela ne vous plaise pas, n’hésitez pas à faire des commentaires, de tout registre. Sympa ou pas sympa, tatillon ou flou, sur le fond ou la forme…

Bien sûr, le mieux c’est c’est quand c’est constructif (alors, là vous choisissez si vous préférez les Lego ou les Playmobils, personnellement, je ne rentrerait pas dans ce débat).

Bref, ça me permettra d’évoluer. Pas les trucs flippants que font les Pokemon. Je précise. Juste modifier ce qui pourrait l’être, avec mes limites évidemment.  Et elles sont nombreuses.

Alors merci de votre générosité, M’sieu Dame!

Cling Cling.

Cling Cling…

Lenaïg, 17 ans, en grève de la faim depuis 5 jours

grève de la faim

 

Cette histoire illustre le peu de moyens et la complexité des prises en charge dans le domaine de la pédopsychiatrie.

Lors d’une garde en hôpital général, je suis appelée dans le service de rhumatologie pour voir Lenaïg, dix-sept ans dans une semaine, qui est hospitalisée depuis trois semaines pour une sciatique très douloureuse (hyperalgique dans le jargon médical).

Cette gamine est placée à l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) d’une autre région, retirée de la garde de ses parents qui ne sont pas en mesure de s’occuper de son éducation. Ils sont pourtant dans le milieu médical pour la mère et paramédical pour le père, mais Lenaïg a une personnalité fort affirmée qu’on pourrait qualifier de limite (voir  l’histoire de Cécile pour percevoir un peu mieux son vécu: https://lafolieordinaire.fr/index.php/2016/09/28/jai-ete-confronte-a-personnalite-limite-de-linterieur/).

Elle est venue sur notre région depuis un mois et demi dans un foyer pour pouvoir intégrer une école de comédie musicale. Mais ça ne se passe pas très bien. Elle se plaint de douleurs de sciatique de la jambe droite depuis un an et demi avec des crises qui nécessitent parfois des traitements lourds. Elle a nécessité ainsi la mise en place d’un traitement intraveineux (IV) par de la morphine et des antivomitifs car elle dit être aussi très nauséeuse quand elle a mal. Après de nombreux examens complémentaires (biologie, IRM du cerveau et de la moelle), le bilan ne retrouve pas de cause de ces douleurs.  

Un diagnostic de somatisation est fait, signifiant que l’origine des douleurs est dans la souffrance psychologique. Le pouvoir du cerveau est grand et dans certains cas, il peut convaincre qu’on a vraiment mal sans qu’il n’y ait de raison physique. En gros, elle n’a pas de traumatisme physique, les disques entre ses vertèbres sont parfaits et elle n’a pas de nerf coincé. Il est décidé de faire un relais du traitement  IV en traitement par la bouche, pour faciliter la suite de la prise en charge.

Mais Lenaïg n’est pas de cet avis. Elle veut continuer à avoir un traitement IV et demande à être nourrie par la perfusion. Du fait des nausées dont elle se plaint, elle dit être incapable de mettre quoi que ce soit dans sa bouche sans vomir et a décidé de ne plus rien y mettre, ni médicament, ni nourriture, ni eau. Elle fait la grève de la faim, et ce, depuis cinq jours. Elle est pourtant capable de fumer un bon paquet dans la journée…

Quand les rhumatologues m’appellent, le problème est que Lenaïg veut désormais sortir de leur service car elle ne se sent pas soignée. Ils ont été obligés d’appeler la sécurité de l’hôpital car elle devenait violente à leur égard, verbalement et physiquement. Situation difficile car légalement et administrativement, elle dépend à la fois de l’ASE de sa région et de ses parents. Le foyer de notre région a décidé de l’exclure au vu des difficultés qu’il avait à la prendre en charge. La gamine se retrouve donc sans point de chute en plein week-end prolongé.

La première fois que je la vois, elle est au téléphone dans sa chambre et quand j’annonce que je suis psychiatre, elle m’accueille avec un « cassez-vous, j’vois pas les psy » qui m’incite au contraire à rester. Je m’assied et écoute la conversation. Elle est avec un ami, « Loulou », et décharge sa colère contre le monde des adultes dont elle se sent victime. Sa mère doit avoir les oreilles qui sifflent très fort et j’en prends aussi pour mon grade. A la fin de son coup de fil, je commence mon entretien et comprend son angoisse de se sentir encore une fois abandonnée et sa détermination de faire chier les adultes qui sont responsables d’elle.

S’ensuit une série de coup de fils : mère, éducatrice du foyer, cadre du foyer, pédopsychiatre d’astreinte, sécurité, pédopsychiatre responsable de l’unité  sécurisée… Les heures passent mais j’ai de la chance : une place est disponible dans le service de pédopsychiatrie et il est finalement décidé de l’hospitaliser dans l’unité sécurisée pour la protéger du risque de fugue et débuter une prise en charge psychiatrique.

Malheureusement, il se passe quatre heures avant que les ambulances n’arrivent! Et bien évidemment, cela laisse le temps à Lenaïg de refuser le transfert.  Dans ce genre de situation, je n’en menais pas large. Tous les voyants étaient au vert pour que les choses se passent bien. Les médecins, le foyer, les parents, tout le monde était favorable à ce qu’il puisse y avoir un relais vers la psychiatrie. Oui, mais pas la principale intéressée!

Légalement, je n’avais pas d’inquiétude à me faire. Du fait de son statut de mineure, elle était sous des responsabilités qui m’avaient autorisée à faire ce transfert. Mais elle n’était pas d’accord et après des heures de négociation, cela voulait forcément dire nécessité de recourir à la force. Malgré ma réticence à recourir à ce genre de solutions, je n’eus pas le choix. Une injection intramusculaire d’un sédatif eut raison de ses velléités d’opposition et permit le transfert dans l’unité de pédopsychiatrie.

Quelques heures plus tard, je suis à nouveau appelée, cette fois–ci dans le service de pédopsychiatrie lui-même, car elle exige un lit médicalisé.

Avec la cadre du service qui s’était renseignée, nous lui expliquons la nécessité de patienter, car ce genre de matériel doit être commandé et n’est pas disponible en week-end ni en jour férié. Elle finit par se calmer au bout d’un moment.

Sur la fin de ma garde, je salue alors par avance la patience que mes collègues pédopsychiatres devront avoir pour négocier avec l’ASE de l’autre région pour lui trouver une solution de remplacement du foyer de notre région qui l’a gentiment éconduite.

Être pédopsychiatre, c’est parfois un peu être MacGuyver et bricoler une prise en charge avec les moyens du bord…

Romain ou comment la chute conduit au Tourette

Tourette

Romain a croisé mon chemin à l’hôpital général. Il m’avait été adressé pour un syndrome de Gille de la Tourette consécutif d’un traumatisme. Rien ne serait arrivé sans “la faute à pas de chance”, comme il le disait si bien.

L’accident

Quelques années auparavant, alors qu’il était avec des amis, un pari fut fait. Ils avaient un peu bu, étaient en confiance, imaginatifs et un peu désinhibés. Alors il est monté sur un poteau de signalisation d’une impasse. Un truc sympa entre potes. Une gentille bêtise sans conséquences. Pour rigoler, faire une photo sur le trône et montrer ses aptitudes simiesques encore développées. Un pied, le deuxième par dessus le premier. Le premier revient au dessus du deuxième. Et zweep! Il glisse en arrière, tombant sur le crâne de tout son poids et d’un peu moins de deux mètres. Sur le bitume. Violemment.

Ses copains furent affolés, appelèrent les pompiers et il fut rapidement pris en charge en neurochirurgie. Un hématome s’était formé dans sa boîte crânienne, risquant de comprimer son cerveau. Après évacuation de l’hématome, il fit quelques jours de coma et fut hospitalisé quelques semaines. Il récupéra toute sa motricité. Sur le plan cognitif, il avait des performances proches de la normale, avec une vitesse de traitement de l’information légèrement moins bonne. Son aptitude au langage était globalement comme avant . Il avait juste un syndrome de Gille de la Tourette qui était apparu.

Diagnostic du syndrome de Gille de la Tourette (SGT)

Ce diagnostic est posé lorsqu’une personne souffre de tics involontaires, soudains, brefs et intermittents, se traduisant par des mouvements (tics moteurs) ou des vocalisations (tics sonores). Il s’ajoute fréquemment un ou plusieurs troubles du comportement : déficit de l’attention-hyperactivité, troubles obsessionnels compulsifs, crises de panique ou de rage, troubles du sommeil ou de l’apprentissage. Elle a souvent une composante génétique et débute la plupart du temps dès l’enfance. Pour plus de renseignements, voici la fiche orphanet sur cette maladie:

https://www.orpha.net/data/patho/Pub/fr/GillesdelaTourette-FRfrPub43.pdf

Cette maladie potentiellement assez impressionnante n’est pas inconnue du grand public. Plusieurs films ou séries mettent en scène des personnages qui en sont atteints. Notamment quelques épisodes d’Ally Mac Beal ou John sort avec une femme qu’il défend d’abord au tribunal pour avoir commis des crimes à cause du syndrome de Gille de la Tourette. De même, dans l’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, Oliver Sacks fait état d’un de ses patients, Ray, pour qui cette pathologie est synonyme de créativité musicale. Une fois le traitement effectif, il la perd et se demande si les tics ne sont pas son identité propre. Et que finalement vouloir lutter contre le transforme en quelqu’un qu’il n’est pas prêt à connaître.

Romain

Pour ce qui est de Romain, l’origine de son syndrome n’était pas classique. Mais les symptômes l’étaient. Qui le mettaient en grande difficulté. Les tics moteurs ne lui posaient pas trop de problèmes. Il clignait des yeux, haussait les épaules et se tapotait les genoux lorsqu’il était assis. Par contre, ses tics vocaux l’avaient déjà conduit dans des situations dangereuses. Il pouvait rire involontairement, mais surtout, avoir des coprolalies (proférer des insultes involontaires). A savoir chez lui de verbaliser à voix haute ce qu’il peut penser en présence des personnes. Comme Romain vit avec l’allocation adulte handicapé (AAH) car il n’arrive pas à travailler, il habite en HLM dans une cité de banlieue, avec une population diversifiée.

Tous les jours, Romain a l’impression de risque sa vie. Il lui arrive régulièrement de dire “sale noir”, “bougnoule”, “face de citron” ou “gros tas” et autres insultes dirigées contre des personnes qui ont pu se retourner contre lui et lui casser la figure. Involontairement, bien entendu. Comme s’il ne pouvait retenir les pensées qu’il savait ne pas avoir à dire. Romain avait déjà perdu deux dents comme cela. Et n’avait pas vraiment envie que cela continue.

Son moral était dans les chaussettes et il avait des envies de mourir pour ne pas avoir à continuer cette vie qui lui semblait trop difficile à vivre. Romain habitait loin et je ne l’ai pas vu très longtemps. J’ai un peu modifié son traitement. Il avait l’air mieux. Et puis il n’est pas revenu. Je me demande s’il a pu déménager et faire la formation qu’il avait eu dans les cartons à un moment de sa vie. A l’époque où l’espoir était plus vif…

%d blogueurs aiment cette page :